Actualité
Cimetières musulmans
Quelles solutions face à une situation
critique anxiogène ?
Faouzia Zebdi-Ghorab
Samedi 9 mai 2020
Cimetières musulmans et COVID-19.
Quelles solutions face à une situation
critique anxiogène ?
Terre ancestrale ou carré musulman ?
Jusqu’en 1934, le
sort des musulmans morts dans l’hexagone
ne faisait l’objet d’aucune attention
particulière. Leurs corps étaient
« renvoyés au pays » pour être inhumés
dans le sol chaud de leur terre natale ;
ceci jusqu’à ce que le décret
présidentiel 4 janvier 1934 autorise la
création du cimetière musulman privé de
Bobigny chargé d’accueillir les soldats
musulmans combattants de la 1ère guerre
mondiale.
En dérogation à la
loi du 14 novembre 1881 qui interdit
« tout regroupement par confession sous
la forme d’une séparation matérielle du
reste du cimetière », ce cimetière qui
par la suite sera ouvert à d’autres
musulmans, est en fait une annexe de
l’Hôpital franco-musulman de Paris.
Il fait plus
globalement partie d’une vaste opération
qui a procédé — dans le cadre de la
célébration du centenaire de la conquête
de l’Algérie — à la création de la
mosquée de Paris (1926) et de cet
hôpital franco-musulman Avicenne (1935).
Un hôpital, une mosquée et un
cimetière…trois réalisations « en
hommage au sacrifice des milliers de
soldats coloniaux mobilisés pendant la
Première Guerre mondiale, mais aussi
comme gage donné aux populations
coloniales déjà tentées par
l’indépendance. [0]»
Dès 1957, et malgré
l’annexion de certains carrés, le
cimetière qui témoigne de façon
poético-tragique de l’implication
sacrificielle des musulmans tombés pour
la France, arrive à saturation.
Après être passé un
temps sous la tutelle de
l’Administration générale de
l’assistance publique de Paris, le
cimetière musulman perd en 1997 son
statut privé. Il est cédé au cimetière
intercommunal (Aubervilliers, La
Courneuve, Drancy et Bobigny) de la
Courneuve, dont il constitue désormais
une « extension ». Le cimetière musulman
était devenu un « carré musulman » !
Depuis, les
entreprises de pompes funèbres se sont
multipliées ainsi que les carrés
musulmans. Sur les 40 000 cimetières
existants, on estime à 600 le nombre de
cimetières proposant un carré musulman.
Ce qui représente 1,5 % de la totalité
des cimetières. Ce chiffre est bien
évidemment dérisoire proportionnellement
au nombre de citoyens de confession
musulmane natifs ou résidents en France.
COVID 19, un terrible révélateur ?
La pandémie du
COVID 19 a d’ailleurs révélé les limites
de ce « bricolage » qui dure depuis
presque 100 ans maintenant.
Pour l’heure, ces
lopins de terre ne suffisent plus à
accueillir les dépouilles des victimes
du virus contraints d’être enterrés en
France en raison de mesures sanitaires
interdisant le transfert des corps à
l’étranger.
Si la vie de la
majorité des musulmans notamment
d’origine afro-maghrébine n’est pas un
modèle de réussite économique et
sociale, elle est en droit de souhaiter
une sépulture digne et conforme à ses
convictions religieuses. Pourquoi ne pas
créer ses propres cimetières me
direz-vous ?
Que dit la loi ?
Les lois relatives
à l’inhumation des corps se basent sur
deux principes : le principe de
neutralité des cimetières qui interdit
« tout regroupement par confession sous
la forme d’une séparation matérielle du
reste du cimetière. » (Loi du 14
novembre 1881). Et le principe de
laïcité des lieux d’inhumations qui
interdit la création de nouveaux
cimetières confessionnels ou
l’agrandissement des cimetières
confessionnels existants. (L’art. 28 de
la loi du 9 décembre 1905)
Autrement dit, en
l’état, la création de cimetières
confessionnaux n’est pas possible. De
même la législation actuellement en
vigueur interdit l’acquisition d’un
terrain dans le but d’en faire un
cimetière privé.
La circulaire du
ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer
et des Collectivités territoriales, en
date du 19 février 2008, a abordé la
question de la création des cimetières
privés confessionnels, dans son
paragraphe 3, en rappelant : « Il n’est
plus possible de créer de nouveaux
cimetières privés ou d’agrandir ceux qui
existent : cour d’appel
d’Aix-en-Provence, 1er février 1971,
Sieur Rouquette c/Association cultuelle
israélite de Marseille ».
