Actualités du
droit
Représentation du Prophète :
Essayons de ne pas tout confondre…
Gilles Devers
Jeudi 22 janvier 2015
Lors une soirée passée avec de
bons copains imans, nous avons eu une
discussion sur la représentation du
Prophète, et je vous en livre la saveur.
1/
Peut-on faire des
représentations du Prophète ? Le
consensus émotif blanc-blanc a décrété
qu’on ne peut pas, histoire de pouvoir
se plaindre contre les obscurantistes
génétiques que seraient les musulmans,…
sauf que c’est tout faux. La confusion
est entretenue à perte de vue, avec pour
emblème cet ahuri de Plantu et son beau
dessin « je ne peux pas dessiner le
Prophète »…
En fait c’est d’une
simplicité biblique : la question des
préceptes religieux ne se pose que pour
les membres de la religion. Tu piges,
mon pote ? Ainsi, la question « Peut-on
représenter le Prophète ? » ne se pose
que pour les musulmans, et tout le reste
– qui est la matière philosophique de
Charlie – relève de la débilité pure
et dure. Ça n’a aucun sens, pas plus que
se demander : « Les non-musulmans
doivent-ils faire le ramadan ? » Donc,
des gus se créent un combat mythique de
« défendre la laïcité » alors que la
matière de leur combat n’est même pas
une question. Les rois de la gonflette
laïcarde…
2/
C’est donc une
question pour les musulmans, et là on
trouve de vraies divergences. N’imaginez
pas un instant que je vais me livrer ici
au petit jeu de la citation des versets
ou de hadits… comme je le vois
tous les jours la presse, molle et
ignorante. Ils lisent les textes
religieux comme des recettes de cuisine,
c’est juste pitoyable. L’interprétation
de ces textes, dans toutes les
religions, relèvent de grands savants,
les maîtres de la théologie. Un peu de
respect… Donc, je n’ai pas à analyser,
mais juste à constater, ce qui est la
seule attitude correcte devant
l’affirmation des croyances. A-t-on
songé à radier de l’Ordre des médecins
un obstétricien catholique, car il croit
à la Nativité et la Sainte Vierge ?
Alors, ce constat.
Pour faire simple, les sunnites – très
majoritaires en France – estiment ne
pouvoir représenter le Prophète, ce qui
correspond à leur doctrine religieuse,
n’autorisant pas d’intermédiaire entre
le fidèle et Dieu, alors que les chiites
acceptent ces représentations. Cela
souligne, m’explique-t-on de manière
convaincante, les différences entre ces
deux familles de l’Islam, les sunnites
n’ayant pas de clergé, à l’inverse des
chiites. Bien sûr, la question est plus
complexe, mais la principale ligne
d’analyse est là. D’ailleurs les
nombreuses images du Prophète que l’on
trouve viennent pour l’essentiel de
Perse ou d’Iran.
3/
Vient ensuite une
troisième question, distincte, qui n’est
pas la représentation du Prophète, mais
sa caricature. Et là, c’est RTL – la
pouponnière de Zemmour – qui découvre
l’eau tiède : « Peut-on, choquer au nom
de la liberté d’expression ? » Grande
question, les petits,… car c’est tranché
depuis l’arrêt Handyside de la
CEDH du 7 décembre 1976 (n° 5493/72):
« La liberté d’expression constitue l’un
des fondements essentiels d’une société
démocratique, l’une des conditions
primordiales de son progrès et de
l’épanouissement de chacun. Elle vaut
non seulement pour les informations ou
les idées accueillies avec faveur, ou
considérés comme inoffensives ou
indifférentes, mais aussi pour celles
qui heurtent, choquent ou inquiètent
l’Etat ou une fraction quelconque de la
population. Ainsi le veulent le
pluralisme, la tolérance et l’esprit
d’ouverture sans lesquels il n’y a pas
de société démocratique ».
Donc écrivez et
publiez, tartinez des pages et des
pages : nous avons besoin que toutes les
idées, même pouraves, soient sur la
table, car c’est le seul moyen de les
connaître pour les combattre.
Après tout autre
est la question du discrédit, de la
violence faite au sentiment religieux.
Notamment par des caricatures
lourdingues, juste faites pour
provoquer, avec 1% d’idée et 99% de
dénigrement. Cette question est elle
aussi tranchée, et depuis longtemps. La
liberté d’expression comporte des
limites et des responsabilités, et c’est
le problème de Charlie s’il se
proclame journal irresponsable. Une
fanfaronnade ne crée pas le droit, et le
droit applicable – désolé de casser
l’ambiance victimaire – ne vient pas des
fatwas mais de la
jurisprudence du droit commun.
Et là, c’est
clair : l’article 9 de la Convection EDH
prend en compte le droit à la protection
des sentiments religieux, en tant que
composante de la liberté religieuse.
Bien sûr, les croyants doivent tolérer
et accepter le rejet par autrui de leurs
croyances religieuses et même la
propagation de doctrines hostiles à leur
foi. C’est le principe même de la
liberté. Mais, comme le précise l’arrêt
Otto-Preminger-Institut c. Autriche
(20 septembre 1994, série A n° 295-A)
la manière dont les croyances
religieuses font l’objet d’une
opposition ou d’une dénégation est une
question qui peut engager la
responsabilité. Le recours à des
méthodes de dénégation des croyances
religieuses peut aboutir à dissuader
ceux qui les ont d’exercer leur liberté
de les avoir et de les exprimer, et des
limites doivent être fixées.
D’une manière plus
générale, un Etat peut estimer
nécessaire de prendre des mesures pour
réprimer certaines formes de
comportement, y compris la communication
d’informations et d’idées jugées
incompatibles avec le respect de la
liberté de pensée, de conscience et de
religion d’autrui (CEDH, Kokkinakis
c. Grèce, 25 mai 1993, n°
14307/88). Le respect des
sentiments religieux des croyants, qui
est garanti par l’article 9, doit être
protégé des représentations
provocatrices d’objets de vénération
religieuse, de telles représentations
caractérisant une violation malveillante
de l’esprit de tolérance, indispensable
dans une société démocratique (CEDH,
Otto-Preminger-Institut). La CEDH
dans cette affaire, qui reste de
principe, a estimé valides les
dispositions du code pénal autrichien
sanctionnant des comportements dirigés
contre les objets de vénération
religieuse lorsqu’ils sont de nature à
causer une « indignation justifiée ».
Est ainsi parfaitement acquis le droit
pour les citoyens de ne pas être
insultés dans leurs sentiments
religieux.
Je suis un
Pakistanais…, et européen accompli.
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