L'actualité du
droit
Emploi illégal :
Le Ministère de la Justice en
correctionnelle ?
Gilles Devers
Mercredi 2 septembre 2015
Ça
devient grave : le ministère de la
Justice fait travailler illégalement
40.000 personnes,…
et visiblement, ça ne le traumatise pas
outre mesure !
Un
rapport qui fait du bien là où ça fait
mal
Les
inspections générales des Finances, des
Services judiciaires et des Affaires
sociales qui te tombent dessus quand tu
n’es pas dans les clous pour l’emploi
des salariés, c’est le genre de truc qui
te fait oublier deux mois de vacances en
moins de temps qu’il ne faut à un ver de
terre pour se mettre à poil.
Et là, les
susdites inspections sont tombées sur un
client sérieux : Taubira.
- Tu crois
que le ministère de la Justice est au
courant ?
- T’inquiète
pas, s’il n’est pas au courant, il va
ouvrir une enquête. La France
socialiste, qui turlutte contre le mur
de l’argent, ne rigole pas sur ce genre
de sujet.
- Mais qui va
enquêter ?
- Ben, le
ministère de la justice, ils ont des
équipes super-pros pour dénicher le
travail illégal.
- J’espère
qu’ils ont assez d’effectifs pour cette
enquête…
- Non, ce
n’est pas un problème. Comme il y a
beaucoup de travailleurs illégaux au
ministère, ce sont de vrais experts. Ils
connaissent toutes les combines.
Le rapport,
dont les bonnes pages sont publiées par
Le Canard enchaîné, explique
que cela concerne les très nombreuses
personnes sollicitées de manière
quotidienne par les tribunaux :
interprètes, experts, médiateurs ...
Pour
certains, c’est pratiquement un temps
plein, et en tout cas, ce sont des
tâches régulières, liées à l’exécution
même de la mission du ministère, comme
pour les médiateurs ou les interprètes.
Pour d’autres, ce sont des missions plus
occasionnelles, pour les expertises
judiciaires, mais il s’agit bien de
prestations professionnelles effectuées
contre rémunération. Pour le moment,
c’est du hors-la-loi pur sucre : ni
impôt, ni cotisation, ni taxe…
- On se
croirait chez Ben Ali avant la
révolution…
- Tu n’as pas
une autre référence, ça m’arrangerait…
Bon,
tu régularises ou tu fais du boudin ?
Si c’est un
emploi régulier, entrant dans un service
organisé, il te faut donner un statut
d’emploi, et payer les cotisations
sociales. Pour les autre missions, plus
ponctuelles, ce sont des prestations
rémunérées indépendantes, mais il faut
alors payer la TVA.
Or, que nous
dit l’excellent rapport ? « Le ministère
de la Justice n'applique aucun
assujettissement aux cotisations
sociales et assimile les indemnités de
ses collaborateurs à des prestations
sans pour autant mettre en place les
conditions de leur assujettissement à la
TVA ». Leur avocat, mon excellent
confrère David Dokhan explique : « Ce
sont des personnes qui travaillent
exclusivement sur réquisition des
autorités de police ou judiciaires.
C'est 100 % de leur activité
professionnelle. Or, ces personnes n’ont
pas de bulletin de salaire et aucune
protection sociale ».
Face à une
telle solution, il n’y a que deux
solutions.
La première
est que tu régularises, en rétablissant
les droits des travailleurs. Le rapport
a chiffré le coût : un demi-milliard
d'euros.
L'autre
solution est que tu fais le canard
(non-enchaîné). Tu ne régularises pas,…
mais là, tu vas morfler. Tu vas te
prendre un recours XXL, et tu payeras le
principal, les intérêts et pénalités. En
gros, tu doubles, donc c’est un milliard
d’euros.
On a
envie de rire, mais c’est grave
Du côté du
ministère de la Justice (laïque, mais
pas sociale…), on nous a refilé un
commis d’office pour répondre : « La
ministre a la volonté d'agir et de
s'emparer du sujet, et un décret est
prévu pour début 2016 pour clarifier le
statut de tous les collaborateurs du
ministère. Et il y aura un versement
progressif des cotisations sociales ».
Un problème connu il y a dix ans, un
rapport de l’été 2014 et un projet de
décret pour 2016… Rigolo,... mais pas
amusant.
Je me permets
de suggérer à Taubira la lecture de
cette excellente
circulaire interministérielle du 11
février 2013 relative à la mise en
œuvre du plan national de lutte contre
le travail illégal 2013-2015, qui
énonçait gravement : « La lutte contre
le travail illégal est d’abord
indispensable pour assurer le respect
des droits des salariés : il est
inacceptable que, dans une économie
développée comme la nôtre, des
situations de travail non déclaré
perdurent, au détriment des droits
essentiels de ceux qui y sont confrontés
d’abord, mais aussi des autres salariés,
du fait d’une forme de dumping social
interne ».
Au titre des
sanctions, § 3.2, la circulaire était
quasi-énervée : « Outre la réponse
pénale, le procès-verbal établi en
matière de travail illégal est une étape
essentielle pour la mise en œuvre de la
réponse appropriée que ce soit en termes
de redressement de cotisations sociales,
de redressement fiscal ou encore de
sanctions administratives ». Donc on
colle Taubira en correctionnelle, et on
inflige au ministère un redressement
social et fiscal…
Cette
splendide circulaire était signée par le
ministère de l’intérieur, celui de
l’économie et des finances celui du
travail, et celui du budget… mais on
avait oublié le ministère de la justice,
quel dommage !
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