L'actualité du
droit
La mort de Zyed et Bouna :
Relaxe des policiers, et faute de l’Etat
?
Gilles Devers
Mercredi 20 mai 2015
Le jugement de
relaxe du tribunal correctionnel de
Rennes, l’empressement du procureur à
dire qu’il ne ferait pas appel – logique
car il a requis la relaxe de longue
date, mais bon – , les cinglés de la
Droite pro-FN – de fifille Le Pen à
Estrosi – et le PS qui regarde ses
pompes, cette affaire est un massacre,
qui va laisser des traces douloureuses,
et pendant longtemps. Aujourd’hui, je ne
prends pas position. J’essaie de
retracer les faits et ce qu'a été
l’appréciation du tribunal, de manière
objective, et que chacun se fasse
ensuite son opinion. Avec juste quelques
commentaires.
Pascale a publié
les principaux extraits du
jugement du tribunal de Rennes.
1/ Les faits
Une dizaine de
gones venaient de jouer au foot sur un
terrain voisin de Livry-Gargan. Ils
s’amusent tranquillement – ce qui est
établi – mais un employé du funérarium
estime que ça ne va pas, et avertit le
commissariat à 17 h 21. Deux minutes
plus tard – appréciez la réactivité de
la police – une voiture de la BAC
débarque. Deux gosses sont arrêtés. Les
autres dégagent le terrain, l’équipage
lance un appel radio, et cinq voitures
de police affluent, car une grande
affaire de criminalité est en cours,
c’est évident. Sur place
14 fonctionnaires, et 4 autres sont à la
radio, à distance. Deux autres gosses
sont arrêtés, ce qui fait quatre au
total.
Six autres
continuent leur course. Un parvient à
échapper à la police, et cinq entrent
dans un petit bois qui entoure la
centrale EDF. Aujourd’hui, les chiffres
sont clairs, mais selon le tribunal, les
fonctionnaires n’avaient pas d’idée
précise des fuyards, plutôt estimés
entre deux ou trois.
La BAC suit : «On
est sur le terrain vague qui se situe à
côté du site EDF […] On va continuer
notre progression pour rejoindre le site
EDF.» Les jeunes traversent le bois
à vive allure, se dirigent vers un petit
cimetière, seule issue vers la rue des
Prés. Mais une voiture de police surgit
là aussi.
Il est 17 h 31,
l’équipage de police annonce : « On
vient d’avoir l’information comme quoi
il y aurait des jeunes qui couraient au
niveau du cimetière, qui donne sur le
terrain vague. Nous, on est sur place.
Ramenez du monde.» Toujours aucune
idée d’une infraction quelconque
qu’aient pu commettre les jeunes, mais
peu importe...
Les cinq jeunes
reculent dans le bois et se séparent.
Harouna et Sofiane se cachent parmi les
tombes, alors que Zyed, Bouna et
Muhittin partent de l’avant.
A 17 h 32, nouvel
appel radio : «Deux individus sont
localisés. Ils sont en train d’enjamber
pour aller sur le site EDF. Il faudrait
cerner le coin… Oui je pense qu’ils sont
en train de s’introduire sur le site
EDF… Il faudrait ramener du monde, qu’on
puisse cerner un peu le quartier quoi.
Ils vont bien ressortir… En même temps,
s’ils entrent sur le site EDF, je ne
donne pas cher de leur peau.»
Pour le tribunal,
cela n’établit pas que les
fonctionnaires savaient, avec certitude,
que des jeunes étaient entrés sur le
site, et bon, franchement, la rédaction
aurait pu être plus convaincante.
Pour le tribunal,
tout se joue là, estime que les
policiers n’ont jamais eu conscience que
des jeunes étaient effectivement entrés
sur le site.
Les policiers
retournent vers le cimetière, et
interpellent Harouna et Sofiane, qui
étaient restés cachés. Il est 17 h 40 : «Interpellation
de deux individus : un, type africain,
habillé en bleu ; un, type NA, donc au
cimetière de Clichy.» Bilan :
six interpellations, un qui a déguerpi
Yahya, et trois – Zyed, Bouna et
Muhittin – qui restent cachés dans le
transformateur, ça ne colle pas. Mais
pour le tribunal, les fonctionnaires
n’avaient pas une juste idée de ce
qu’était le groupe, et pensaient avoir
arrêté les fuyards, étant précisé qu’ils
n’avaient pas de signalement des
personnes.
