Syrie
Syrie : Quand les enfants sont
instrumentalisés
par la propagande de guerre
François Belliot
Les images
du petit Omrane ont fait la une de tous
les quotidiens du monde
Lundi 12 septembre 2016
Le 18 août dernier, la « communauté
internationale » a pris connaissance des
images bouleversantes du petit « Omrane »[i],
tout juste extrait des décombres de sa
maison touchée par des bombardements
dans la partie d’Alep tenue par les
« rebelles ». On voit quelqu’un
l’asseoir au fond d’une ambulance. Il
est couvert de poussière, avec de nettes
traces de sang sur le visage. Il a l’air
hagard. Ses jambes trop courtes
dépassent à peine du siège. A un moment,
il esquisse un geste de la main poignant
vers son œil gauche à moitié fermé et
couvert de sang.
Tous les grands journaux font leur
une sur ces images (El Païs, Le
Monde, la Reppublica, the financial
Times, le Times,
Süddeutsche Zeintung, South China
Morning Most, etc) complétées par
des articles accusant comme d’habitude
les autorités syriennes. Toutes les
chaînes d’information en continu ouvrent
leurs éditions sur ces images avec un
commentaire identique.
Le petit
Omrane, à la une, le 19 août, de tous
les quotidiens des « démocraties
occidentales »
Le lexique dominant est dans tous les
cas celui de l’émotion :
« Les images d’Omrane ont été
partagées des millions de fois sur les
réseaux sociaux, et les activistes
syriens veulent l’ériger en symbole de
leurs souffrances. » (le Parisien[ii])
« Son regard à fendre l’âme
suscite autant de compassion que de
colère et d’incompréhension. » (Journal
de Quebec[iii])
« Symbole de la violente guerre
meurtrière qui endeuille la Syrie, les
images d’Omrane suscitent une grande
émotion. » (Huffington post[iv])
« Il s’appelle Omrane. Il a six
ans. Son visage hébété a fait le tour du
monde en qulques heures. Pour beaucoup,
il incarne d’ores et déjà le martyre des
civils syriens sous les bombes du régime
syrien et des avions russes qui le
soutiennent. » (Le Soir, éditorial en
une)
« Puisse le visage du petit
Omrane, la bouleversante hébétude de son
regard perdu, réveiller les consciences
et déclencher enfin une action
internationale pour casser l’engrenage
qui en train d’anéantir un pays. »
(Sud-Ouest)
La comparaison des images du petit
Omrane avec la photo du petit Aylan
Kurdi retrouvé échoué sur une plage en
Turquie il y a un an est faite par
presque tous les journalistes.
Dessin de Khalid Albaih mis en ligne le
18 août 2016, faisant le parallèle entre
les deux petits enfants. Ce dessin a été
relayé par certains grands médias. Cf
par exemple
http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/la-photo-du-petit-aylan-kurdi/le-choix-des-enfants-syriens-d-aylan-a-omran-le-dessin-qui-resume-l-horreur-de-la-guerre-en-syrie_1596233.html
L’histoire du petit Omrane sera
relancée 2 jours plus tard, lorsque l’on
apprendra que son grand frère, Ali, a
quant à lui finalement succombé à ses
blessures. Là encore tous les titres de
la presse nationale et régionale
française (et d’ailleurs) reprendront
l’information.
En remettant en perspective
« l’affaire Omrane » avec des cas
antérieurs comparables observés depuis
cinq années que dure la guerre en Syrie,
on comprend qu’il s’agit d’une nouvelle
tentative d’intoxication de l’opinion
publique, et plus généralement que les
« enfants martyrs », depuis le début des
événements en mars 2011, sont utilisés à
des fins de propagande dans le cadre de
la guerre de l’information visant à
discréditer les autorités syriennes et
leur président Bachar el-Assad.
En voici trois brièvement résumées,
que je passe au crible dans mon livre
« Guerre en Syrie : quand médias et
politiques instrumentalisent les
massacres », paru en ce mois de
septembre 2016 aux éditions SIGEST[i].
1) En mai 2011, une vidéo d’une
minute 30[ii]
fait le tour du monde : on y voit le
cadavre du jeune Hamza el-Khatib (un
adolescent de 13 ans), montré sous
toutes les coutures par un homme qui
explique avec des éléments de langage
que l’adolescent a été affreusement
torturé par des séides du « régime »,
avant d’être exécuté. Tous les grands
médias rapportent l’affaire, en
présentant d’une seule voix Hamza el-Khatib
comme une « icône » de la révolution,
symbole de la barbarie d’un régime
sanguinaire, etc. On apprit par la
suite, que l’enfant avait été tué par
une balle perdue lors d’un échange de
tirs entre des manifestants
« pacifiques » et des militaires
syriens, qu’il n’avait pas été torturé
mais que les militaires, lorsqu’ils
récupérèrent le corps, ne purent
identifier la famille du jeune Hamza
qu’au bout de trois semaines, cause de
l’état affreux du cadavre montré et
« commenté » dans la vidéo. Signalons
que certains journalistes qui ont
commenté les images d’Omrane ont fait
d’eux-mêmes le parallèle entre les deux
« icônes ».
