Opinion
La révolution arabe
aux portes de la monarchie saoudite
Hedy Belhassine
Abu Bakr
Al Baghdadi - Photo: D.R.
Jeudi 11 septembre 2014
Lorsque le 10 juin dernier le calife
s'autoproclama empereur des arabes, le
monde accueillit l'annonce comme celle
d'un premier avril. Vexé par cette
planétaire indifférence, le nouveau
vizir du Levant massacra quelques
hérétiques, bouscula les Kurdes et pour
faire bonne mesure déporta en masse les
chrétiens. Il s'appropria aussi quelques
champs de pétrole et surtout, un
gigantesque barrage en enrochement dont
l'équilibre précaire menaçait
d'engloutir Mossoul sous le tsunami
d'une vague de 20m de haut avant d'aller
d'inonder Bagdad. Enfin, pour bien
marquer sa détermination l'homme en
mousseline noire ordonna que l'on
égorgea un Américain devant la caméra de
ses amis de Facebook. La vision de la
tête proprement tranchée et
soigneusement posée sur le ventre de la
victime enflamma le net. Pour amplifier
l'écho de la terreur, le bourreau à
l'accent britannique mit en scène en
septembre une seconde représentation de
son spectacle macabre.
Alors, l'Occident qui durant l'été avait
pareillement détourné les yeux du
massacre à Gaza, se réveilla enfin !
Obama interrompit sa partie de golf et
sonna le tocsin. Tous les ennemis d'hier
levèrent le pouce. Oubliée la guerre
contre « Bachar », oublié le blocus de
l'Iran. Même la question de l'Ukraine
prit le chemin de la négociation pour
que les chasseurs russes et américains
puissent voler de concert dans le ciel
de Ninive.
A la faveur de ce délicieux état de
grâce on se prit à rêver de la paix en
Palestine !
Finalement, avec une poignée de barbus
enturbannés, Abu Bakr Al Baghdadi est en
passe de réussir en quelques semaines ce
que des milliers de diplomates tentent
depuis des lustres !
La révolution "califale"
Quelle que soit l'issue de la guerre du
Levant, il y aura désormais un avant et
un après la révolution califale.
Car c'est bien d'un épisode de la
révolution arabe sanglante, arrogante,
conquérante, à l'image de la France de
1789 ou de la Russie en 1914. Son
souffle et son écho promettent la
comparaison avec celles de Mao ou de
Khomeiny.
Moncef Marzouki, premier Président
Tunisien d'une nouvelle République issue
des Printemps arabes, compare
l'enchainement des révolutions à un
tremblement de terre dont les répliques
plus ou moins sanglantes bouleverseront
à jamais 23 nations et d'autres.
L'observation du terrain lui donne
raison car aucun de ces pays ne vit en
paix avec ses voisins. Les violences
sont à toutes les frontières :
Algérie-Tunisie-Libye-Egypte-Palestine-Liban-Syrie-Irak-Jordanie-Arabie-Yémen...et
j'en oublie !
La violence de l'insurrection métastase.
Certes il y a quelques rares terres de
paix: le Maroc et les principautés
pétrolières du Golfe. Mais partout
ailleurs, le serpentin de la terreur a
réduit des nations entières à vivre sous
la gouvernance de bandes façon Mad Max.
Tenter de comprendre
Ce n'est pas simple car les savants ne
nous facilitent pas la tache.
Pour les experts en sciences orientales,
la problématique arabe semble se résumer
à des confrontations entre factions
laïques, musulmanes, chrétiennes,
yazidis, houtistes, chiites, sunnites,
wahhabites, ultra salafistes... Les
jihadologues embrumés restituent au jour
le jour, grâce à des logiciels magiques,
la cartographie animée des supposées
alliances et scissions au sein du
moindre groupuscule mésopotamien de
cyber-activiste. Il y a aussi tous les
rideaux de fumée que soufflent les
services d'une bonne quarantaine de
pays. Il y a enfin les thuriféraires,
hommes d'affaires/communicants des
pétromonarchies.
Cette cacophonie étouffe l'écho de
l'opinion des populations en détresse,
elle masque une dramatique évidence :
les arabes sont résignés à l'islamisme
car sa dictature leur semble moins pire
que celle qu'ils ont subie jusqu'à
présent.
C'est la leçon que l'on doit tirer de la
soumission des peuples de Syrie, d'Irak,
de Libye à quelques aventuriers décidés.