A 17 h 47, le
fonctionnaire se rend devant l’entrée de
la centrale, car il reste un doute sur
deux des jeunes qui ne seraient pas ceux
arrêtés. Là, il y a conscience d’un
doute, comme l’écrit le tribunal (page
33), ou conscience du danger comme le
soutiennent les parties civiles. Tout se
joue sur cette période de quelques
minutes. Le policier grimpe sur une
poubelle pour jeter un œil, puis sur une
armoire électrique. Il ne voit rien, et
fait demi-tour. A-t-il lancé un
appel pour alerter les jeunes qui
possiblement sont là ? Cela ne ressort
pas du jugement. Mais s’il ne lance pas
cet appel, c’est qu’il croit qu’il n’y a
personne, pense le tribunal. Aussi, le
policier n’envisage pas de saisir EDF,
qui aurait pu être là dans les quinze
minutes, comme l’indique le rapport de
l’IGAS.
A 18 h 12, après
trois quarts d’heure passés dans une
sorte d’abri, Zyed et Bouna
s’électrocutent en effleurant le
cylindre de la réactance, et meurent.
Muhittin est brûlé par la chaleur
produite par l’arc électrique, mais il a
la vie sauve. L’électrocution provoque
une chute de tension du réseau
électrique de la ville.
Appelés, les
pompiers arrivent vers 19 heures.
Les familles sont
invitées à venir chercher leurs enfants
au commissariat, car il n’y a rien à
leur reprocher. «Aucun délit, ni
tentative de délit n’avaient été commis
par les jeunes», dit le dossier.
2/ Les réactions
La palme de la
connerie à ce pro-FN d’Estrosi qui parle
de délinquants en excès de vitesse. Ils
n’avaient pas de casier, et étaient à
pied. Maire de Nice, et grand boss de
l’UMP, ce cinglé, c’est quand même
grave.
Fifille Le Pen nous
fait un gros délire : « ce verdict
prouve que la racaille avait bien mis la
banlieue à feu et à sang par plaisir et
non à cause d'une bavure policière ».
Le PS n’a rien à
dire. Il prépare pour jeudi son vote sur
le congrès, alors…
L’avocat Mignard,
grand ami de Hollande, pète une durite
en direct en parlant d’apartheid
judiciaire… Sans doute un peu vexé, car
le tribunal, page 37, lui fait une leçon
limpide sur le lien de causalité au
civil, alors qu’il confond causalité
directe et perte de chances.
3/ Juste quelques
commentaires
- Cette affaire –
dix ans pour arriver à ce résultat –
montre une justice hors-course. Je ne
parle pas du jugement, impossible à
critiquer professionnellement sans avoir
le dossier, mais du fonctionnement. Dix
ans pour une telle affaire, jugée en
quarante pages, ça ne va pas, mais alors
pas du tout. Tout est à revoir.
- Les victimes
peuvent faire appel, dans les dix jours.
Comme le parquet ne suit pas, l’affaire
sera jugée « comme au pénal », mais sans
les peines. Mais il faut le faire.
- Les déclarations
de la défense sur l’apartheid judicaire
sont déplacées et irresponsables.
L’avocat était peut-être vexé de s’être
pris une irrecevabilité au civil, mais
ce n’est pas une raison. Ajouter de
l’incompréhension à l’incompréhension,
c’est jouer avec le feu.
- Les poursuites
étaient fondées sur la non-assistance à
personne en danger, qui est un délit
intentionnel, supposant de prouver
l’intention de nuire. Aussi, une
négligence du policier ne suffisait pas…
Il fallait prouver qu’il avait la pleine
conscience du danger, donc qu’il était
sûr que trois gosses étaient sur le site
EDF, et qu’en connaissance de cause de
ce risque vital, il avait choisi de ne
pas alerter EDF. Aussi, il faut bien
distinguer les deux hypothèses: un jeune
policier mal-informé et qui manque de
diligence, pour ne pas éliminer la
possibilité de jeunes sur le site EDF,
on peut en parler ; mais dire que le
policier sait que les jeunes sont
exposés à un risque vital et qu’en toute
conscience, il ne fait rien, c’est une
autre paire de manches.
- On verra en
appel, si appel il y a, ce qui sera jugé
des fautes personnelles des policiers,
mais je suis très surpris – pour ne pas
dire plus – que pendant ces dix ans, la
défense n’ait pas engagé devant le
tribunal administratif un recours pour
la faute de l’Etat dans la gestion de
cette situation. Et sur ce plan, il faut
rechercher la faute tant dans cette
irruption massive de policiers pour des
mineurs qui jouaient et n’avaient commis
aucune infraction, que pour un manque de
vigilance à ne pas avoir fait lancé un
appel au cas où des gosses se seraient
introduit sur le site EDF pour leur dire
de se tenir tranquilles vu le risque, et
pour ne pas avoir appelé EDF, qui aurait
pu entrer sur le site. Un jugement
devant le tribunal administratif pour
une faute de l’Etat, ça se joue en
dix-huit mois…
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