Cette interdiction
avait été posée antérieurement par le
Conseil d’État dans son arrêt du 18 aout
1944, Sieur Lagarrigue ; se fondant sur
la loi du 14 novembre 1881, ainsi que
sur l’art. 97-4 ° de la loi du 5 avril
1884, la haute assemblée a légitimement
jugé « qu’il résulte de l’ensemble de
ces dispositions, ainsi que des travaux
préparatoires des lois précitées, que la
création et, par suite, l’agrandissement
d’un cimetière confessionnel sont
illicites ».
Trois exceptions ?
le cimetière musulman de Saint Denis de
la Réunion inauguré en 1911
le cimetière musulman de Bobigny,
inauguré en 1937,
le cimetière musulman de Strasbourg
privé, inauguré en 2012,
Ces trois
cimetières ont-ils « dérogé » à ces
règles drastiques ?
En ce qui concerne
le cimetière de Strasbourg, seul
cimetière musulman public de France, il
a tout simplement bénéficié du droit
local, c’est-à-dire du Concordat de 1801
en vigueur en Alsace-Moselle. Les
circonstances de sa création ne sont
donc pas transposables au reste de la
France.
En ce qui concerne
le cimetière musulman de Saint Denis de
la Réunion. « Pour contourner le refus
de l’administration, un commerçant
gujarati achète un terrain de 3150 m2
situé juste en face du Cimetière de
l’Est, de l’autre côté de la voie de
chemin de fer. Profitant d’un changement
de majorité parmi les élus locaux, les
commerçants gujaratis renouvèlent leur
demande de création d’un cimetière
musulman. En 1911 ils obtiennent
l’autorisation d’avoir leur propre
cimetière. [1]» Mais tout ceci se
passe en 1911, avant que l’ile de la
Réunion ne devienne un département
d’outre-mer français. Ce cas ne peut
donc faire jurisprudence.
En ce qui concerne
le cimetière musulman de Bobigny, le cas
est différent. L’autorisation émane d’un
décret présidentiel datant de 1934.
Rappelons qu’un décret « est un acte
exécutoire à portée générale ou
individuelle pris par le président de la
République ou par le Premier ministre
qui exerce le pouvoir règlementaire
(art. 21 et art. 37 de la
Constitution)[2]. » La question est de
savoir si une telle décision politique
serait possible aujourd’hui ? En 2006,
en tant que président de la « commission
de réflexion juridique sur les relations
des cultes avec les pouvoirs publics »
le juriste Jean-Pierre Machelon avait
tenté de modifier la législation. Mais
ses propositions sont restées lettre
morte…
Des solutions viables ?
Que de façon individuelle ou collective,
à l’échelle de leurs communes
respectives, les musulmans fassent
pression sur les élus afin qu’ils
instaurent des carrés musulmans s’ils
n’existent pas encore, ou qu’ils
agrandissent ceux qui existent déjà.
Sachant qu’il ne s’agit pas d’un
confort, ou d’une faveur, mais bien
d’une question de salut public. Là
encore, peut-être seront-ils obligés
“d’acheter” un morceau de “pré carré”
contre la promesse d’une
réélection.
Que dans une entreprise de plus grande envergure, les
musulmans soient en mesure de faire
pression sur le gouvernement afin qu’il
prenne la décision d’émettre un décret
qui autorise la création exceptionnelle
d’au moins un cimetière musulman comme
il l’a fait en 1937. Mais la probabilité
qu’une telle chose survienne est
quasiment nulle au regard de notre
« organisation » protozoaire.
Que les personnes qui souhaitent être enterrées en France
envisagent l’achat de concessions
familiales, et en fassent pour cela la
demande auprès de la mairie de leur
domicile.
Mais en cas
d’urgence sanitaire comme aujourd’hui
quelles solutions?
Que faire, si comme
aujourd’hui, les rapatriements ne sont
plus autorisés pour ceux qui le
souhaitent, et que les carrés musulmans
arrivent à saturation ? Les corps
finiront-ils faute de place, dans des
terrains communs ?
Il faut par
ailleurs tenir compte d’un autre
paramètre observable. Les jeunes
générations de musulmans, nées en
France, et ayant leurs ascendants ainsi
que leurs descendants en France
n’envisagent pas, pour des raisons
financières ou affectives, leur
rapatriement après décès.
Cette pandémie est,
semble-t-il, la triste occasion de
laisser apparaitre au grand jour le
nième problème qui s’ajoute à la longue
liste des problèmes que la communauté
musulmane de France n’a toujours pas
résolus faute de… tellement de choses.
Il faut aujourd’hui
se contenter d’espérer que ces
dépouilles humainement sacrées ne
finissent pas dans un terrain commun
faute d’argent, par déficit familial,
par négligence, ou tout simplement parce
que les carrés musulmans auront été
saturés par une nième vague d’épidémie
mortelle.
