Opinion
Françarabie, l'homme qui vaut des
milliards
Hedy Belhassine
Photo:
D.R.
Samedi 18 janvier 2014
Depuis les années de Gaulle, le commerce
de la France avec l'Arabie Saoudite
était une chasse gardée dont les
socialistes se tenaient à l'écart.
François Mitterrand ménageait le premier
fournisseur de pétrole de la France,
mais il ne copinait pas. Les ministres
de Jospin, par crainte de subir les
foudres des militants, évitaient
soigneusement de se faire photographier
aux côtés de leurs homologues
enturbannés. Tout au plus,
laissaient-ils leurs épouses fréquenter
les princesses voilées.
Depuis, le PS a mis de l'essence dans
son vin. Son ancien Premier secrétaire
devenu Président de la République a
réussi la synthèse entre la famille de
Jaurès et celle des Saoud.
Socialisme et salafisme sont désormais
commercialement compatibles.
L'Elysée s'est trouvé de nouveaux amis
qui bousculent les réseaux de
connivences établis ; alors en coulisse,
la guerre des gangs d'affaires a
commencé. Le contentieux EDF/SOROOF et
la rivalité Thalès/ EADS sont étalés sur
la place publique.
Car contrairement aux Britanniques,
Allemands, Japonais, Américains, la
maison France n'a pas pour habitude de
serrer les rangs. Elle exporte ses
querelles internes jusqu'à l'insuccès.
L'Arabie est un laboratoire in vitro
dont les enjeux économiques et
stratégiques sont hors normes. Riyad est
un client fidèle qui absorbe le tiers de
la production française des industries
de défense.
Le centre nerveux du dispositif
commercial franco-saoudien de l'armement
est une structure créée il y a quarante
ans. La SOFRESA, véritable centrale
d'achat de l'armée saoudienne en France
a été la très discrète poule aux œufs
d'or des industriels jusqu'à ce que
certains hommes politiques trempent
leurs doigts dans le pot de confiture.
Pour limiter l'écho du scandale SAWARI
2, le Président Sarkozy débaptisa
l'entreprise et un conseiller facétieux
de l'Elysée lui trouva un nom
audacieux : ODAS ! OD pour les initiales
de l'Amiral nommé PDG de la société et
AS pour Arabie Saoudite. La société qui
compte une trentaine de cadres n'a pas
fait d'étincelles hors commerce courant
dont le volume annuel s'élève tout de
même à des centaines de millions. ODAS a
signé l'an dernier en fanfare un marché
d'un milliard et demi d'euros pour « la
remise à niveau des navires SAWARI ». En
fait il s'agit de travaux
d'infrastructures portuaires pour la
mise à sec et le carénage des frégates
sur la base navale de Jeddah.
Coïncidence ou prémonition malicieuse,
quelques mois avant la conclusion du
marché, la filiale infrastructure
d'ODAS, la SOFINFRA qui était solidement
implantée en Arabie depuis trente ans a
été vendue à une société coquille
domiciliée à Saint-Martin des Caraïbes
laquelle s'est chargée de se saborder
discrètement. Pour les ingénieurs de
l'armement, n'y a guère matière à lever
un sourcil d'étonnement car pour
paraphraser Clemenceau: les affaires
militaires sont aux affaires ce que la
musique militaire est à la musique.
ODAS, guichet unique des ventes d'armes
françaises destinées à l'Arabie a pour
actionnaires l'Etat et les principaux
fabricants de systèmes de défense. Son
Président, ancien Pacha de la Marine
Nationale vient d'atteindre l'âge de sa
seconde retraite. Le poste prestigieux
est bien payé, alors les candidats se
sont bousculés au portillon.
Plusieurs hauts fonctionnaires et même
un ancien ministre, se voyaient déjà
pantoufler en fumant la chicha. En temps
habituel, le pompon serait revenu au
mieux pistonné, mais en raison des
enjeux fabuleux, la République s'est
mise en chasse de la perle rare capable
de concrétiser la ventes de frégates,
sous-marins, missiles, satellites,
hélicoptères, avions...Des dizaines de
milliards d'euros au doigt mouillé.
Le casting était délicat. Il fallait
trouver un candidat admissible à la cour
du roi Abdallah et des princes
influents, (ce qui écartait d'emblée
quelques descendants d'Abraham), un
homme (certainement pas une femme)
capable d'aligner en rang les
industriels indisciplinés qui se livrent
à une concurrence franco-française
suicidaire, un homme capable de mettre
au pas des polytechniciens arrogants, un
homme capable de gérer l'incroyable
« shopping list » de trois milliards
payée par l'Arabie pour livrer des armes
au Liban, un homme capable de se
prémunir des Britanniques et Américains
qui répandent des régimes entiers de
peaux de bananes, un homme capable de
résister aux prédateurs malfaisants de
toutes origines et aux intermédiaires de
haut vol par l'odeur alléchée de
pourboires fabuleux...Bref la perle rare
dans un océan d'huitres stériles.
Sans trop hésiter, le Président
Hollande, - diplômé HEC et Lt-Colonel de
réserve -, a choisi un militaire pour
prendre le commandement de la guerre
économique française en Arabie.
C'est le Chef d'Etat Major des Armées
qui se reconvertira en Amiral-Président
Directeur-Général.
Cet homme vaut maintenant des
milliards ! On lui souhaite la baraka.
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