Irak
Mais où est donc
passée la résistance irakienne ?
Gilles Munier
Gilles
Munier
Samedi 2 novembre 2013
Le bilan des attentats sauvages d’Al-Qaïda
en Irak (AQI) est terrifiant. Le
massacre quasi quotidien de plusieurs
dizaines de civils chiites ouvre la voie
à la partition du pays sur des bases
confessionnelles. Est-il besoin de dire
au profit de qui ?
Plus de 6 000 Irakiens massacrés depuis
mars dernier selon l’ONU,
majoritairement civils et chiites, parmi
lesquels des pèlerins, des familles
entières assistant à des mariages ou aux
funérailles de parents, et dernièrement
14 enfants d’une école primaire turkmène
près de Tel Afar … Ces tueries à la
voiture piégée ont pratiquement toutes
été revendiquées par l’ « Etat
islamique en Irak (EII) », resiglé
EIIL en avril dernier, après
l’élargissement de son champ d’action au
« pays du Levant » (Syrie - Liban).
Son chef, un certain Ibrahim al-Badri -
alias Abou Bakr al-Baghdadi al-Koraichi
(du nom de la tribu du Prophète
Muhammad) - sème la terreur,
éliminant tous ceux qui lui barrent la
route, y compris des membres
d’organisations djihadistes : en octobre
dernier, de violents combats ont opposé
dans la
Vallée des cochons
(Wadi
al-Khanzeer)près de Kirkouk, l’EIIL
aux Kurdes d’Ansar
al-Sunnah, un des plus anciens
alliés d’Al-Qaïda
en Irak (AQI). On a l’impression de
revivre les années 2003-2006 quand le
Jordanien Abou Mussab al-Zarqaoui,
fondateur d’AQI,
cherchait à s’imposer dans la région
d’Al-Anbar et multipliait les attaques
contre les chiites. A l’époque, sa
cruauté et sa haine sectaire lui avaient
valu un rappel à l’ordre d’Oussama Ben
Laden et d’Ayman Zawahiri qui ne passent
pourtant pas pour des tendres. Il n’en
avait pas tenu compte.
Les milices Sahwa
Plutôt que de combattre seulement les
envahisseurs occidentaux, l’ « Etat
islamique en Irak » - fondé en juin
2006, après la mort de Zarqaoui - s’en
est pris à
l’Armée islamique en Irak et à la
Brigade de la Révolution de 1920,
organisations de résistance bien
implantées dans la région d’Al-Anbar.
Pour Izzat Ibrahim al-Douri, chef du
Baas clandestin, l’EII
était
« une pierre supplémentaire du programme
visant à diviser l’Irak », mais cela
ne l’empêcha pas, encore récemment, de
considérer les leaders d’AQI
comme
« des frères dans le djihad » et de
se rapprocher du royaume saoudien.
Autre conséquence des excès de l’EII :
la création des milices tribales
Sahwa, pro-américaines. Zarqaoui qui
collaborait avec des tribus hostiles à
l’occupation de l’Irak et aux chiites au
pouvoir à Bagdad, décida brusquement de
mettre au pas les cheikhs et les imams
trop indépendants à son goût et de leur
imposer un mode de vie islamique qu’ils
refusaient. Quand les menaces ne
suffisaient pas, il les faisait
assassiner, bien qu’il sache que toute
personne abattue –
a
fortiori un cheikh - sera vengée
comme l’exige le
thâ’r, tradition remontant à
l’époque préislamique.
Le meurtre du cheikh de la tribu Albu
Risha eut pour prolongement automatique
la montée aux créneaux de son fils Abdul
Sattar, personnalité tribale de moindre
importance, mais qui voulait venger le
meurtre de son père rapidement et à
n’importe quel prix. En quelques
semaines, avec l’aide des
Marines chargé de
« pacifier » Al-Anbar, il créa le
Conseil de l’Eveil regroupant des
chefs de tribus anti-Zarqaoui, dont les
Albu Fahd de Ramadi et les Albu Mahal
d’Al-Qaïm qui avaient soutenu
AQI jusque-là. Les
Marines n’en espéraient pas tant.
Résultat : en septembre 2008, quand John
Kelly, commandant des
Marines, transféra symboliquement
ses pouvoirs à Mamoon Sami Rashid,
gouverneur de la province, la résistance
était laminée.
