L'actualité du
droit
Etat d’urgence : De premiers
bilans pitoyables
Gilles Devers
Mercredi 16 décembre 2015
Dénoncé dès l’origine comme un abus,
car l’état du droit existant ne
justifiait en rien d’entrer dans ce
régime d’exception, l’état d’urgence
devrait être levé depuis longtemps :
l’état de droit est fort, car il repose
sur le ciment des libertés, et la remise
en cause institutionnelle de l’état de
droit qu’est l’état d’urgence est
une erreur fondamentale, et le
consensus qui a suivi l’adoption de
cette mesure est une défaite collective
de la pensée.
Mais en plus, l’état d’urgence
n’apporte aucun résultat tangible dans
la lutte contre les réseaux terroristes,
car le gouvernement est totalement
à côté de la plaque dans ses analyses.
En cherchant ce qui n’existe pas… il ne
trouve rien, ce que montrent les
premiers bilans.
Je reproduis ici un
bilan très complet fait par Libération,
et au préalable, je vous invite à litre
sur
le site du Monde cette incroyable
histoire des mesures prises contre un « salafiste
catholique »… Etre obligé de justifier
de sa religion pour retrouver ses
libertés… Une catastrophe
signée par la SFIO.
«Libération» dresse un premier
bilan – entre perquisitions,
assignations à résidence abusives,
manifestations interdites, ciblage des
militants… – de cette mesure décrétée
dès le soir des attentats du
13 Novembre, puis prolongée pour trois
mois.
L'état
d'urgence, un mois après
Le 13 novembre au soir,
quelques minutes avant minuit, au moment
où des attentats ensanglantent Paris et
Saint-Denis, le président de la
République, François Hollande, décrète
l’état d’urgence. Ce dernier élargit
sensiblement les pouvoirs des préfets de
police, qui peuvent notamment procéder à
des perquisitions nuit et jour sans
autorisation d’un juge. Ils peuvent
aussi établir un couvre-feu, prononcer
des interdictions de séjour et des
assignations à résidence, et interdire
les rassemblements sur la voie publique,
comme les manifestations.
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d’urgence, mode d’emploi
Un mois plus tard, et alors que
cet état d’urgence a été prolongé pour
trois mois – jusqu’à fin février –, quel
en est le bilan ?
Des
nombres
Le ministère de l’Intérieur
publie régulièrement un bilan des
perquisitions administratives effectuées
dans le cadre de l’état d’urgence. Selon
le dernier bilan, daté du mardi 15
décembre, ont été effectuées depuis le
13 novembre :
- 2 700 perquisitions
administratives
- 360 assignations à résidence
- 34 personnes interpellées,
dont 287 placées en garde à vue
- 431 armes saisies, dont
41 «armes de guerre»
Le tout pour un total de deux
enquêtes préliminaires ouvertes. La
Place Beauvau ne donne aucun détail par
département. La presse locale, en
revanche, se fait souvent l’écho des
perquisitions. La Quadrature du Net a
ouvert un Wiki collaboratif quasi
exhaustif des articles parus, notamment
dans la presse quotidienne régionale
(PQR).
Perquisitions à tout va
«Chou blanc» :
c’est le mot qui revient régulièrement
dans la presse locale quand elle
rapporte des perquisitions nocturnes. A
Nancy (Meurthe-et-Moselle), par exemple,
dans la soirée du 20 novembre, un homme
soupçonné d’avoir des liens avec les
milieux islamistes radicaux a été
perquisitionné, sans que les gendarmes
découvrent quoi que ce soit chez lui ou
dans le box attenant à son domicile, ni
dans ses ordinateurs ou ses téléphones, rapportait l’Est
Républicain. Un cas d’une
terrible banalité, pris quasiment au
hasard, tant ils sont nombreux.
«On ne fait pas mouche à
tous les coups, loin de là. Le principe
de ces perquisitions, c’est de taper
large», admettait
le 23 novembre un préfet à Libération. L’état
d’urgence «permet d’aller voir chez
des dealers repérés depuis longtemps», reconnaissait
quelques jours plus tard un agent de
la brigade des stupéfiants. Des dealers,
et pas seulement : dans le cadre de la
COP 21, ont été particulièrement visés
les militants écologistes (nous y
revenons plus bas), mais aussi
principalement musulmans, dont les
éventuels liens avec les milieux
jihadistes étaient loin d’être avérés.
