Opinion
Du sort tragique de Charlie Hebdo et
de la comédie qui s'ensuivit
Fida Dakroub
Mercredi 28janvier 2015
Généralités
Le matin du 7 janvier (heure de l'est,
Canada) - c'est-à-dire le jour de
l'attaque terroriste contre le journal
Charlie Hebdo - assise dans le fauteuil
à bascule en osier, mon thé vert sur la
table devant moi, je regardais la télé.
Droguée par la propagande et la
manipulation médiatique, n'ayant su s'il
fallait en avaler de plus ou s'il
fallait m'en échapper vers la cuisine,
où j'eus plantai en plein hiver de
roses, de fougères et de bégonias pour
me protéger des maux du siècle, lorsque
je commençai à quitter le sol et à
m’élever avec le fauteuil dans lequel
j'étais assise. Je me redressai à peine
et haussai les épaules, quand la voix de
l'animateur m'arriva à travers la fumée
de l'encens tibétain que je brûlais dans
l'espoir qu'un jour j'arriverais à
éloigner de mon appartement les effets
négatifs de l'impérialisme, de la
mondialisation, de la crise économique,
du racisme, de l'homophobie, de
l'antisémitisme et du chômage qui s'y
accumulaient chaque nuit. Or, les choses
ne sont pas toujours ce qu'elles
semblent être ; et la fumigation que je
brûlais pour éliminer les mauvaises
énergies résultant de la mondialisation
me trahit en m'en attrapant d'autres.
J'étais en effet en contemplation devant
un réseau d'information (canadien
francophone) - je me fusse mieux
exprimée, si j'eusse ajouté le préfixe
dés à information -, et la
voix de l'animateur annonçait une
fusillade ; où ? à Paris. Aucun détail.
Plus tard dans la matinée, les nouvelles
se précipitèrent de la capitale du
shopping indiquant l'assassinat de
l'équipe de rédaction de Charlie Hebdo
par deux terroristes djihadistes ( je
m'arrête ici, car la suite n'est qu'un
tas de détails sanglants).
Des médias mainstream, augures de
l'Empire
C'est la norme ! Chaque fois que le
terrorisme frappe au cœur de l'Empire ou
dans l'une de ses provinces, les
marabouts et les augures de la
désinformation officielle se précipitent
aux chaînes d'info pour lire les
présages et interpréter les volontés de
Jupiter, maître des signes. Or,
qu'est-ce qu'un marabout peut nous
offrir autre que de se proposer de
résoudre tout type de problèmes ? Et
qu'est-ce qu'un augure peut nous
raconter autre que des préceptes retenus
par cœur et transmis d'un sacerdos1 à
un autre ? Chaque fois que l'on veut
consulter les présages, ces augures
récitent de nouveau les mêmes préceptes
déjà psalmodiés. Rien de nouveau, rien
d'objectif, rien de réel. Tout fut bien
préparé, bien rédigé, bien encodé par le
pontifex maximus2 et
distribué en ordre du jour à tous les
médias dominants. Or, avoir confiance
aux augures est un jeu dangereux avec un
bénéfice et un risque, une arme à double
tranchant qui peut se retourner contre
celui qui l’emploie. L'exemple notoire
d'Octave en fait preuve. Octave, sur la
foi des Chaldéens, des devins et des
sibyllistes, qui lui promettaient un
changement favorable, prit le parti de
rester à Rome. Ce consul (...) avait
malheureusement le plus grand faible
pour la divination, et passait beaucoup
plus de temps avec des devins et des
charlatans, qu'avec des militaires et
des hommes d'État. Marius avant d'entrer
dans Rome, envoya des satellites qui
arrachèrent Octave de son tribunal, et
l'égorgèrent sur la place publique. On
trouva, dit-on, dans son sein, après sa
mort, un horoscope de sa naissance,
dressé par un Chaldéen ; et il parut
singulier que, de ces deux généraux
célèbres, la même confiance en la
divination eût remis Marius sur pied, et
perdu Octave :
Octavius, however, remained behind. A
number of Chaldaean astrologers,
professional inspectors of sacrifices,
and interpreters of the Sibylline books
had induced him [Octavius] to believe
that all would be well (...) he was
unbalanced, spending more of his time
with charlatans and soothsayers than
with men of political or military
distinction. What happened to him was
that, before Marius entered Rome, he was
dragged down from the public platform in
the forum and down from the public
platform in the forum and butchered by
men who had been sent on in advance
(...) They say that a Chaldaean document
was found on his person after the
murder. It was something not very easy
to explain - that one of these two
famous leaders, Marius, did well through
paying attention to prophecies, while
the other, Octavius, was destroyed by
them. (Plutarch, 57)3.
