Syrie
Guerre
civile en Syrie :
Qui est Abou Mohammad
al-Golani,
chef du Front al-Nosra ?
Gilles Munier
Gilles
Munier
Jeudi 7 novembre 2013
Le 25 octobre –
un vendredi, jour de prière pour les
musulmans - la télévision d’Etat
syrienne a annoncé la mort près de
Lattaquié -
c’est-à-dire au cœur du pays alaouite,
bastion du clan Assad - de Abou
Mohammad al-Golani, chef de
Jabhat al-Nosra (Front de soutien),
principale organisation de l’opposition
armée. Le régime cherchait sans doute à
remonter le moral de ses sectateurs car
l’information a été retirée le lendemain
du site de l’agence de presse officielle
SANA, sans explication. De son côté, le
Front al-Nosra, a démenti la
nouvelle, accusant les médias de
propagande.
On sait peu de
choses sur Abou Mohammad al-Golani,
surnommé
« Al Cheikh Al Fateh »
(le Cheikh Conquérant) par ses
partisans. Les opposants syriens
combattent sous des noms de guerre pour
des raisons de sécurité -
notamment pour ne pas mettre en péril
leur famille - mais aussi –
s’agissant des dirigeants salafistes
– parce que le culte de la personnalité
est contraire aux préceptes de l’islam.
Selon des
« responsables régionaux du
renseignement » (1), le chef du
Front al-Nosra aurait choisi de
s’appeler al-Golani parce qu’il est
natif du plateau du Golan… à moins que
ce ne soit pour marquer symboliquement
sa différence avec le régime bassiste
syrien qui s’accommode depuis 1967 de
l’occupation, puis de l’annexion de
cette région par Israël.
Abou Mohammad al-Golani,
âgé de 39 ans, professeur d’arabe
classique, est Syrien. Il a rejoint
Al-Qaïda au Pays des deux fleuves
dès sa création par le jordanien Abou
Moussab al-Zarqaoui et combattu les
troupes d’occupation étasuniennes en
Irak jusqu’en 2006. Son expérience l’a
fait désigner pour conseiller au Liban
Jund al-Sham (Soldats de la Syrie, au
sens de Grande Syrie, c’est-à-dire
comprenant au moins la Palestine, la
Jordanie et le Liban), une
organisation djihadiste palestinienne
également proche de Zarqaoui.
Arrêté par l’armée
américaine quelques mois plus tard à son
retour en Irak, il a été emprisonné au
camp Bucca, terrible pénitencier situé
en plein désert près d’Oum Qasr, au sud
de Bassora
(2). Libéré en 2008, il a rejoint « L’Etat
Islamique en Irak », dirigé par Abou
Bakr al-Baghdadi
(nom de guerre) qui l’a nommé chef
des opérations pour la province de
Ninive
(Mossoul).
Se démarquer des pratiques de « L’Etat
Islamique en Irak »
En janvier 2012,
L’Etat
Islamique en Irak l’a aidé à
constituer le
Front al-Nosra. La nouvelle
organisation s’est d’abord attiré la
sympathie de la population des zones
qu’elle administre grâce aux activités
de sa branche humanitaire
Qism Al-Ighata (L'organisme du secours),
ce qui n’est pas le cas de certaines
brigades de l’ASL
(Armée syrienne libre) dans les
régions où elles sévissent.
Pour se démarquer
d’Abou Bakr al-Baghdadi et des pratiques
barbares d’Al-Qaïda
en Irak (AQI), Abou Mohammad al-Golani
a prêté allégeance à Ayman al-Zawahiri,
successeur d’Oussama Ben Laden, et
refusé d’adhérer à « L’Etat
Islamique en Irak et au Levant», ce
qui lui donne plus de marge de manœuvre.
Le
Front al-Nosra est inscrit sur la
liste des organisations terroristes du
Département d’Etat américain et, depuis
mai dernier, sur celle du Conseil de
sécurité de l’ONU. On estime à 7 000 le
nombre des combattants qui s’en
réclament, syriens en grande majorité.
« C'en est fini du régime tel qu'il a
existé »
En septembre
dernier un rapport de l'IHS
Jane's
(institut et revue britanniques
spécialisés dans le renseignement)
estimait à 100 000 combattants
l’opposition armée syrienne, répartis en
un millier de brigades, dont un tiers se
réclamant de l’Armée
syrienne Libre (ALS). Depuis, les
organisations les plus importantes ont
quitté l’ALS
pour créer une nouvelle coalition
comprenant le
Front al-Nosra. Pour les groupes
islamiques radicaux, les opposants qui
participeraient à la conférence de
Genève-2 seront considérés comme des
« traîtres » et, en conséquence,
devront répondre de leurs actes devant
des tribunaux. Inutile de dire que ces
menaces en font réfléchir plus d’un.
Pour le communiste
Qadri Jamil
(3), vice-Premier ministre syrien,
limogé dernièrement par Bachar al-Assad
pour
« avoir quitté son lieu de travail
sans autorisation préalable» (!) -
en fait pour s’être entretenu à Genève
avec Robert Ford, responsable très
controversé du dossier Syrie au
Département d’Etat américain -
«ni l’opposition armée ni le régime ne
sont capables de vaincre le camp
adverse ». En septembre dernier,
Qadri Jamil estimait, dans une interview
accordée au quotidien britannique
The Guardian, que
« pour de multiples raisons concrètes,
c'en est fini du régime tel qu'il a
existé » (4). Reste à savoir si son
initiative genevoise n’est pas une
manœuvre de Moscou -
ou de Damas - pour diviser un peu
plus l’opposition syrienne dite modérée.
Sources:
(1)
Al Qaeda’s Nusra Front leader stays in
Syria’s shadows, par Zeina Karam and
Qassim Abdul-Zahra
(The National – 4/11/13)
http://www.thenational.ae/world/middle-east/al-qaedas-nusra-front-leader-stays-in-syrias-shadows#ixzz2jkza5HGd
(2) Ce pénitencier qui a compté
jusqu’à 28 000 prisonniers politiques,
était décrit par le quotidien suisse
Le Temps (6/11/09) comme « un
authentique camp de concentration au
plein sens du terme ». Les
prisonniers y étaient enfermés,
« sans jugement, sans avocat, sans même
un mandat d’arrêt », dans des
conteneurs et des tentes par 60° l’été
et -10° la nuit, l’hiver.
(Résistants prisonniers : La grande
évasion, par Gilles Munier
-
Afrique Asie – septembre 2010 :
http://0z.fr/zFZ7x )
(3) Exclu en 2000 du Parti
communiste syrien pour
« trotskisme », Qadri Jamil -
marié à la fille du Kurde Khalid
Bagdache, secrétaire général du parti de
1936 à sa mort en 1995 - a fondé le
Comité national pour l’unité des
communistes syriens. Il est membre
de la présidence du
Front Populaire pour le Changement et la
Libération qui regroupe des
opposants proches du régime de Bachar
al-Assad.
(4)
Syrian government says war has reached
stalemate
(The Guardian – 19/9/13)
http://www.theguardian.com/world/2013/sep/19/syrian-government-civil-war-stalemate
Sur le même sujet, lire aussi:
Mais où est donc
passée la résistance irakienne ?
http://0z.fr/wV158
La famille Assad doit partir, d’une
manière ou d’une autre
http://0z.fr/Yu3Jq
© G. Munier/X.
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Publié le 7 novembre 2013 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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