2) le 25 mai 2012, une vidéo de 3
minutes[iii]
fait le tour du monde, montrant des
alignements de cadavres, en majorité
d’enfants, qui de toute évidence ont été
abattus à bout portant. Il s’agit du
« massacre de Houla », aussitôt présenté
comme une exaction atroce du régime
d’el-Assad. Les pays les plus en
pointe dans la contestation du « régime
syrien », les autoproclamés « amis de la
Syrie », saisissent cette occasion, 3
jours plus tard, pour expulser dans le
même temps avant toute enquête les
ambassadeurs syriens. Des menaces de
guerre d’ingérence furent formulées à
l’occasion par tous les grands médias et
les plus hautes autorités politiques
françaises. Il fut révélé par la suite
que le massacre avait été perpétré par
des « rebelles », que les enfants
massacrés appartenaient à deux familles
seulement : celle d’un homme politique
syrien demeuré loyal envers les
autorités syriennes, et une famille
sunnite qui s’était converti au chiisme
(les chiites, comme les chrétiens et les
yézidis, sont la cible prioritaire des
groupes armés anti Assad d’obédience
wahhabite depuis le début des
événements)[iv].
Le massacre de ces deux familles,
artificiellement réunies dans des
alignements avec quelques combattants
rebelles tués dans l’assaut de la ville,
fut imputé à l’armée syrienne selon le
principe de l’opération sous
faux-drapeau.
3) le 21 août 2013, une
centaine de vidéos sont diffusées sur la
toile[v],
montrant des alignements de cadavres, ou
de personnes en train d’agoniser,
majoritairement des enfants. Il s’agit
du point de départ de l’affaire de
l’affaire du tir à l »arme chimique dans
la banlieue de Damas. Le bilan, dans un
premier temps, est officiellement de
1467 morts, dont 67 % de femmes et
d’enfants[vi].
Ce massacre chimique est suivi d’une
campagne médiatico politique de très
grande ampleur accusant le « régime d’Assad »
d’en être l’auteur avec les mots les
plus durs et les plus définitifs,
appelant à une intervention armée
internationale pour mettre fin au bain
de sang et permettre un « changement de
régime ». Il fut révélé par la suite que
ce tir à l’arme chimique avait été
perpétré par des « rebelles » de la
brigade Jaysh el-Islam, dirigée par
Zohran Allouche, qui s’était procuré du
gaz sarin par des réseaux turcs[vii].
Le bilan des victimes[viii],
comme pour le massacre de Timisoara, qui
avait servir de prétexte au renversement
de Ceausescu en 1989 a été exagérément
grossi[ix].
Du reste un certain nombre d’enfants
figurant sur les alignements ont été
reconnus par leurs proches comme faisant
partie d’un groupe de 200 personnes,
femmes et enfants pour l’essentiel,
enlevés le 4 août 2013 dans des villages
alaouites des environs de Lattaquié,
dont les proches ont été massacrés par
la même occasion[x].
Ils auraient été gazés ou anesthésiés à
part pour amplifier les apparences du
massacre chimique du 21 août deux
semaines plus tard. Une étude minutieuse
des alignements de « gazés » dans les
vidéos montre que des corps ont été
déplacés sur différents sites afin de
multiplier les combinaisons
spectaculaires[xi].
Dans chacun de ces cas (auquel on
pourrait ajouter celui du petit Aylan,
dont la photo du cadavre « échoué » sur
une plage, mondialement diffusée le 2
septembre 2015, fut utilisée pour
convaincre des opinions occidentales
rétives de la nécessité d’accueillir des
millions de « migrants » fuyant les
zones de guerre en orient), on place
délibérément l’opinion publique, en
mobilisant la totalité des relais
médiatiques, devant des images de jeunes
enfants dans des états affreux (qu’ils
soient vivants ou morts). Le ton de tous
les commentaires est fait d’indignation
violente, quasi hystérique, donne le
minimum de détails, et les images sont
accompagnées d’une analyse tout aussi
sommaire accusant toujours le même
« démon » d’être l’unique coupable
possible.