Plusieurs individus perquisitionnés
affirment pratiquer un islam modéré et
dénoncent fermement les attentats du
13 Novembre, comme cet
homme, trésorier d’une association
musulmane et éducateur sportif dans la
Sarthe. Dans certains cas, comme
celui de ce
sexagénaire d’origine marocaine placé en
garde à vuepour une soi-disant photo
de la préfecture d’Arras, le délit de
faciès semble évident.
On ne compte plus non plus les
articles qui relatent, photos à l’appui,
les dégâts matériels causés par les
opérations de police : portes défoncées,
meubles renversés, matelas tailladés ou
même ampoules cassées. Le 2 décembre, un
article de Rue89 Strasbourg relatait
qu’une
descente de police chez un
Strasbourgeois de 80 ans avait rendu
son appartement inhabitable. L’homme
était visé parce que deux membres de sa
famille avaient été contrôlés au faciès,
transportant du bicarbonate de sodium,
que les autorités ont pris pour de la
drogue… Là encore, le cas est loin
d’être exceptionnel. «Le serrurier
nous l’a bien dit : "En ce moment, on
n’arrête pas !"» racontait
le 9 décembre au Monde.fr une femme
visée par une perquisition, alors, une
nouvelle fois, que rien ne pouvait être
retenu contre elle.
Il n’y a pas que des
domiciles : des mosquées,
à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis),
Brest (Finistère) ou encore Montpellier
(Hérault), mais aussi des associations
musulmanes ainsi que des
restaurants-kebab ou des établissements
halal sont aussi concernés. A Pontarlier
(Doubs), la police a certes trouvé dans
un restaurant-kebab quelques grammes de
shit et une petite arme de poing. Mais
le propriétaire, loin d’être proche des
terroristes, pratiquait le tir sportif…
et distribuait
des tracts contre l’Etat islamique dans
son établissement. Le soir du samedi
21 novembre, une quarantaine de
policiers ont débarqué au Pepper Grill
de Saint-Ouen-l’Aumône, dans le
Val-d’Oise, fouillant l’établissement
halal à la recherche d’une «salle de
prière clandestine»… qui ne l’était
pas.
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d’urgence : le patron d’un restaurant
raconte sa perquisition musclée
Insultes et violences
Plusieurs personnes visées par
des perquisitions racontent aussi avoir
été victimes de violences, mises à
genou, allongés au sol, voire menacées
d’une arme, et avoir subi des
humiliations et des remarques
islamophobes ou sexistes. «C’est du
gâchis [de porter le voile]. Vous êtes
jeune, belle et bien gaulée», se
serait entendu dire lors d’une
perquisition une jeune pensionnaire
d’un foyer pour femmes à Argenteuil.
Dans le XIXe arrondissement
de Paris, un homme de 73 ans a
été blessé à l’arcade sourcilière,
aux jambes et à l’abdomen lors de la
perquisition du domicile de son fils.
A Nice, c’est une fillette de 6 ans qui
a été blessée à la tête par des éclats
de bois lors d’une perquisition du Raid.
Magnanime, la police a admis «une
erreur rare», rapporte Nice
Matin.
Sur Rue89, un article
a beaucoup circulé : une
succession de témoignages de violences
policières, d’abord sur un homme
dans la rue Affre, dans le XVIIIe,
puis sur un couple qui est intervenu, et
a été interpellé au motif que les
policiers l’ont entendu dire «Daech».
Autre manifestation de
l’arbitraire policier qui ne passe pas :
les menottes, utilisées très couramment
à des fins «préventives» alors
que le code de procédure pénale ne
prévoit d’y recourir que si l’individu
concerné est «considéré soit comme
dangereux pour autrui ou pour lui-même,
soit comme susceptible de tenter de
prendre la fuite», rappelle
leMonde.fr.
Le 25 novembre, le ministre de
l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a
adressé une circulaire à l’ensemble des
préfets pour leur rappeler que les
perquisitions administratives doivent
être effectuées «dans le respect du
droit».