[0] Article
Wikipedia
[1]
https://carolinel3fle.wordpress.com/2018/06/24/le-cimetiere-musulman-de-saint-denis/,
Mais
[2] Wikipédia
Jusqu’en 1934, le
sort des musulmans morts dans l’hexagone
ne faisait l’objet d’aucune attention
particulière. Leurs corps étaient
« renvoyés au pays » pour être inhumés
dans le sol chaud de leur terre natale ;
ceci jusqu’à ce que le décret
présidentiel 4 janvier 1934 autorise la
création du cimetière musulman privé de
Bobigny qui sera chargé d’accueillir les
soldats musulmans ayant combattu durant
la 1ère guerre mondiale.
En dérogation à la
loi du 14 novembre 1881 qui interdit
« tout regroupement par confession sous
la forme d’une séparation matérielle du
reste du cimetière », ce cimetière
qui par la suite sera ouvert à d’autres
musulmans, est en fait une annexe de
l’Hôpital franco-musulman de Paris.
Il fait plus
globalement partie d’une vaste opération
qui a procédé — dans le cadre de la
célébration du centenaire de la conquête
de l’Algérie — à la création
de la mosquée de Paris (1926) et de cet
hôpital franco-musulman Avicenne (1935).
Un hôpital, une mosquée et un
cimetière….trois réalisations « en
hommage au sacrifice des milliers de
soldats coloniaux mobilisés pendant la
Première Guerre mondiale, mais aussi
comme gage donné aux populations
coloniales déjà tentées par
l’indépendance. » Wikipedia
Dès 1957, et malgré
l’annexion de certains carrés, le
cimetière qui témoigne de façon
poético-tragique de l’implication
sacrificielle des musulmans tombés pour
la France, est arrivé à saturation.
Après être passé un
temps sous la tutelle de
l’Administration générale de
l’assistance publique de Paris, le
cimetière musulman abandonne en 1997 son
statut privé. Il est cédé au cimetière
intercommunal (Aubervilliers, La
Courneuve, Drancy et Bobigny) de la
Courneuve, dont il constitue désormais
une « extension ». Le cimetière musulman
était devenu un « carré musulman » !
Depuis, les
entreprises de pompes funèbres se sont
multipliées ainsi que les carrés
musulmans. Sur les 40 000 cimetières
existants, on estime à 600 le nombre de
cimetières proposant un carré musulman.
Ce qui représente 1,5 % de la totalité
des cimetières. Ce chiffre est bien
évidemment dérisoire proportionnellement
au nombre de citoyens de confession
musulmane natifs ou résidents en France.
La pandémie du
COVID 19 a révélé les limites de ce
« bricolage » qui dure depuis presque
100 ans maintenant.
Pour l’heure, ces
lopins de terre ne suffisent plus à
accueillir les dépouilles des victimes
du virus contraints d’être enterrés en
France en raison de mesures sanitaires
drastiques.
Si la vie de la
majorité des musulmans notamment
d’origine afro-maghrébine n’est pas un
modèle de réussite économique et
sociale, ils seraient en droit de
souhaiter une sépulture digne et
conforme à leurs convictions
religieuses.
Pourquoi ne pas
créer nos propres cimetières me
direz-vous ?
Que dit la loi à ce
propos
Les lois relatives
à l’inhumation des corps se basent sur
deux principes : le principe de
neutralité des cimetières qui interdit
« tout regroupement par confession
sous la forme d’une séparation
matérielle du reste du cimetière. »
(Loi du 14 novembre 1881). Et le
principe de laïcité des lieux
d’inhumations qui interdit la création
de nouveaux cimetières confessionnels ou
l’agrandissement des cimetières
confessionnels existants. (L’art. 28 de
la loi du 9 décembre 1905)
Autrement dit, en
l’état, la création de cimetières
confessionnaux n’est pas possible. De
même la législation actuellement en
vigueur interdit l’acquisition d’un
terrain dans le but d’en faire un
cimetière privé.
La circulaire du
ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer
et des Collectivités territoriales, en
date du 19 février 2008, a abordé la
question de la création des cimetières
privés confessionnels, dans son
paragraphe 3, en rappelant : « Il
n’est plus possible de créer de nouveaux
cimetières privés ou d’agrandir ceux qui
existent : cour d’appel
d’Aix-en-Provence, 1er février 1971,
Sieur Rouquette c/Association cultuelle
israélite de Marseille ».
Cette interdiction
avait été posée antérieurement par le
Conseil d’État dans son arrêt du 18 aout
1944, Sieur Lagarrigue ; se fondant sur
la loi du 14 novembre 1881, ainsi que
sur l’art. 97-4 ° de la loi du 5 avril
1884, la haute assemblée a légitimement
jugé « qu’il résulte de l’ensemble de
ces dispositions, ainsi que des travaux
préparatoires des lois précitées, que la
création et, par suite, l’agrandissement
d’un cimetière confessionnel sont
illicites ».
