Opinion
Le Kurdistan irakien... à pas de loup
vers l'indépendance
Gilles Munier
Gilles
Munier
Mercredi 4 décembre 2013
L’avenir d’un plus grand Kurdistan se
joue actuellement dans sa partie
syrienne, auto-administrée par une
filiale du PKK, parti turc accusé de
terrorisme par l’Union européenne.
Le 16 novembre dernier, la visite
effectuée par Massoud Barzani à
Diyarbakir –
cœur du Kurdistan turc - a été
qualifiée d’ « historique »
par le Premier ministre Recep Tayyip
Erdogan, Clou des cérémonies, le
président de la Région autonome
irakienne était accompagné du grand
chanteur kurde Sivan Perwer, persona
non grata en Turquie depuis 37 ans.
A l’Hôtel de ville, il a salué Leyla
Zana, députée kurde turque accusée de
« collusion avec le PKK » qui voit
dans sa venue un motif d’espoir.
Emprisonnée 10 ans
(1994-2004) pour avoir parlé dans sa
langue natale au parlement, sa
participation à cette opération
séduction devrait permettre à l’AKP, le
parti d’Erdogan, d’engranger des voix
dans la perspective des élections
provinciales de mars 2014 en Turquie et
de relancer le processus de paix avec le
PKK qui piétine. Son leader, Abdullah
Öcalan, incarcéré
« à vie » sur l'île-prison
d'Imrali, dans la mer de Marmara,
réclame notamment la reconnaissance de
l’identité kurde et qu’Ankara cesse de
traiter son peuple de
« Turcs montagnards ».
La rencontre de Diyarbakir peut aussi
être interprétée sous un autre angle :
celui du rapprochement du Kurdistan
irakien majoritairement sunnite de rite
chaféite, avec la Turquie néo-ottomane,
et au-delà avec l’Europe et l’Otan. Le
commerce entre Ankara et Erbil est des
plus florissants. La région autonome qui
exportait illégalement son pétrole par
camions vers la Turquie et l’Iran a,
depuis septembre dernier, son propre
oléoduc, d’une capacité de 300 000
barils de pétrole par jour, aboutissant
au port turc de Ceyhan. Le Premier
ministre irakien Nouri al-Maliki, à
Erbil en juin dernier, n’est pas parvenu
à ce qu’il soit raccordé au pipeline
irakien vers la Turquie. Pour Barzani,
les puits de Khurmala et d’Avana de
l’immense champ pétrolier de Kirkouk
sont, de fait, sous sa juridiction et
l’attribution du troisième –
Baba Gurgur, et son Feu éternel brulant
depuis l’Antiquité – dépend de
l’application de l’article 140 de la
constitution irakienne de 2005 qui doit
décider du statut de la province qu’il
revendique.
Partage du gâteau kurde
Depuis la Première guerre du Golfe, le
Kurdistan irakien était dirigé par les
chefs de deux tribus féodales. Massoud
Barzani d’abord, fruit des amours de
Mulla Mustapha, son père légendaire,
avec Hamael -–
décédée en 2011 – fille de Mahmoud
Agha, chef de la puissante tribu Zebari,
mercenaire attitré des régimes de
Bagdad, qu’il voulait
neutraliser. L’autre : Jalal Talabani,
chef de l’Union
patriotique du Kurdistan (UPK) –
élu président irakien après le
renversement de Saddam Hussein – est
par ailleurs vice-président de
l’Internationale socialiste et allié
privilégié du régime de Téhéran. Les
conflits sanglants qui les ont longtemps
opposés ayant été en partie réglés par
Madeleine Albright, secrétaire d’Etat
étasunienne après la Première guerre du
Golfe, ils se sont réconciliés et ont
partagé le gâteau kurde 50-50, dans le
plus pur style des gangsters de Chicago.
Mais, passons… La santé fragile de Jalal
Talabani, puis son hospitalisation
d’urgence en Allemagne après une attaque
cérébrale en décembre 2012 ont laissé du
champ libre à Massoud Barzani pour
verrouiller le paysage politique kurde,
à tous les niveaux. Son fils Masrour,
conseiller pour la sécurité nationale,
est le véritable chef de l’Azayish,
redoutable service secret; son neveu
Nechirvan est Premier ministre du
gouvernement régional (GRK) et -
cerise sur le gâteau - Hoshyar
Zebari, ministre irakien des Affaires
étrangères est son oncle maternel. Mais,
cela n’a pas empêché ses opposants de
dire à leur manière
« Barzani, dégage ! » en refusant
qu’il se présente à la présidence pour
un troisième mandat. Il n’en tiendra pas
compte. Aux élections législatives
d’octobre dernier, son parti était
toujours en tête, mais la montée en
puissance du
Gorran (Mouvement pour le changement)
comme seconde force politique kurde,
sonne à ses oreilles comme un
avertissement.
Corrompu jusqu’à l’os
Massoud Barzani, 66 ans, est à une
croisée de chemin. Scolarisée en kurde,
et ayant choisi l’anglais comme seconde
langue plutôt que l’arabe, la jeunesse
réclame l’indépendance que lui ont fait
miroiter les dirigeants des guérillas
anti-arabes, avec d’autant plus d’ardeur
que la région autonome est,
potentiellement, la 6ème
puissance pétrolière du monde. Face à
cette attente, et à la déception d’une
population trouvant que les richesses
sont mal distribuées, le système
Barzani, corrompu jusqu’à l’os, n’a
d’autre solution que la fuite en avant.
Apparemment, Recep Erdogan ne voit
que des avantages dans le développement
et la marche du Kurdistan irakien vers
plus d’indépendance, même si c’est sur
le dos des Turkmènes irakiens : 2 à 3
millions de personnes habitant depuis
l’époque abbasside des régions
revendiquées par Barzani. Il espère sans
doute que les peshmergas irakiens
l’aideront à neutraliser ceux du PYD-PKK
en Syrie, comme son père Mustapha l’a
fait en Iran pour satisfaire le Chah. Un
parti kurde turc pro-Barzani serait en
voie de constitution.
L’influence des Kurdes pro-occidentaux
est plus importante qu’on ne le pense,
Arguant de leur origine aryenne, ils
rêvent de parvenir, un jour, à un accord
privilégié entre leur région devenue
Etat et l’Union européenne, et de couper
les amarres avec le Proche-Orient arabe
ou perse. C’est sans doute la carte
jouée maintenant par Massoud Barzani, à
cours d’imagination.
*Afrique Asie :
http://www.afrique-asie.fr/
et :
http://www.wobook.com/WBD84sk8pz2a-f
© G. Munier/X.
Jardez
Publié le 6 décembre 2013 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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