Lorsque le président américain Bush II,
qui était un des plus puissants
seigneurs de la Maison-Blanche, décida
de « libérer » l'Irak pour y établir la
démocratie démocratique, sans
connaissance aucune de la complexité
géopolitique du Moyen-Orient ni de ses
antagonismes ethniques et religieux, il
consulta les augures néoconservateurs du
collège du Grand Pontife, Paul Wolfowitz.
Ces derniers lui assurèrent que l'Iran
ne pourrait jamais dominer l'Irak, car
les chiites irakiens étaient arabes
tandis que les chiites iraniens étaient
persans, et que « monsieur le baron
était un des plus puissants seigneurs de
la Westphalie, car son château avait une
porte et des fenêtres4 ».
(Voltaire, « Candide...», 46) ».
Quelle absurdité ! Quelle ineptie ! [Ô
George] malheureux fils de Pélée, ta
mère t'a nourri de bile5 (Homère,
« Iliade », v. 203).
Malheureusement, les conséquences d'une
telle divination furent tragiques pour
monsieur le président, mais
catastrophiques pour le peuple irakien :
The scale of the American miscalculation
is striking. Before the Iraq War began,
its neoconservative architects argued
that conferring power on Iraq's Shiites
would serve to undermine Iran because
Iraq's Shiites, controlling the faith's
two holiest cities, would, in the words
of then deputy defence secretary Paul
Wolfowitz, be "an independent source of
authority for the Shia religion emerging
in a country that is democratic and
pro-Western". Furthermore they argued,
Iran could never dominate Iraq, because
the Iraqi Shiites are Arabs and the
Iranian Shiites are Persian. It was a
theory that, unfortunately, had no
connection to reality6.
(Galbraith, « Unintended
Consequences... », 69).
Des analystes ; des experts ; des
spécialistes ; des universitaires ; des
chercheurs ; des écrivains ; des
journalistes ; des fanfarons et des
hâbleurs, perroquets de la
désinformation médiatique ; des
charmeurs de serpents qui maîtrisaient
l'art d'hypnotiser les masses ; des
prophètes et des messies, guérisseurs de
lépreux, jouissant d'immunités et de
privilèges honorifiques ; ils portaient
tous la toge prétexte7
; des places d'honneur leur furent
offertes aux centres de recherche
stratégique et aux médias les plus
prestigieux ; ils étaient exempts, sauf
cas exceptionnels et d'urgente
nécessité, de toute erreur ; de rôles
déterminés leur furent attribués, de
fonctions précises leur furent accordées
: interpréter les auspices des centres
de pouvoir et en créer un discours
dominant, celui de la désinformation.
C'est la tragédie de l'histoire humaine
!
Mais qu'est-ce que
la désinformation ? La désinformation
est un ensemble de techniques de
communication visant à donner une fausse
image de la réalité, dans le but de
protéger des intérêts privés et
d'influencer l'opinion publique.
Souvent, cette fausse image est créée à
travers une série d'omissions voulues et
bien réfléchies.
Du sort
tragique de Charlie Hebdo et de la
comédie qui s'ensuivit
Après la tragédie,
l'idylle ; après l'éclatement de balles
au siège Charlie Hebdo, le tambourinage
du défilé des hypocrites dans les rues
de Paris.
