L'actualité du
droit
Turquie : Les enjeux d’un pont
entre
l’Occident et l’Orient
Gilles Devers
Mardi 3 novembre 2015
Je m’y
attendais un peu, mais quand même, je
reste sidéré par le post-colonialisme
puant des médias occidentaux vis-à-vis
du vote aux élections législatives
turques.
1/
Une injure au peuple turc
Près
de 90 % des électeurs ont voté, et
le résultat n’a été contesté par aucune
formation de l’opposition parlementaire.
Dont acte.
Pouvez-vous
me citer un seul grand pays
économiquement développé qui puisse
réaliser une telle réussite ? Je
rappelle qu’aux États-Unis
(Territoire indien occupé, Amérique du
Nord), seul 1 % de la population
finance la campagne électorale, et donc
organise le résultat.
2/
Une méconnaissance de la démocratie
turque
Ce mépris
conduit à ignorer le vote du peuple turc
qui, pour ce scrutin fondateur de la vie
politique, n’est pas condamné – comme la
pauvre France – à voter pour un roi élu,
sauvé du premier tour avec 20%, et élu
sur des alliances fausses avec seulement
51 % au second tour. Et qui dispose
alors de tous les pouvoirs. Du vol…
Non, la
Turquie est une démocratie sérieuse, et
le peuple sait les enjeux de son vote.
Pour une part, la Turquie est bornée par
la mer Noire et la mer Méditerranée,
mais pour le reste elle l’est avec cinq
pays, dont quatre connus la guerre ces
dernières années, ou sont encore ravagés
par la guerre : la Géorgie, l’Iran,
l’Irak et la Syrie. Résultat : deux
millions de réfugiés en Turquie.
Alors, c’est très bien de faire de
leçons de démocratie à la Turquie, et
toute critique est bienvenue, mais je
dis simplement : un peu de calme. La
Turquie n’a pas ses frontières avec la
Belgique, la Suisse ou l’Italie. Et
comme la Turquie a une population qui
est très proche de celle de l’Irak ou de
la Syrie, elle mesure cruellement ce qui
peut advenir de la division d’un peuple.
Tout ceci mérite le plus grand respect,…
et au moins de la réserve.
3/ La
Turquie, fondamentalement démocratique
La Turquie
est fondamentalement démocratique,
beaucoup plus que la France, car son
élection princeps est celle des
législatives, avec le seul vote qui
respecte l’opinion populaire : des
élections législatives à un tour, avec
une proportionnelle à peine aménagée. Le
vote populaire installe le gouvernement,
et ne laisse aucune place aux
tractations de deuxième tour, ou aux
fusions douteuses avec des groupes
politiques qui se sont combattus et qui
se haïssent.
Imaginons un
instant que les règles de cette belle
démocratie turque jouent pour la
rétrécie démocratie française : nous
aurions à l’Assemblée nationale trois
partis à presque 30 %, avec l’obligation
pour le PS et les Rep’ de former un
gouvernement de coalition, et avec un
Premier ministre qui assurerait
l’essentiel du pouvoir, le président de
la République n’ayant que des fonctions
de représentation.
Pas besoin
d’imaginer une invraisemblable VI°
République. Il suffit de reprendre le
modèle turc, soit en vote populaire
instituant l’assemblée parlementaire, à
charge pour celles-ci de dégager une
majorité. Rien n’est plus démocratique.
Franchement
quand je lis le Monde (Occidental)
ou Le Figaro (de Dassault)
distillant leurs commentaires fielleux,
alors que notre présidentielle se jouera
sur le vote d’un homme, qui sortira au
premier tour aux alentours de 20 %, je
me marre.
De plus, le
peuple turc – gloire et honneur – n’a
pas émis un vote mais deux : un vote
sincère, le 7 juin, en mettant l’AKP en
minorité à 40 % (ici,
un commentaire puant); un vote
réaliste, le 1er novembre, en
votant à 50% pour l’AKP pour dégager la
seule solution garantissant la stabilité
au pays. La classe.
4/
Les dérives autoritaires… d’un pays qui
dépend de la CEDH
Nos joyeux
lurons du Monde (Occidental)
ont titré toute la journée sur
l’inévitable dérive autoritaire du
pouvoir d’Erdogan. Je passe sur
le cabot Hollande qui se permet
d’appeler Erdogan à l’unité de son pays,
alors que l’AKP a fait 50 % des voix,
quand le PS ne fera par 20 %. Oh,
chouchou, parles-en à Lucette…
Je voudrais
rappeler que la Turquie est un pays
européen, membre du Conseil de l’Europe,
et ayant accordé à tous ses citoyens
recours individuel devant la Cour
européenne des droits de l’homme en cas
d’atteinte aux droits fondamentaux. À
des années-lumière du modèle des
États-Unis, calé sur le tribalisme
judiciaire.
Aussi, si ces
petits puants peuvent m’expliquer
comment un pays peut devenir une
dictature alors qu’il reconnaît la Cour
européenne des droits de l’homme et
applique ses décisions de justice, ça
m’intéresserait beaucoup.
De plus, les
électeurs ont refusé de donner à l'AKP
la majorité des deux tiers qui seule
permet de changer la constitution.
5/ Le
refus de reconnaitre la comptabilité de
l’Islam et de la démocratie
En réalité,
je ne suis pas tombé exactement de la
dernière pluie. Ce que nos leaders
d’opinion n’acceptent pas, c’est qu’un
peuple très majoritairement musulman
puisse respecter le droit démocratique.
Tout est là, n’allez pas chercher plus
loin.
Un présupposé
débile. Si elle parvient – un jour – à
s’extirper de son miasme islamophobe,
l’Europe fera tout pour renforcer ses
liens avec la Turquie, pays dont
l’histoire doit tout à la géographie :
un pont entre l’Occident et l’Orient.
L’aveuglement islamophobe est
un drame. À ce jour, vous ne trouverez
plus aucun patron turc pour souhaiter
l’intégration à l’Union européenne.
L’humiliation, depuis 20 ans, a fait son
œuvre...
En revanche,
l’enjeu est de savoir si, quelques
soient les difficultés, l’Union
européenne est encore en capacité de
trouver un deal politique avec
la Turquie. Si ce n’est pas le cas, la
Turquie gardera les liens avec l’Europe
pour le business, et tournera tout son
avenir vers l’Orient, la Russie et
l’Asie.
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