Les damnés de la
terre
Depuis notre
confort d'Européen, on oublie les
conditions dans lesquelles croupissent
la plupart des 380 millions d'arabes :
chômage, pauvreté, eau au compte goutte,
électricité aléatoire, bébés sans lait,
vieux sans médicaments...ajouté à cela,
un environnement de prédateurs maitre
chanteurs qui menacent la vie et le
destin des familles à tout moment.
Combien de millions sont-ils en Irak, en
Syrie, en Libye, au Soudan, en Egypte,
en Somalie à vivre comme à Gaza, comme
des rats, sans même la possibilité de
fuir.
La prière seule procure l'éphémère
espoir de survivre. C'est sans doute
pourquoi, abominablement avilis par
leurs satrapes, les d'arabes se sont
convertis avec ferveur ou résignation à
l'idéal politique propagé par les
islamistes. Ceci ne s'est pas fait en un
jour ! Le processus mature depuis des
décades. La voix démocratique a été
tentée dans les deux pays phares du
monde arabe (l'Algérie puis l'Egypte)
avec le sang pour seule réponse. Alors
quelle alternative à la violence ? « La
patience a des limites » pleurait Oum
Kalthoum. C'est la longue et douloureuse
plainte amoureuse inlassablement reprise
en choeur depuis soixante ans par les
arabes.
La leçon de Mossoul
Mossoul, siège du
Califat n'est pas une bourgade de
bédouins du désert. C'est une population
d'un million et demi d'habitants. L'une
des plus érudites du moyen-orient. Des
universités réputées, des industries
actives, une agriculture généreuse, un
carrefour commercial prospère. Le cœur
de la Mésopotamie est fière d'une
histoire prestigieuse qu'aucune nuée de
sauterelles bipèdes n'a jamais réussi à
ravager. Comment interpréter l'absence
de tout mouvement de résistance face à
une troupe de quelques milliers
d'hommes ? La terreur n'explique pas
tout.
L'adhésion ou la résignation n'est pas
la conséquence d'antagonismes régionaux,
tribaux, religieux ou sectaires, c'est
celle du désespoir que nourrit la misère
sur une terre où les richesses
fabuleuses ont été captées par une
poignée de moutons noirs.
Jamais la haine d'Israël, des Etats-Unis
et de leurs vassaux n'a jamais été aussi
unanime, mais cet exutoire est devenu
insuffisant. La gouvernance arabe est en
perdition. La plupart des chefs d'Etats
sont décrépis par l'âge, la maladie et
le lucre. Il y a certes de rares
exceptions : le roi du Maroc, - qui
s'est permis un bain de foule improvisé
lors d'une visite privée en Tunisie -
les Cheiks d'Abu Dhabi et de Dubaï qui
bénéficient d'une grande popularité.
Mais aucun autre dirigeant arabe ne se
risquerait sur un trottoir sans sa
cohorte de gorilles armés jusqu'aux
dents. D'Alger à Riyadh le pouvoir est
discrédité, moribond, vacillant, quasi
vacant. Il est à prendre. La « soft
révolution à la tunisienne » n'est pas
reproductible, c'est la leçon de la
Syrie et de la Libye . L'islamiste
radical est devenu le seul outil capable
de renverser la table. Alors la création
d'une fédération de nations arabes unies
dans la religion est finalement une
ambition majoritairement partagée ; y
compris et provisoirement par tous les
opposants aux systèmes de gouvernances
des régimes en place.
Parenthèse sur
l'avenir de l'homme arabe
Soulignons au trait
rouge la disparition des écrans radars
de 190 millions d'arabes ! Oui, cherchez
la femme ? Elle est absente. Niée,
disparue, totalement occultée. Eternelle
victime. Simple objet de procréation.
Promise à un destin marchand.
L'Irakienne, la Syrienne, la Yéménite,
la Libyenne a repris le voile de la
soumission et toutes les autres arabes
perdent l'espoir de jamais pouvoir s'en
débarrasser. (Tunisienne fragile
exception)
La tactique du
calife
Après avoir
multiplié les victoires à la Bonaparte,
le calife gère son nouveau territoire.
Il nomme et paye les fonctionnaires,
ouvre des dispensaires et organise la
rentrée des classes. Vis a vis de
l'étranger, il peaufine ses éléments de
langage. Son message est amplifié par
l'écho planétaire des médias occidentaux
qui sont à l'écoute du moindre de ses
soupirs. Il use de la tactique
d'appropriation des armes à l'ennemi.