Immédiatement après
la fusillade, l'État chercha à exploiter
le sentiment de peur et la confusion
régnant au sein de l'opinion publique
qui, pour la première fois depuis les
attaques de l'OAS dans les années 1960,
se trouva terrifiée par la précision
avec laquelle les terroristes eurent
manœuvré les armes automatiques
Kalachnikov ; une véritable scène de
guerre qu'on voit se dérouler depuis
quatre ans dans les rues de villes
syriennes, car les auteurs de tels actes
tragiques sont souvent les mêmes ; de
véritables combattants, dans leur façon
de bouger, de tirer, de tuer de
sang-froid, pas en rafales pour ne pas
gaspiller de cartouches, mais avec un ou
deux coups sur chaque victime. Le peuple
français fut en choc ! L'attaque était
spectaculaire dans tous ses détails,
dans toute l'horreur qu'elle créa, aussi
spectaculaire que les attentats du
11-Septembre.
Or, pour faire
sortir le peuple français du choc qu'il
subit ; pour dissiper la peur qui s'en
résulta ; pour détourner les masses de
la réalité amère ; pour cacher l'échec
des services de renseignements à
épargner le peuple de la colère d'Arès,
dieu des larmes ; pour éviter toute
interrogation de type « Vents
incertains ! où nous emportera ce flot ?
» (Eschyle, « Les Suppliantes »,
55)8 ; pour tout cela,
l'État persuada le peuple à sortir dans
les rues et à participer au cirque de la
liberté d'expression. Ainsi, sur les
artères aux alentours de la place de la
République, la foule dense déborda.
Soixante chefs d'État et de gouvernement
se défilèrent en rangs serrés, comme de
vrais légionnaires romains ; je n'en
citerai que quelques-uns, parmi les plus
emblématiques : Gebrane Bassil (Liban),
David Cameron (Grande-Bretagne), Matteo
Renzi (Italie), Angela Merkel
(Allemagne), Petro Porochenko (Ukraine),
délégation qatarie (Qatar), Mahamadou
Issoufou (Niger), Mahmoud Abbas
(Palestine), Benjamin Netanyahou
(Israël), Abdallah II (Jordanie),
Ibrahim Boubacar Keïta (Mali) et
beaucoup d'autres ; ils se précipitèrent
à prendre leurs places dans une forêt de
drapeaux tricolores brandis par des
citoyens de toutes origines : des
Chinois, des Kurdes, des Français, des
Allemands, des Africains, des Arabes,
des Inuits, des Sumériens, des
Étrusques, des Teutons, des Vandales et
des Wisigoths. Soudain, la foule scanda
sous des tonnerres d’applaudissements :
« Liberté ! », « Charlie ! ». Ô Zeus
père, qui veilles sur l'Ida, très grand,
très glorieux, quel bonheur de voir tous
ces dirigeants réunis autour de votre
fils, le Bien-aimé ! Parmi eux, il se
trouva aussi des cages pleines
d'oiseaux, des aras effrontés, des
perroquets royaux qui chantaient « Je
suis Charlie » en si-bémol, sous
les regards étonnés des émirs et sultans
arabes, membres de la délégation qatarie
pour les droits de l'homme ; et sur le
côté de la place, de nombreux CRS, de
centaines de journalistes, mais aussi
une foule de marabouts qui exhibaient la
dernière et ahurissante découverte des
savants de Thèbes. Nous dûmes d'abord,
tout en montrant notre gratitude à Zeus
Cronide, nous féliciter de la présence
de nombreux chefs d'État et de
gouvernement mondiaux ; nous dûmes aussi
être fiers que, malgré l'écrasement
brutal des libertés publiques presque
partout dans le monde, et leur doux
étouffement en Occident depuis les
attentats du 11-Septembre, il se trouva
encore de vrais combattants de liberté ;
nous dûmes enfin, remercier Leurs
Majestés et Leurs Altesses, les émirs et
sultans arabes, qui, malgré l'heure de
la sieste dans leur résidence des
faubourgs, se rassemblèrent en
délégation à la place de la République
pour exprimer leur attachement aux
valeurs démocratiques et aux libertés
publiques, mais hélas ! trois fois hélas
! cette célébration fut ternie plutôt
par la présence, en tête du cortège
parisien, de ces dirigeants mondiaux que
par la présence de la poule qui pondait
des œufs en or au son du tambourin.
