La Voix de
la Russie
Que fait vraiment
la France en Centrafrique ?
Françoise Compoint
© Photo:
AFP
Vendredi 13 décembre 2013
Enfin, pas la France en tant que telle
car l’opération centrafricaine n’a rien
à voir avec l’ingérence française au
Mali, feu de forêt déclenché suite au
lynchage de Kadhafi et éteint (enfin, à
court terme) par les principaux
commanditaires de ce lynchage. Pourquoi
? La sécurité de la France, disait-on
alors, était en jeu. Et c’était
parfaitement vrai. Qu’aurait fait notre
pays, une puissance méditerranéenne, si
le nord du Mali s’était transformé en un
immense réservoir à islamistes ?
Quid du Centrafrique ? Deux points de
vue s’imposent. L’un, privilégiant la
thèse de l’ingérence humanitaire, tiré
de la liste des fabuleux oxymores du
champ médiatique français. L’autre, plus
désagréable, plus cynique, plus
dégoûtant et, hélas, en beaucoup plus
réaliste, qui renvoie à la vieille
histoire de l’uranium centrafricain.
Souvenez-vous de la réaction du
gouvernement de Bozizé en 2007 lorsque
le groupe nucléaire français Areva
reprit l’exploitation de la mine
d’uranium de Bakouma (extrême-est du
pays). Cette opération avait alors été
jugée irrégulière et contraire aux
intérêts du peuple centrafricain (cf.
rapport d’Aurélien-Simplice Zingas,
porte-parole du gouvernement à
l’époque). D’anciennes accusations
ressurgirent aussitôt qui
sous-entendaient l’implication de la
partie française dans la contamination
radioactive des populations locales.
Bakouma y aurait été particulièrement
exposé suite entre autres aux
manipulations de la société Cogema dans
les années 70. Idem pour le Gabon et le
Niger suite aux activités d’Areva. Ici
et là, la France ne perd pas une seule
occasion d’asseoir sa présence souvent
au détriment des intérêts du pays,
jusqu’à oublier que le Centrafrique a
acquis son indépendance il y a déjà
cinquante-cinq ans.
Voici pour une première tendance.
Passons aux faits révélateurs. Je me
permettrai ici de reprendre l’analyse
aussi laconique que convaincante de Mme
Wissem Chekatt.
Primo, la SELEKA qui a renversé le
Président Bozizé en mars 2013,
organisation hétéroclite composée de
partis oppositionnaires et de militants
islamistes, avait été, ne l’oublions
pas, soutenue par la France. Or, que
voit-on aujourd’hui ? Bien que dissoute
par Michel Djotodia, chef d’état arrivé
au pouvoir suite à un véritable putsch,
la SELEKA continue à exister
illégalement du moment où les
extrémistes qui en faisaient partie
cherchent noise à une population
majoritairement chrétienne. Cette fois,
la France prétend les combattre. La
tactique de l’instrumentalisation est
ici claire et nette.
Secundo, nous savons que la France a
parachuté sur les lieux un effectif de
1600 militaires. Ce chiffre semble bien
disproportionné pour ne pas dire
dérisoire si l’on croit aux décomptes de
M. Souleymane Diabaté, représentant de
l’UNICEF à Bangui, qui a estimé le
nombre de déplacés sur le territoire à
près de 500.000 centrafricains. Un
demi-million de personnes. N’y aurait-il
pas une certaine confusion avec la
catastrophe syrienne ? On se demande
comment des tensions en réalité tribales
ont pu conduire à un exode aussi massif.
Tertio, la population centrafricaine est
majoritairement chrétienne. Michel
Djotodia est quant à lui musulman, ce
qui explique son accession au pouvoir
par l’intercession de la SELIKA,
coalition d’ailleurs à la base plus
islamiste que musulmane. A ses
meilleures heures, elles comptaient
15.000 membres. Elle en a perdu un
nombre considérable après sa
dissolution. Or, le nombre d’habitants
en Centrafrique est grosso modo de 4
millions d’habitants, ce qui est très
peu pour un territoire presque aussi
grand que la France, et en même temps
suffisant pour faire face aux restes
d’une opposition démantelée.
Quand ça ne colle pas, ça ne colle pas,
quoiqu’on fasse pour redorer son blason
en accordant quelques notes de
crédibilité à une donne que l’on veut
assimiler en certains points aux
génocides confessionnels perpétrés en
Syrie ou, à bien moindre échelle, au
Mali.
En fait, si l’on sait que la Chine est
très présente sur le territoire et que
sa politique est loin d’être aussi
agressive que celle de la France au
point de porter atteinte aux intérêts
géopolitiques de notre pays, que, une
fois de plus, les ressources naturelles
sont en ligne de mire, les hauts motifs
soi-disant humanitaires invoqués perdent
immédiatement de leur sens. Une fois de
plus, M. Hollande débite un baratin en
somme habituel quand il s’agit de
justifier le genre d’opérations en
question.
Ce point de vue est conforté par
l’analyse d’Allain Jules, journaliste
indépendant, bloggeur dont la lucidité
est telle qu’il n’a plus à faire ses
preuves. Voici un bref extrait de son
intervention.
Allain Jules. « De quoi
s’agit-il dans cette intervention ? En
réalité, ce n’est déjà pas une
intervention humanitaire, cette dernière
notion n’ayant aucun sens. Il s’agit
tout simplement pour la France d’aller
sécuriser le pétrole par rapport à Total
et surtout d’aller sécuriser, par
l’entremise d’Areva, le gisement
d’uranium de Bakouma. Donc en fait c’est
pour le gisement qui est situé à
l’extrême-est du pays, dans la
préfecture de Mbomou, le plus grand
gisement africain d’uranium estimé à
700.000 tonnes, que toute cette
opération a été lancée. Areva a racheté
la société canadienne UraMin
d’exploration d’uranium, ce qui explique
le renforcement de la présence française
sur le territoire centrafricain.
Naturellement, toute cette campagne n’a
pas été déployée pour les beaux yeux des
autochtones. C’est encore un gros
mensonge médiatique destiné à masquer
les véritables intentions de la partie
française qui consistent à contrôler
plus efficacement que jamais son uranium
et son pétrole. Donc, quand on dit que
des militaires français sont morts pour
la France, ça tient forcément la route
puisqu’ils sont allés en Centrafrique au
nom des intérêts géopolitiques de la
France, c’est tout ».
Commentaire de l’auteur.
L’immersion du pays dans un chaos qui
n’a aucune raison objective d’être
arrangera peut-être la France à court ou
moyen terme. Mais qu’en est-il de la
suite ? N’aura-t-elle pas à payer une
note un peu trop salée au cas où les
groupuscules islamistes rôdant aussi
bien au cœur du territoire qu’à ses
frontières (Congo-Brazzaville) monteront
en puissance, profitant de la
déstabilisation du pays ? Hélas,
l’exemple de la Libye, précurseur du
Mali, n’a rien appris à certaines élites
françaises dont les complexes
néo-colonialistes semblent
irréversibles.
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Publié le 14 décembre 2013
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