Internet en est une bien pratique pour
universaliser la terreur.
L'assassinat des deux journalistes
américains par un britannique est une
abomination qui renforce l'effroi
qu'inspire l'existence présumée d'une
cinquième colonne forte de milliers et
de milliers de salafistes criminogènes
venus de France, du Canada, d'Australie,
de Chine, de Belgique, de Russie...Les
mercenaires de la nouvelle tour de
Babelle de Mésopotamie font trembler
leurs pays de naissance.
En France, la police traque le jihadiste
dormant. Tout projet de voyage en
Turquie est suspect. Le gouvernement,
pourtant déconsidéré, résiste à la
tentation de l'hyper-dramatisation. Le
ministre de l'intérieur a compris qu'il
faut se taire, agir dans l'ombre et
raffermir l'adhésion unanime des six
millions de républicains musulmans de
France.
La coalition des
terrorisés
Washington donne
l'impression d'être dépassé par les
événements. D'évidence, le scénario
n'avait pas été anticipé par ses
gigantesques agences de renseignement.
L'ONU est aphone, l'OTAN échafaude des
plans. Les stratèges imaginent la
création d'une agence internationale du
renseignement et d'un force d'action
rapide de la guerre de l'ombre.
La Norvège, la France, l'Italie, les
Etats Unis, l'Iran, l'Allemagne, le
Canada... et même l'Albanie expédient
des armes aux Kurdes pour les encourager
à monter au combat. Mais les pechmergas
songent surtout à reconstruire et à
consolider les contours de leur futur
Etat car de ce chaos, la résurrection
d'un Kurdistan indépendant devient
possible.
La Turquie fait le dos rond. Elle a
beaucoup à perdre et peu à gagner dans
cette aventure.
Alors qui ? Ce ne sont pas les drones ni
les F16 qui réduiront les jihadistes, il
faudra y aller à la baïonnette. Les
volontaires au sein de la coalition de
sont pas légions. Les troupes arabes
iront à reculons par peur de la
contagion. Nul n'a oublié qu'en juin
dernier les deux divisions suréquipées
qui défendaient Mossoul se sont ralliées
à la première sommation. Alors, il est
probable qu'après avoir en vain supplié
à genoux les Iraniens d'aller faire le
sale boulot de l'anti-jihad, il faudra
bien se résoudre à recruter des troupes
d'infidèles qui prendront le risque
d'être décapités en tunique orange sous
les yeux de la tablette numérique de
leurs enfants !
L'Arabie Saoudite,
source de tous les maux
Le désarroi de
l'occident est d'autant plus grand que
c'est la première fois dans l'histoire
contemporaine que l'on assiste à la
naissance d'un Etat qui ne soit pas
inféodé à une puissance étrangère. Car
Baghdadi est un électron libre sans
aucun allié. Il s'est mis le monde
entier à dos, Iran et Russie incluses.
« L'Etat Islamique d'Irak et du Levant
va procéder à des attaques terroristes
en Europe et aux Etats Unis ! » C'est le
roi Abdallah d'Arabie qui le dit.
Le monarque nonagénaire ne yoyotte pas,
il le tient de ses services secrets très
bien renseignés dont le calife Baghdadi
est un avatar dissident fraichement
émancipé. Existe-t-il encore des liens ?
C'est très possible car les pouvoirs de
Mossoul et de Riyadh ont des affinités
politiques troublantes.
Ils partagent le même modèle de société
intégriste, intolérant, rigoureusement
chariatique. Ils prônent la même
idéologie et les mêmes ambitions
d'hégémonie sur l'ensemble des musulmans
de la planète. Ils ne divergent que sur
la méthode et les moyens de les asservir
à leur vision rétrograde de l'islam. Le
jihad de l'un est impétueux, directe et
brutal, il bouscule l'école patiente et
sournoise de l'autre. En outre, Baghdadi
et Saudi se disputent le leadership de
l'islam : Calife contre Serviteur des
deux Mosquées.
Le roi d'Arabie se sent menacé, il
craint d'être sacrifié pour raisons
internationales d'Etats. Il sait que
l'implosion de la monarchie est la
solution radicale que les experts
d'Obama ont scénarisée. Car si à la
faveur d'une révolution de palais les
frères ennemis salafistes d'Arabie et du
Levant venaient subitement à se
réconcilier, alors le monde entier sera
pour de bon en danger.
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