C'est la comédie de
l'histoire humaine !
Autrement dit,
maintenant que le défilé est fini ; que
les représentants de la classe politique
ont prononcé leurs discours patriotiques
et ont pris de photos mémorielles ; que
les dirigeants mondiaux ont exprimé leur
solidarité avec la France, leur
affection aux valeurs démocratiques et
leur respect à la liberté d'expression ;
et que les poules ont sauté sur leurs
perchoirs, il est temps de comprendre et
d'analyser au lieu de chanter et de
danser, car comprendre et analyser pour
informer est la seule posture qui
permettra aux peuples de s'épargner des
conséquences catastrophiques résultant
des politiques aventuristes de leurs
dirigeants. Sans cela, on risque de
subir tant de malheurs, et « ni
soleil ni lune ne [resteront]
saufs » (Homère, « Iliade »,
v. 367)9.
Le 11-Septembre /
7-Janvier : où s'en trouve la
responsabilité des dirigeants
occidentaux ?
S'il est vrai que
l’attaque terroriste contre le siège de
Charlie Hebdo a choqué l’opinion
publique et l'a horrifiée par la mort
violente de 12 personnes en plein centre
de Paris, il est non moins vrai
que cette attaque nous a aussi mis
devant un tas énorme de questions sur
les causes et les conséquences qui y
sont impliquées. La question impérative
à ce sujet reste toujours de préciser
les causes qui ont mené à cette attaque,
et d'en déterminer les conséquences ; ce
que les augures des médias dominants ne
prennent pas la peine à y répondre.
1. Le
11-Septembre ou l'implication de
Washington dans l'armement des
moudjahidines
Dans son livre sorti au lendemain
des attentats du 11-Septembre « War
and Globalisation. The Truth behind
September 11 », Michel Chossudovsky
approche lesdits attentats comme une
conséquence et non pas comme une cause.
Autrement dit, l'implication des É.-U.
dans des « sales affaires » avec les
moudjahidines afghans mena aux attentats
du 11-Septembre :
With the active encouragement of the CIA
and Pakistan's ISI, who wanted to turn
the Afghan Jihad into a global war waged
by all Muslim states against the Soviet
Union, some 35,000 Muslim radicals from
40 Islamic countries joined
Afghanistan's fight between 1982 and
1992. Tens of thousands more came to
study in Pakistan madrasahs. Eventually,
more than 100,000 foreign Muslims
radicals were directly influenced by the
Afghan Jihad10.
En effet, entre
1980 -89, l'Empire américain s'impliqua
dans un jeu dangereux : recruter, parmi
les nations musulmanes, des djihadistes
sunnites pour en créer de troupes
militairement entrainées dans des camps
établis par la CIA et les services de
renseignements pakistanais et saoudiens,
et idéologiquement endoctrinés dans des
écoles religieuses, madrasah
(arabe) ou madraseh (persan), et
cela dans le but de mener une guerre de
guérillas aux troupes soviétiques en
Afghanistan. Nous nous rappelons, si je
ne me trompe pas, comment les médias
dominants présentèrent les moudjahidines
afghans comme des « combattants de la
liberté ». Il suffit de voir en ce sens
le film de James Bond « Tuer n'est
pas jouer » pour en faire preuve.
Lisons-nous au paragraphe suivant de
Chossudovsky (2002) :
The Central Intelligence Agency using
Pakistan's ISI played a key role
in training the Mujahideen. In turn, the
CIA-sponsored guerrilla training was
integrated with the teachings of Islam.
