Palestine
Quel culot ! Pourquoi la gifle d’Ahed
Tamimi
rend les Israéliens furieux
Gideon Levy
Lundi 1er décembre 2018
Par Gideon Levy جدعون ليفي גדעון לוי
Mardi dernier, les
Forces de défense d’Israël (FDI) ont
abattu Hamed al-Masri, 15 ans, d’une
balle dans la tête, blessant grièvement
l’adolescent de Salfit qui, par
ailleurs, ne portait pas d’arme.
Vendredi, les
militaires ont fait de même avec
Mohammed Tamimi, de Nabi Saleh, sans
arme lui aussi, le blessant tout aussi
grièvement à la tête. Vendredi encore,
les militaires ont tué – toujours d’une
balle dans la tête – Ibrahim Abou
Thuraya, amputé des deux jambes. Et, le
même jour, Ahed Tamimi était dans la
cour de sa maison avec une amie et a
giflé un homme des FDI qui avait fait
irruption chez elle.
Du coup, Israël est
sorti furieux de sa torpeur : mais
comment ose-t-elle ? Les trois victimes
de cette fusillade barbare n’intéressent
pas les Israéliens et les médias ne
prennent même pas la peine d’en parler.
Mais la gifle – et le coup de pied – d’Ahed
Tamimi ont déclenché une colère
furieuse. Comment peut-on oser gifler un
soldat des FDI ? Un soldat dont les amis
giflent, tabassent, kidnappent et – bien
sûr – abattent presque quotidiennement
des Palestiniens ?
Vraiment, elle a
tous les toupets, la Tamimi. Elle a
violé les règles. Gifler n’est permis
que de la part des soldats. C’est elle,
la véritable provocation, et non pas le
soldat qui a fait irruption dans sa
maison. Elle, qui a eu trois proches
parents tués par l’occupation, elle dont
les parents ont été arrêtés
d’innombrables fois et dont le père a
été condamné à quatre mois de prison
pour avoir participé à une manifestation
à l’entrée d’une épicerie – et c’est
elle qui a osé résister à un soldat !
Voilà le culot des Palestiniens. Tamimi
était censée tomber amoureuse du soldat
qui avait forcé la porte de sa maison
et, ingrate qu’elle a été, elle l’a
récompensé d’une gifle. Tout cela, à
cause de« l’incitation à la violence ».
Sans quoi, elle n’aurait certainement
pas manifesté cette haine à l’égard de
son conquérant.
Mais cette pulsion
de revanche à l’égard de Tamimi a
d’autres sources (Le ministre de
l’Éducation, Naftali Bennett a déclaré :
« Elle devrait finir ses jours en
prison. »). La fille de Nabi Saleh a
fait éclater plusieurs mythes chers aux
Israéliens. Le pire de tout, elle a osé
détériorer le mythe israélien de la
masculinité. Brusquement, il se fait que
le soldat héroïque, qui veille sur nous
jour et nuit avec audace et courage, se
fait vilainement contrer par une fille
aux mains nues. Que va-t-il advenir de
notre machisme, si Hamimi le met en
pièces si facilement, et de notre
testostérone ?
Tout d’un coup, les
Israéliens ont vu l’ennemi cruel et
dangereux auquel ils sont confrontés :
une gamine bouclée de 16 ans. Toute la
diabolisation et la déshumanisation des
médias flagorneurs ont volé en éclats
d’un seul coup en étant brusquement
confrontées à une gamine vêtue d’un
sweater bleu.
Les Israéliens ont
perdu la tête. Ce n’est pas ce qu’on
leur a raconté. Ils sont habitués à
entendre parler de terroristes et de
terrorisme et de comportement criminel.
Il est difficile d’accuser Ahed Tamimi
de tout cela ; elle n’avait même pas de
ciseaux en main. Où est la cruauté des
Palestiniens ? Où est le danger ? Où est
le mal ? On en perdrait la tête.
Brusquement, toutes les cartes ont été
rebattues : Pendant un rare instant,
l’ennemi avait l’air si humain. Bien
sûr, on peut compter sur la machine
israélienne de propagande et de lavage
de cerveau, si efficace, pour assassiner
sans attendre le personnage de Tamimi.
Elle aussi se verra coller l’étiquette
de terroriste née pour tuer ; on dira
alors qu’elle n’avait pas de motifs
justifiables et qu’il n’y a pas de
contexte pour expliquer son
comportement.
Ahed Tamimi est une
héroïne, une héroïne palestinienne. Elle
est parvenue à rendre dingues les
Israéliens. Que diront les
correspondants militaires, les
incitateurs de droite et les experts de
la sécurité ? Quelle est l’efficience de
8200, Oketz, Duvdevan, Kfir et toutes
ces autres unités spéciales si, à la fin
de la journée, les FDI sont confrontées
à une population civile désemparée,
fatiguée de l’occupation et incarnée par
une jeune fille portant un keffieh sur
l’épaule ?
Si seulement il y
en avait bien davantage comme elle !
Peut-être des filles comme elle
seraient-elles en mesure de secouer les
Israéliens. Peut-être l’intifada des
gifles réussira-t-elle là où toutes les
autres méthodes de résistance, violente
ou non violente, ont échoué.
Dans l’intervalle,
Israël a réagi de la seule façon qu’il
connaît : un enlèvement nocturne de son
domicile et son arrestation ainsi que
celle de sa mère. Mais, dans le fond de
son cœur, tout Israélien décent sait
sans doute non seulement qui a raison ou
qui n’a pas raison, mais aussi qui est
fort et qui est faible. Le soldat armé
de pied en cap qui fait irruption dans
une maison qui ne lui appartient pas, ou
la gamine sans armes qui défend sa
maison et son honneur perdu à mains
nues, par une gifle ?
Gideon Levy جدعون
ليفي גדעון לוי
Traduit par
Jean-Marie Flémal
Source :
Haaretz
Date de parution de
l’article original : 21/12/2017
Le sommaire de Gideon Levy
Les dernières mises à jour
|