Assignations à résidence
Plusieurs centaines
d’assignations à résidence, qui
s’accompagnent généralement de
l’obligation d’aller pointer plusieurs
fois par jour au poste de police, ont
également été prononcées. Là aussi, sont
souvent visées des personnes soupçonnées
de «radicalisation» sans que rien de
concret ne soit produit contre elles. Libération a
recueilli les témoignages de plusieurs
assignés à résidence, dont, par exemple,
Ahmed (son prénom a été modifié), bagagiste
de Roissy qui a dû s’engager dans un
parcours du combattant pour récupérer
son badge et donc continuer à
travailler. Des avocats ont dénoncé des
assignations infondées et ont déposé des
recours.
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à résidence : fin du parcours du
combattant pour un salarié à Roissy
Au bout de l’absurde, on trouve
l’histoire, rapportée
par leMonde.fr, d’un homme qui
devait traverser la capitale quatre fois
par jour pour pointer au commissariat du
XVIIIe arrondissement. Le
8 décembre, un tribunal de
Cergy-Pontoise (Val-d’Oise) examinait
son référé liberté contre
l’assignation : impossible d’y assister
en respectant ses obligations de
pointage ; il a été placé en garde à vue
en arrivant au commissariat avec
quarante minutes de retard. Un autre
homme, domicilié à Marnaz (Haute-Savoie)
a été condamné à cinq mois de prison
ferme pour avoir raté son pointage car
il se rendait à sa formation à
Chambéry : «Si je ne fais pas mes
stages, je jette par la fenêtre mes deux
années d’études»,avait-il expliqué
auparavant, cité
par le Dauphiné libéré.
COP 21 : les militants écologistes visés
Instauré deux semaines avant le
début de la conférence sur le climat à
Paris, l’état d’urgence a également
permis à l’Etat de viser directement les
militants écologistes.
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d’urgence utilisé contre les militants
L’exemple le plus spectaculaire
en a été donné le 29 novembre, place de
la République à Paris : une
manifestation pour le climat et contre
l’état d’urgence a
terminé dans les lacrymos et les coups
de matraque, avec en prime une
polémique sur le mémorial de fleurs et
bougies installé autour de la statue, au
centre de la place : des manifestants se
sont emparés de certains de ces objets
pour les jeter sur des CRS, mais ces
derniers ont également piétiné le lieu, a-t-on
pu constater sur plusieurs vidéos.
Un montage vidéo d’une vingtaine de
minutes, vu plus de 3 millions de fois
sur Facebook et 80 000 fois sur YouTube,
montrait également des policiers s’en
prendre à des manifestants ne
représentant de menace directe pour
personne.
Ce soir-là, les policiers ont
procédé à 341 interpellations, dont
317 se sont soldées par des gardes à
vue. Des condamnations à de la prison
avec sursis ont été prononcées à
l’encontre de quelques manifestants,
pour des jets de cannette ou la simple
participation à cette manifestation
interdite.
Des violences policières ont
également été rapportées lors
d’une manifestation le 4 décembre à
Nantes. Parmi les absurdités
commises envers des écolos depuis le
début de l’état d’urgence, citons par
ailleursune
altermondialiste belge placée en
rétention pendant deux jours ainsi
qu’une ferme
bio perquisitionnée en Dordogne.
Vers
l’état d’urgence permanent ?
Et après ? Prolongé quasi
unanimement par le Parlement pour trois
mois, l’état d’urgence court donc
jusqu’au 26 février. L’instauration puis
la prolongation ont été critiquées tant
bien que mal par des défenseurs des
libertés, mais aussi par
la présidente de la Commission nationale
consultative des droits de l’homme.
La commission des lois de l’Assemblée
nationale doit aussi tenter
de contrôler l’application de l’état
d’urgence.
En attendant, la France a
informé le Conseil de l’Europe, le
25 novembre, qu’elle allait «déroger
à la Convention européenne des droits de
l’homme», une procédure pour se
prémunir d’éventuelles condamnations
devant la CEDH. Et le président de la
République a annoncé dès le 16 novembre
son intention d’inscrire l’état
d’urgence dans la Constitution, en plus
de la déchéance de nationalité pour les
personnes ayant acquis la nationalité
française à la naissance.
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