The madrasas were set up by Wahabi
fundamentalists financed out of Saudi
Arabia: "[I]t was the government of the
United States who supported Pakistani
dictator General Zia-ul Haq in creating
thousands of religious schools, from
which the germs of the Taliban emerged"11.
Quant au conflit
d'intérêts entre Washington et les
moudjahidines, Chossudovsky (2002)
montre que la montée de l'islam radical
partout dans le monde ne s'oppose pas
aux intérêts des É.-U., au contraire,
cette montée pourrait leur être utile :
U.S. foreign policy is not geared
towards curbing the tide of Islamic
fundamentalism. In fact, it is quite the
opposite. The significant development of
"radical Islam", in the wake of
September 11, in the Middle East and
Central Asia is consistent with
Washington's hidden agenda12.
Pendant la guerre
en Afghanistan (1980 -1989), Washington,
pour encourager les djihadistes dans
leur lutte contre les troupes
soviétiques, se montrait en faveur de
l'établissement d'un califat dans les
républiques musulmanes de l'Union
soviétique. A fortiori,
Chossudovsky (2002) indique que
l'établissement d'un califat en Asie
centrale était, durant la guerre
d'Afghanistan, dans l'intérêt de
Washington :
The "caliphate project" encroaches upon
Chinese territorial sovereignty.
Supported by various Wahabi
"foundations" from the Gulf States,
secessionism on China's Western frontier
is, one again, consistent with U.S.
strategic interests in Central Asia13.
Cependant, une fois
la guerre fut terminée et l'Union
soviétique démembrée, Washington changea
ses calculs, et l'établissement d'un
califat en Asie centrale ne fut plus sa
priorité ; au contraire, Washington se
trouva obligée de se retirer des
promesses qu'elle eut faites à ce
propos. Par contre, elle permit en
lieu et place la prise du pouvoir à
Kaboul par les talibans :
While the Western media (which echoes
the Bush administration) portrays the
Taliban and Osama bin Laden's Al Qaeda
as the "incarnation of evil", they fail
to mention that Taliban's coming to
power in Afghanistan 1996 was the result
of U.S. military aid, channelled to
Taliban and Al Qaeda forces through
Pakistan's ISI14.
De nos jours, les
É.-U., les Européens et leurs
subordonnés arabiques revivent
l'établissement d'un califat en Syrie et
en Irak.
2. Le
7-Janvier ou l'implication de Paris dans
l'armement des djihadistes
C'est une absurdité de dire que les
É.-U. et l'Europe s'opposent au projet
d'un califat au Moyen-Orient. Au
contraire, un tel projet tombe dans
l'intérêt direct de Washington qui
cherche à empêcher l'Iran d'établir un «
croissant chiite » s'étendant de l'Iran
jusqu'au Liban tout en passant par
l'Irak et la Syrie :
Tandis que le
Département d’État US accuse plusieurs
pays « d’héberger des terroristes », les
États-Unis sont, au niveau mondial, le «
Sponsor Étatique du Terrorisme » Numéro
Un: l’État Islamique de l’Irak et
d’al-Sham (ISIS, Islamic State of Iraq
and al-Sham, ndlr) – qui sévit à la fois
en Syrie et en Irak – est soutenu en
sous-main par les USA et leurs alliés,
dont la Turquie, l’Arabie Saoudite et le
Qatar.
De plus, le projet
de califat sunnite de l’État Islamique
de l’Irak et d’al-Sham coïncide avec un
project US visant à découper l’Irak et
la Syrie en territoires distincts: un
Califat Islamique Sunnite, une
République Arabe Chiite, une République
du Kurdistan, entre autres (...) L’État
Islamique de l’Irak et d’al-Sham (ISIS)
est souvent pris pour une « entité
indépendante » plutôt qu’un instrument
de l’alliance militaire occidentale15.
Or, ce mariage
d'intérêt entre l'Occident et l'islam
radical, comme tout autre mariage,
connait des épisodes de « chicanes » et
de malentendus ; et lorsque les
djihadistes islamistes se sentent
trompés par l'Occident, ils expriment
leur colère en des attaques terroristes
contre les intérêts occidentaux.