Cette combinaison : enfants martyrs +
images associées + commentaires accusant
le « régime d’Assad » + campagne de
lynchage médiatique « mondiale » des
autorités syriennes, est la marque de
fabrique de toutes les affaires
d’enfants martyrs de la guerre en Syrie
exhibés dans les grands médias depuis
cinq ans.
L’ « affaire Omrane », comme on
pourrait l’appeler, n’est que l’énième
d’une série d’affaires comparables qui
jalonnent la couverture médiatique
« occidentale » de la guerre en Syrie :
alors que l’enfant est présenté comme un
symbole de la guerre et de la cruauté du
« régime », on pourrait plus justement
avancer que l’exploitation politique et
médiatique des images du petit Omrane
est le symbole du mensonge organisé que
constitue la couverture de la guerre en
Syrie (en France et ailleurs) depuis 5
années que dure cette guerre.
François Belliot | 10 septembre 2016
[i]http://editions.sigest.net/page00010179.html
[ii]https://www.youtube.com/watch?v=WjwC_-bKGhs
[iii]https://www.youtube.com/watch?v=jffUNQw8Fl8&bpctr=1473259007
[iv]Je renvoie tout simplement au
compte-rendu de la « Commission
d’enquête internationale indépendante
sur la République arabe syrienne » de
l’ONU, qui rend ses conclusions le 27
juin 2012 :
http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session21/A-HRC-21-50_en.pdf
rapport complètement ignoré par les
grands médias, à compléter avec d’autres
sources dont je donne le détail dans mon
ouvrage, sources elles-aussi passées
sous silence.
[v]Entrer sur youtube : « alleged
chemical attack in eastern Ghouta august
21st 2013 », pour tomber sur des
dizaines de vidéos publiées le
jour-même.
https://www.youtube.com/playlist?list=PLPC0Udeof3T4NORTjYmPoNCHn2vCByvYG
[vi]Je renvoie à la page 36 du
rapport de l’ISTEAMS (complètement
ignoré par les grands médias) :
https://bsnews.info/wp-content/uploads/2013/09/ISTeams-Ghouta-Rreport.pdf
[vii]Cf le rapport intitulé « War
crimes committed against the people of
Syria », publié le 14 janvier 2014 par
la Peace Association of Turkey and the
Lawyers for Justice, p 26 à 35,
complètement ignoré par les grands
médias : http://www.wpc-in.org/sites/default/files/documents/war-crimes-committed-againts-the-people-of-syria.pdf
[viii]Pour donner un aperçu des
énormes variations dans les bilans des
victimes avancés par telle ou telle
entité : le Bureau Médical Unifié de la
Ghouta avait donné, pour rappel,
le bilan de1466 morts et 10000
intoxiqués, dont 67 % de femmes et
d’enfants. Il se pourrait que ce bilan
soit à relativiser. Le 22 août,
Libération annonce 1300 morts et 5000
intoxiqués, dont 75 % de femmes et
d’enfants. Le 24 août, Médecins Sans
Frontières annonce 355 morts et 3600
personnes traitées dans les hôpitaux. Le
30 août, le rapport des services de
renseignement états-uniens accusant
Damas évoque 1429 morts dont 426
enfants. Le 31 août, l’OSDH dresse le
bilan de 502 morts, dont 80 enfants, 137
femmes, et des dizaines de rebelles. Le
3 septembre, le rapport des services
français fait état de 281 morts.
[ix]Cf par exemple l’article
d’Ignacio Ramonet dans le Monde
Diplomatique de mars 1990 intitulé
« la télévision nécrophile » :
http://www.monde-diplomatique.fr/1990/03/RAMONET/18658
[x]Cf le rapport de Human Rights
Watch du 4 otobre 2013 intitlué « we can
still see their blood » que je résume
dans mon ouvrage, complètement ignoré
par les grands médias, alors qu’il
s’agissait d’un massacre exemplaire par
son horreur, la décimation de familles
entières, l’enlèvement de dizaines de
femmes et d’enfants, la culpabilité des
« rebelles » ne soulevant pour le coup
aucune espèce de doute, des dizaines de
photos postées par leurs soins sur
internet les montrant en pleine lumière
dans leurs basses oeuvres :
https://www.hrw.org/sites/default/files/reports/syria1013_ForUpload.pdf
[xi]C’est ce qu’explique de façon
très convaincante le rapport de
l’ISTEAMS du 13 septembre 2013 :
https://bsnews.info/wp-content/uploads/2013/09/ISTeams-Ghouta-Rreport.pdf
Le sommaire de François Belliot
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|