Mécréants à éliminer
Abou Bakr Al-Baghdadi, proclamé
«émir des Croyants » par ses
partisans, est sur la même longueur
d’onde que ses prédécesseurs. Pour lui,
« il n’y a de bons chiites que de
chiites morts ». Soutenu, dit-on,
par l’Arabie saoudite et des
milliardaires du Golfe, l’EIIL
ne manque ni d’armes ni d’argent,
surtout depuis le déclenchement de la
crise syrienne et le soulèvement des
sunnites d’Al-Anbar marginalisés par le
pouvoir de Bagdad. Dernièrement,
peut-être épouvanté par les massacres
incessants de civils chiites et par
l’image exécrable qu’ils donnent de la
résistance, Izzat Ibrahim a condamné les
attentats indiscriminés contre les
forces armées, la police et les
fonctionnaires civils. Depuis, l’EIIL
a redoublé de violence. Al-Baghdadi se
moque éperdument de ce genre de
déclaration. Al-Douri et les Hommes
de la Naqshbandiyya
-
nom d’une organisation soufie du
Front du Djihad et de la Libération
qu’il préside – sont pour lui des
Koufar, des mécréants à
éliminer le jour venu.
Al-Anbar, pays des Doulaym
La région d’Al-Anbar
tire son nom d’une citadelle perse
située près de Falloujah, transformée en
dépôt de céréales en 634 par les troupes
musulmanes qui s’en étaient emparées. La
ville qui l’entourait servit de
résidence au calife Mansour pendant la
construction de Bagdad.
Al-Anbar, traversée
par l’Euphrate, est la plus vaste
province d’Irak
(138.000 km2, le tiers du pays). Ses
principales villes sont Abou Ghraïb,
Ramadi, Falloujah, Rawa, Anah,
Haqlaniyah, Haditha, Hit, et -
situées à ses confins - Rutba et Al-Qaïm
sur l’ancienne route des caravanes vers
la Jordanie et la Syrie. Sous Saddam
Hussein, sa population était estimée à 2
millions d’habitants.
Al-Anbar est
peuplée, en grande partie, par les
tribus de la puissante Confédération des
Doulaym, un regroupement de plus d’un
millier de clans majoritairement
sunnites de rite hanafite, une école de
l’islam laissant une place importante à
une interprétation personnelle du Coran.
En 2003, la région était un des creusets
de la résistance, jusqu’à ce que les
excès religieux et criminels du
Jordanien Al-Zarqaoui, chef d’Al-Qaïda
au Pays des deux fleuves, dressent
des chefs de tribu et une partie de la
population contre lui.
Les Marines prennent Al-Anbar
Aux Etats-Unis,
« The Marines take Anbar»(1) de
Richard Shultz, directeur du
Centre national d’information
stratégique à Washington, est déjà
un des ouvrages incontournables pour qui
s’intéresse à la guerre
contre-insurrectionnelle au
Proche-Orient et à ses conséquences.
Les
Marines chargés, en mars 2004, de
« sécuriser » la province d’Anbar,
haut-lieu de la résistance, durent
improviser. Le nombre et l’organisation
des
« insurgés » avaient été
sous-estimés. La CIA était incapable de
distinguer les
« bons » des
« méchants » ! Au Pentagone, une
tribu arabe n’était rien d’autre qu’une
bande d’arriérés corrompus. Aussi
étonnant que cela puisse paraître,
l’Etat-major US n’avait pas de plan
sérieux de gestion de l’après-guerre.
Or, pour
« Nettoyer, tenir, et reconstruire »,
les
Marines se devaient de contrôler les
villes, toutes tenues par la résistance.
Al-Qaïda d’Abou Moussab Al-Zarqaoui
et la
Brigade de la Bannière noire dirigée
par Omar Hussein Hadid -
un djihadiste condamné à mort par
contumace sous Saddam Hussein – y
étaient comme un poisson dans l’eau.
L’ordre de prendre
Falloujah leur fut donné en avril 2004,
après le lynchage de quatre mercenaires
de la société
Blackwater. La bataille qui
s’ensuivit se solda -
selon des médias arabes - par près
de 600 civils tués et des milliers de
blessés. Mais, comme la résistance
gardait le contrôle de la ville, une
seconde offensive baptisée « Fantôme
furieux », d’une sauvagerie
incroyable, fut lancée en novembre
suivant, hors de la vue des médias, avec
utilisation de bombes à phosphore blanc.
Iyad Allaoui, Premier ministre, couvrit
l’opération …
« le cœur lourd ». Plus de 6000
civils y laissèrent la vie.
Comme entrée en
matière, il y a mieux, surtout pour
« gagner les cœurs et les esprits »…
Les
Marines remplirent en grande partie
leur mission grâce aux milices
Sahwa, et en s’inspirant des
méthodes rodées par les
Sections administratives spécialisées
(SAS) pendant la guerre d’Algérie.
(1)
Naval Institute Press, Anapolis,
Maryland, 2013
* Source:
http://www.afrique-asie.fr
Sur le même sujet, lire aussi :
Al Moqawama, an V
(juillet 2008)
http://0z.fr/AlSfH
Facettes cachées d’Al-Qaïda au Pays des
deux fleuves
(avril 2008)
http://0z.fr/H0AgA
Résistance irakienne : l’omerta
médiatique
(mai 2010)
http://0z.fr/MX3pi
© G. Munier/X.
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Publié le 4 novembre 2013 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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