Cependant, cette colère passagère ne
touche pas aux infrastructures des
intérêts stratégiques qui lient
l'Occident aux groupes terroristes. Il
reste à dire que ceux qui paient le
coût, lors d'une chicane entre les deux
parties, sont toujours les civils.
L'attaque contre Charlie Hebdo, comme
les attentats du 11-Septembre, doit être
lu dans ce contexte précis :
l'implication de l'Occident dans de
sales affaires avec les djihadistes, la
première fois en Afghanistan et la
seconde fois en Syrie.
En ce qui concerne
l'attaque contre Charlie Hebdo, les
services de renseignement français
confirmèrent que l’un des agresseurs eut
suivi, en 2011, un stage complet de
préparation militaire dans un campement
d'al-Qaïda de Yémen. Cette découverte
n'étonna pas l'opinion publique qui
n'attendait pas à que les auteurs de
l'attaque eussent participé à la Guerre
de Troie ! Pourtant, ce qui fut fort
étonnant c'est que, selon les preuves
fournies par la presse, l’Arabie
Saoudite et le Qatar eurent dépensé plus
de 4 milliards de dollars américains
pour générer l’instabilité à large
échelle en Syrie par le recrutement,
l’entrainement, l’endoctrinement, par
l’armement et l’infiltration des
djihadistes, tout cela en connaissances
des capitales occidentales qui ne
cachèrent pas leur joie ni leur
impatience au jour où le palais
présidentiel à Damas tomberait aux mains
des djihadistes :
Presque 10000
citoyens européens, à côté d’autres
dizaines de milliers du Moyen-Orient,
ont été recrutés, payés en avance et
transportés dans des campements
clandestins d’instruction du type
terroriste. En dehors de la préparation
militaire, ces recrues ont été aussi
bénéficiaires d’un lavage de cerveau,
d’un endoctrinement du type religieux16.
En outre, la France
fut directement impliquée dans
l'armement de groupes terroristes en
Syrie. Ainsi qu'en témoigne l'entretien
exclusif du président français, François
Hollande au « Monde ». M.
Hollande confirma, pour la première
fois, que la France eut soutenu la «
rébellion syrienne démocratique » -
selon lui - en lui livrant des armes17.
Selon une source
officielle, plusieurs livraisons ont été
effectuées l'an dernier par des voies
clandestines. Le matériel comprenait
notamment des mitrailleuses de calibre
12.7 mm, des lance-roquettes, des gilets
pare-balles, des jumelles de visée
nocturne et des moyens de communication,
mais aucun « équipement qui aurait pu se
retourner contre nous », tels que des
explosifs18.
De façon similaire,
le gouvernement britannique considéra
envoyer des armes aux « rebelles modérés
» qui, en réalité, n'étaient que des
combattants du Front al-Nousra, une «
franchise » d'al-Qaïda en Syrie.
Lisons-nous au paragraphe suivant :
The British Government is considering
sending weapons to the moderate rebel
fighters, arguing that a failure to do
so would not only further empower
President Assad but also weaken future
potential Western allies. The bulk of
the arms that get into opposition areas
in Syria go to Islamist rebels, courtesy
of wealthy benefactors in the Gulf,
especially Qatar19.
Or, nous savons
bien que la prétendue « rébellion
démocratique en Syrie » n'est qu'un
écran de fumée utilisé par les
dirigeants occidentaux pour couvrir leur
implication aux sales affaires avec les
groupes djihadistes en Syrie. En plus,
la plupart des armes envoyées en Syrie
par l'Occident furent tombées dans les
mains des djihadistes, comme l'indiqua
bien The New York Times en 2012 :
Most of the arms shipped at the behest
of Saudi Arabia and Qatar to supply
Syrian rebel groups fighting the
government of Bashar al-Assad are going
to hard-line Islamic jihadists, and not
the more secular opposition groups that
the West wants to bolster, according to
American officials and Middle Eastern
diplomats (...) American officials have
been trying to understand why hard-line
Islamists have received the lion’s share
of the arms shipped to the Syrian
opposition through the shadowy pipeline
with roots in Qatar, and, to a lesser
degree, Saudi Arabia20.
