L'actualité du
droit
Mohammed Allan :
L’affaire relève de la Cour Pénale
Internationale
Gilles Devers
Jeudi 17 septembre 2015
Mon excellent
confrère Mohamed Allan, du Barreau
de Palestine, exerce à Naplouse, sa
ville natale. Il est inscrit au Barreau,
ce qui signifie qu’il a les compétences
professionnelles et qu’il répond aux
exigences légales et morales permettant
cette inscription. Il a été arrêté le 6
novembre 2014 par les services
israéliens, et je n’ai jamais lu une
ligne disant le Barreau avait engagé une
procédure contre lui. Mon analyse est
fondée sur le droit, et voici donc un
point acquis : selon le droit
palestinien, aucun reproche ne peut être
fait à ce citoyen palestinien dans son
mode d’exercice et dans sa vie
personnelle.
Deux
violations graves du droit international
Mohamed Allan
a été arrêté le 6 novembre 2014 à
Naplouse qui, selon le droit
international, est une terre
palestinienne soumise à l’occupation
militaire. C’est la puissance occupante
qui s’est chargée de l’arrêter, et là
deux illégalités flagrantes ont été
commises.
D’abord,
Mohamed Allan ne s’est vu notifier
aucune charge. Dans tous les pays du
monde, lorsque la police arrête
quelqu’un, elle le fait soit en flagrant
délit, soit sur un ordre du juge, et
elle notifie immédiatement les griefs à
la personne. Or, rien n'a été fait.
Mohamed Allan a été placé sous
le régime de la détention
administrative, qui permet de
maintenir détenue une personne par
période de six mois, selon un ordre non
motivé, sans justification, sans accès
au dossier, sans jugement et sans voie
de recours.
Ensuite,
Mohamed Allan a été transféré sur le
territoire israélien. Or, les
Conventions de Genève, qui sont
applicables comme l’a très bien expliqué
la
Cour Internationale de Justice,
autorisent la puissance occupante à
arrêter et juger des personnes
commentant des infractions à son
encontre, mais le jugement et la
détention doivent avoir lieu sur le
territoire occupé. Donc, comme tous les
détenus sont transférés, tous les
jugements et toutes les détentions sont
illégales.
La
détention administrative, l’arbitraire
parfait
La détention
administrative, c’est monnaie courante
dans la « seule démocratie du
Proche-Orient ». À ce jour, on estime à
400 le nombre de personnes placées dans
cette situation, avec des périodes fixes
de six mois, renouvelées sans motif.
Mon excellent
confrère Mohamed Allan avait supporté
les six premiers mois, mais il refusé le
renouvellement, et il avait alors
utilisé le seul droit resté à sa
disposition : le droit de faire grève de
la faim.
Il a été
d’une détermination totale, et à près de
deux mois de grève de la faim, il a dû
être hospitalisé à l’hôpital d’Ashkelon.
Au 65e jour, soit le 19 août
2015, parce que sa vie était en danger
immédiat, la Cour suprême d’Israël a
suspendu la mesure de détention, au
motif qu’elle était incompatible avec
l’état de santé. Suspendu et non pas
annulé : ce qui veut dire que la Cour
n’avait rien à redire à ce régime de
détention administrative,… ce qui situe
le niveau de pertinence de cette «
juridiction ».
La
Cour suprême valide la détention
administrative
L’arrêt de la
Cour était clair : la mesure de
détention allait reprendre son cours dès
que l’état de santé de Mohamed Allan le
permettrait. C’est exactement ce qui est
arrivé.
Mohamed Allan
a cessé sa grève de la faim, et il a
récupéré à l'hôpital Barzilaï, à
Ashkelon. L’hôpital avait délivré une
autorisation de transfert vers l’hôpital
de Naplouse, mais lundi les policiers
sont venus arrêter Mohamed Allan au
moment où il quittait l’établissement.
Mon confrère a été transféré à Ramla,
dans la banlieue de Tel-Aviv, où il est
à nouveau détenu. C’est donc reparti
jusqu’à l’expiration de la période de
six mois, prévue pour le 18 novembre,
avec un renouvellement possible, décidé
le dernier jour.
Ses avocats
ont indiqué qu’ils allaient à nouveau
saisir la Cour suprême. Vu l’arrêt rendu
le 19 août 2015, la marge de manœuvre
est plus que limitée : la Cour va
constater que l’état de santé est
redevenu compatible avec la détention…
La
CPI compétente pour la Palestine
Là où les
choses changent, c’est que tous les
Palestiniens bénéficient désormais d’un
recours devant la Cour Pénale
Internationale (CPI). Depuis le 1er
avril 2015, la Palestine est un
Etat-membre de la CPI, et la CPI a donc
compétence pour tous les crimes définis
par le statut et commis sur le
territoire de l’État de Palestine.