Or il s’avère qu’il
existe trois exceptions :
1)
le cimetière musulman de Strasbourg
privé, inauguré en 2012,
2)
le cimetière musulman de Saint Denis de
la Réunion inauguré en 1911
3)
le cimetière musulman de Bobigny,
inauguré en 1937
Ces trois
cimetières ont-ils « dérogé » à ces
règles drastiques ?
En ce qui concerne
le cimetière de Strasbourg, seul
cimetière musulman public de France, il
a tout simplement bénéficié du droit
local, c’est-à-dire du Concordat de 1801
en vigueur en Alsace-Moselle. Les
circonstances de sa création ne sont
donc pas transposables au reste de la
France.
En ce qui concerne
le cimetière musulman de Saint Denis de
la Réunion. « Pour contourner le
refus de l’administration, un commerçant
gujarati achète un terrain de 3150 m2
situé juste en face du Cimetière de
l’Est, de l’autre côté de la voie de
chemin de fer. Profitant d’un changement
de majorité parmi les élus locaux, les
commerçants gujaratis renouvèlent leur
demande de création d’un cimetière
musulman. En 1911 ils obtiennent
l’autorisation d’avoir leur propre
cimetière. [1]»
Mais tout ceci se passait en 1911,
autrement dit avant que l’ile de la
Réunion ne devienne un département
d’outre-mer français. Ce cas ne peut
donc pas faire jurisprudence.
En ce qui concerne
le cimetière musulman de Bobigny, le cas
est différent. L’autorisation émane d’un
décret présidentiel datant de 1934.
Rappelons qu’un décret « est un acte
exécutoire à portée générale ou
individuelle pris par le président de la
République ou par le Premier ministre
qui exerce le pouvoir règlementaire
(art. 21 et art. 37 de la Constitution)[2]. »
Une telle décision
politique serait-elle possible
aujourd’hui ?
Des solutions
viables ?
¾
Que de façon individuelle ou collective,
à l’échelle de leurs communes
respectives, les musulmans fassent
pression sur les élus afin qu’ils
instaurent des carrés musulmans s’ils
n’existent pas encore, ou qu’ils
agrandissent ceux qui existent déjà.
Sachant qu’il ne s’agit pas d’un
confort, ou d’une faveur, mais bien
d’une question de salut public.
¾
Que dans une entreprise de plus grande
envergure, les musulmans soient en
mesure de faire pression sur le
gouvernement afin qu’il prenne la
décision d’émettre un décret qui
autorise la création exceptionnelle d’au
moins un cimetière musulman comme il l’a
fait en 1937. Mais la probabilité qu’une
telle chose survienne est quasiment
nulle puisqu’au regard de notre
« organisation » protozoaire, nous ne
sommes pas en position de demander quoi
que ce soit.
Rappelons qu’en 2006, en tant que
président de la « commission de
réflexion juridique sur les relations
des cultes avec les pouvoirs publics »
le juriste Jean-Pierre Machelon avait
tenté de modifier la législation. Mais
ses propositions sont restées lettre
morte.
¾
Que les personnes qui souhaitent être
enterrées en France envisagent l’achat
de concessions familiales, et en fassent
pour cela la demande auprès de la mairie
de leur domicile.
Mais en cas
d’urgence sanitaire comme aujourd’hui
quelle solution ?
Que faire, si comme
aujourd’hui, les rapatriements ne sont
plus autorisés pour ceux qui le
souhaitent bien sûr, et que les carrés
musulmans arrivent à saturation ? Les
corps finiront-ils faute de place, dans
des terrains communs ?
Il faut par
ailleurs tenir compte d’un autre
paramètre observable. Les jeunes
générations de musulmans, nées en
France, et ayant leurs ascendants ainsi
que leurs descendants en France
n’envisagent pas, pour des raisons que
l’on peut supposer, leur rapatriement
après décès.
Cette pandémie est,
semble-t-il, la triste occasion de
laisser apparaitre au grand jour le
nième problème qui s’ajoute à la longue
liste des problèmes que la communauté
musulmane de France n’a toujours pas
résolus faute de… tellement de choses.
Il faut aujourd’hui
se contenter d’espérer que les
dépouilles sacrées ne finissent pas dans
un terrain commun faute d’argent, par
déficit familial, par négligence, ou
tout simplement parce que les carrés
musulmans auront été saturés par une
nième vague d’épidémie mortelle.
Faouzia Zebdi-Ghorab
Auteur de : « Imams et prédicateurs
musulmans face au discours dominant »
Nanterre le 08 mai 2020
[1]
https://carolinel3fle.wordpress.com/2018/06/24/le-cimetiere-musulman-de-saint-denis/,
Mais
[2]
Wikipédia
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