Assad
avertit l'Europe et les États-Unis :
Hodie mihi,
cras tibi !
Le 19 avril 2013,
le président Assad avertit l'Europe et
les É.-U. de payer pour leur soutien aux
rebelles, et ses avertissements furent
basés sur des faits et des données des
opérations militaires en Syrie. Selon
ces faits, de milliers de combattants
islamistes, qui furent aussi de citoyens
européens, eurent achevé leur stage en
Syrie et revinrent dans leurs pays
d’origine, endoctrinés et préparés pour
mener la lutte à Paris, Rome, Berlin,
Londres, Copenhague et partout en Europe
:
« Assad a averti
que l'Europe et les USA paieraient pour
leur soutien aux rebelles "car ces
derniers sont des terroristes et des
bandits". Il a comparé les événements
actuels avec le soutien américain des
moujahids en Afghanistan dans les années
1980, qui a engendré Al-Qaïda et Oussama
Ben Laden. Le dirigeant syrien a
également mis en garde contre les
conséquences néfastes de cette situation
pour la Jordanie qui est devenue un
point de transit pour les rebelles et
les armements »21.
Pourtant, comment
fut la réaction des capitales
occidentales impliquées dans la guerre
contre la Syrie à l'avertissement du
président syrien ? Le point suivant est
indispensable à la compréhension des
causes réelles - et non fictives - des
dernières attaques terroristes dans les
rues de Paris. Au lieu de prendre les
avertissements du président Assad au
sérieux, les capitales occidentales
impliquées dans la guerre en Syrie
décidèrent d'envoyer plus d'armes aux
groupes armés. Assad les avertit de
nouveau dans une interview à la
Frankfurter Allgemeine Zeitung :
« In an interview with a German
newspaper, he [Assad] said that arming
the insurgents would strengthen
terrorism in "Europe's backyard" and
lead to chaos and poverty in Syria.
Speaking to the Frankfurter
Allgemeine Zeitung, Mr Assad warned
that lifting the arms embargo would also
lead to "the direct export of terrorism
to Europe." He said: "Terrorists will
train for combat and return home
equipped with extremist ideology. For
Europe, there is no alternative to
cooperation with the Syrian government,
even if Europe doesn't like it."
»22.
Hodie mihi, cras
tibi ! eût dit Assad. C'est dans ce
contexte précis qu'il faut lire les
attaques terroristes du 7-Janvier dans
les rues de Paris ; c'est-à-dire dans le
contexte de l'implication de l'Europe et
des É.-U. dans des sales affaires avec
les terroristes. Autrement dit,
l'armement, le financement et
l'entrainement des groupes djihadistes
en Syrie par l'Occident facilitèrent la
tâche auxdits groupes pour frapper au
cœur de Paris ; Hic jacet lupus !
Notes
[1] Dans la
religion romaine antique, le
sacerdos
est un personnage officiel chargé du
soin, de la surveillance, du contrôle de
tout ce qui concernait les dieux, de
tout objet ou de tout être qui leur
appartenait, de tout acte qui
s'adressait à eux et de tout phénomène
considéré comme un signe particulier de
leur volonté. En latin, le mot
sacerdos
vient de l'adjectif
sacer
« sacré » et
dos,
mot rattaché à la racine
da,
qui exprime l'idée de donner.
[2] Dans la Rome
antique,
pontifex maximus
est le titre donné au grand prêtre à la
tête du collège des pontifes. Ce titre
est le plus élevé de la religion
romaine.
[3] Plutarch.
Fall of the
Roman Republic.
Translated by Rex Warner. Penguin
Classics: London, 1979, p. 57.
[4] Voltaire.
Candide ou
L'Optimisme.
Paris : Le Livre de Poche, 1995, 218 p.
[5] Homère.
Iliade.