Le dossier « Palestine » ne
bouge pas, et déjà on fait les reproches
au Procureur, Fatou Bensouda. C’est un
point à discuter, mais franchement, ce
n’est pas l’essentiel. L’essentiel est
que le gouvernement palestinien n’a
toujours pas déposé plainte pour les
crimes commis contre sa population. Il y
a des discours, des déclarations, des
travaux de commission… mais pas de
plainte ! Le gouvernement a sûrement ses
raisons, et ici, je ne me mêle pas de
politique. Mais, sur le plan de la
procédure, c’est là que ça bloque.
Pour être précis, le
gouvernement de Palestine n’a pas fait
usage de l’article 14 du statut :
"Article 14. Renvoi d'une
situation par un État Partie
"1. Tout État Partie peut
déférer au Procureur une situation dans
laquelle un ou plusieurs des crimes
relevant de la compétence de la Cour
paraissent avoir été commis, et prier le
Procureur d'enquêter sur cette situation
en vue de déterminer si une ou plusieurs
Statut de Rome de la Cour pénale
internationale 12 personnes identifiées
devraient être accusées de ces crimes.
"2. L'État qui procède au
renvoi indique autant que possible les
circonstances pertinentes de l'affaire
et produit les pièces à l'appui dont il
dispose".
Alors bien sûr, on peut
toujours faire des reproches au
Procureur, qui peut agir de sa propre
initiative. Mais il faut quand même
comprendre le problème : est-il
raisonnable d’engager une procédure
quand manifestement le gouvernement n’en
veut pas ?
La société civile peut
agir (Art. 15.1)
Alors y a-t-il d’autres
possibilités ? Oui, il y a celle très
intéressante offerte par l’article 15.1
du statut. Aux termes de ce texte, « Le
Procureur peut ouvrir une enquête de sa
propre initiative au vu de
renseignements concernant des crimes
relevant de la compétence de la Cour ».
Donc, des particuliers adressent des
plaintes circonstanciées au Procureur,
qui peut décider d’enquêter.
Quand c’est le gouvernement qui
agit, il « dépose plainte », ce qui en
pratique oblige le Procureur, car le
statut permet alors au gouvernement de
prendre des initiatives, et notamment de
faire appel des décisions du Procureur.
Rien de tel avec l’article
15.1: le Procureur agit de sa propre
initiative. Il faut donc compenser par
une solide organisation, de nature à
contourner l’immobilisme du gouvernement
palestinien, mais c’est jouable. 400
personnes en détention arbitaire qui
adressent une plainte circonstanciée au
Procureur,... ça ne resterait pas sans
suite ! On l’oublie, mais le 16 janvier
2015, le Procureur a ouvert dans ce
cadre procédural un examen préliminaire
de la situation en Palestine. L’examen
préliminaire est la phase préalable à
l’ouverture d’enquête, et ce qui est en
cause c’est l’agression militaire
d’Israël sur Gaza lors de l’été 2014.
Cet examen préliminaire progresse peu,
mais il n’est pas sûr que les reproches
soient pour le procureur, dans la mesure
où il n’y a pas de plainte de l’État de
Palestine.
Soumettre la détention
administrative à la CPI
Il donc tout à fait possible de
soumettre au Procureur la question des
détentions administratives. Toutes les
personnes détenues sous ce régime, et
toutes celles qui ont été détenues après
le 1° avril 2015, sont aptes à déposer
des plaintes. Si c’est véritablement un
mouvement d’ensemble, porté par la
situation dramatique de Mohamed Allan,
s’organisant dans un travail construit
répondant aux méthodes de la Cour, il
serait assez difficile pour le Procureur
de ne donner aucune suite. Et puis
regardons avec pragmatisme comment les
affaires bougent : pas après pas…
calmement et avec méthode. Toute avancée
dans la procédure serait un grand
progrès.
Les crimes commis
Le statut de la CPI définit
comme crimes de guerre :
- Art. 8, 2, a, vi), le fait de
priver intentionnellement un prisonnier
de guerre ou toute autre personne
protégée de son droit d'être jugé
régulièrement et impartialement.
- Art. 8, 2, a, vii), la
déportation ou le transfert illégal ou
la détention illégale.
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