Traduction de Jean-Louis Backès. Paris :
Gallimard, 2013, 698 p.
[6] Galbraith W.
Peter. (2008).
Unintended
Consequences. How War in Iraq
Strengthened America's Enemies.
New York : Simon & Schuster, 203 p.
[7] Dans
l'ancienne Rome, la toge prétexte,
Toga
praetexta,
est une toge blanche bordée d'une bande
de pourpre utilisée par les magistrats
dits curules et par les garçons de moins
de 16 ans.
[8] Eschyle.
Les
Suppliantes.
In
Tragédies complètes.
Traduction de Paul Mazon. Paris :
Gallimard, 1982, 433 p.
[9] «
Ni soleil ni lune
n'étaient restés saufs
», Homère,
ibid.
[10] Chossudovsky,
Michel (2002).
War and
Globalisation. The Truth behind
September 11.
Canada : Global Outlook, p. 18 -19.
[11]
Ibid.,
p. 21.
[12]
Ibid.,
p. 33.
[13]
Ibid.,
p. 32.
[14]
Ibid.,
p. 4.
[15] Chossudovsky,
Michel. (22 novembre 2014). « La
mondialisation de la guerre ». In
Mondialisation.ca,
récupéré le 27 janvier 2015
dehttp://www.mondialisation.ca/la-mondialisation-de-la-guerre/5415618
[16] Vasilescu,
Valentin. (11 janvier 2015). «
L’attaque
terroriste contre la rédaction Charlie
Hebdo, conséquence de la politique
globale occidentale ?
». In
Mondialisation.ca,
récupéré le 22 janvier 2015
dehttp://www.mondialisation.ca/lattaque-terroriste-contre-la-redaction-charlie-hebdo-consequence-de-la-politique-globale-occidentale/5423987
[17]
Le Monde.
(20 août 2014). « François Hollande
confirme avoir livré des armes aux
rebelles en Syrie ». Récupéré le 27
janvier 2015
dehttp://www.lemonde.fr/politique/article/2014/08/20/la-france-a-bien-livre-des-armes-aux-rebelles-en-syrie_4473715_823448.html#DhcEPuCRFLHyiRpQ.99
[18] Barthe, Benjamin ; Cyril Bensimon ;
Yves-Michel Riols.
(21 août 2014). «
Comment et pourquoi la France a livré
des armes aux rebelles en Syrie ». In
Le Monde,
récupéré le 27 janvier 2015
dehttp://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/08/21/comment-paris-a-livre-des-armes-aux-rebelles-syriens_4475027_3218.html#YmoA0LxYiwCUsMai.99
[19] Sengupta, Kim. (11 août 2013). «
Revealed: What the West has given
Syria's rebels ».
In
The Independent,
récupéré le 23 janvier 2015
dehttp://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/revealed-what-the-west-has-given-syrias-rebels-8756447.html
[20] Sanger, David
E. ( 14 octobre 2012). « Rebel Arms Flow
Is Said to Benefit Jihadists in Syria ».
In The New
York Times,
récupéré le 27 janvier 2015
dehttp://www.nytimes.com/2012/10/15/world/middleeast/jihadists-receiving-most-arms-sent-to-syrian-rebels.html?pagewanted=all&_r=0
[21] Ria Novosti.
(19 avril 2013). «
Bachar al-Assad
menace les "colonialistes" qui
"soutiennent Al-Qaïda"
». Récupéré le 22 janvier 2015
dehttp://fr.ria.ru/presse_russe/20130419/198119456.html
[22]
The Telegraph.
17 juin 2013). « Syria's Bashar al-Assad
warns Europe to 'pay price' for arming
rebels », récupéré le 23 janvier 2015
dehttp://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/syria/10125455/Syrias-Bashar-al-Assad-warns-Europe-to-pay-price-for-arming-rebels.html
Docteur en
Études françaises (UWO, 2010), Fida
Dakroub est collaborateur régulier
du Centre de recherche sur la
mondialisation / Centre for Research on
Globalization.
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