Palestine
Palestine occupée :
comment disparaît un village
Fadwa Nassar
Jeudi 20 février 2014
Le village de Ramyé,
dans al-Jalil, est menacé de
disparition. La colonie tentaculaire
Karma’el compte s’étendre sur le
village, devenu un quartier encerclé au
fil des ans, et l’avaler. C’est ainsi
qu’ont procédé les centaines de points
de colonisation installés par l’occupant
en Palestine : à partir d’un point, la
colonie s’étend peu à peu et avale les
terres qui l’entourent, tel que le
prévoient les divers organismes de
l’entité sioniste, depuis le
gouvernement jusqu’à la municipalité, en
passant par le Fonds National Juif,
l’Agence Juive, la Histadrout et autres.
La colonie de
Karma’el fut installée en 1964 en plein
milieu de terres appartenant à plusieurs
villages palestiniens. Depuis, elle
s’est étendue de part et d’autre, vers
le nord et le sud, vers l’est et
l’ouest, avalant les terres de Deir al-Assad,
Baane, Majd El-Kroum, al-Maghar et Nahaf.
Non seulement les terres de ces villages
furent confisquées, mais les liaisons
entre les villages situés de part et
d’autre de cette colonie furent coupées.
D’ailleurs, une des fonctions des
colonies placées au centre des
agglomérations palestiniennes a consisté
et consiste toujours à briser les liens
sociaux et à détruire toute continuité
géographique ou sociale entre
Palestiniens. De plus, les colonies sont
les principaux centres d’où rayonnent la
judaïsation. Elles sont d’abord
interdites aux Palestiniens, qui ne
peuvent prétendre y vivre, à moins
d’être admis par un comité qui juge de
la disposition des candidats à approuver
le sionisme et leur capacité de
s’adapter au mode de vie et de pensée
des colons. Ensuite, les routes
traversant al-Jalil sont conçues en
fonction de leurs besoins, les pancartes
de signalisation des villages sont
écrits en hébreu, et les noms arabes
sont judaïsés en fonction de leur
projet. Pour les colons et le projet de
judaïsation de la région d’al-Jalil
(mais il en est ainsi ailleurs), eux
sont les maîtres, les autres (Les
Palestiniens) n’existent
qu’accidentellement, et provisoirement.
C’est ce que signifie le label « village
non-reconnu » d’ailleurs, il n’est pas
reconnu par l’entité occupante qui
prévoit sa disparition.
Le village de Ramyé
est devenu, après l’occupation en 1948,
un village non-reconnu, c’est-à-dire
voué à la disparition ; il réussit à se
maintenir jusqu’à présent, comme tant
d’autres villages non-reconnus dans al-Jalil
et al-Naqab, à cause de la persévérance
de leurs habitants, bien que ses terres
(400 dunums) furent confisquées en 1976
au profit « du bien public »,
c’est-à-dire l’extension de la colonie
pour accueillir de nouveaux colons
immigrés.
L’administration
coloniale a refusé de reconnaître le
village de Ramyé, même en tant que
quartier à l’intérieur de la colonie
Karma’el qui s’est étendue jusqu’à
l’entourer de toutes parts. Le village
palestinien de Ramyé est aujourd’hui
encerclé mais il refuse de s’auto-détruire.
Bien que l’affaire dure depuis les
années 90, lorsque l’administration
sioniste a sommé la population de
partir, ce n’est que depuis quelques
mois que l’expulsion et la destruction
du village sont sérieusement envisagées
et que la lutte pour demeurer et vivre à
Ramyé rassemble de nouveau les
Palestiniens de 48.
Dans les années 90,
un accord était intervenu entre
l’administration coloniale et les
habitants de Ramyé, selon lequel la
population se déplacerait vers un autre
lieu, et l’Etat leur accorderait des
compensations sous forme de terrains
pour construire leurs maisons et des
terrains agricoles. Cependant,
l’occupant a refusé d’honorer sa
promesse, pensant que la population,
lasse, s’en irait sans compensation
aucune. Mais les habitants de Ramyé ne
sont pas partis, bien qu’ils vivent sans
électricité, sans eau courante, et sans
routes asphaltées menant à leur village,
la colonie Karma’el refusant de relier
le village à tous ces services de base.
Depuis le renouveau
des plans de judaïsation d’al-Jalil, la
question du village de Ramyé est revenue
dans l’agenda de l’administration
coloniale. Le « Département des terres
d’Israël » a alors proposé aux familles
des terrains de construction très
réduits pour pouvoir loger tous les
habitants de Ramyé, mais pire encore,
des terrains dispersé ça et là, en vue
de détruire les liens sociaux entre ses
habitants, avec un ultimatum, sinon les
bulldozers viendraient et détruiraient
tout sur leur passage, et il n’y aurait
plus de compensations.
Entretemps, les
habitants de Ramyé avaient accusé le
Département de ne pas avoir appliqué
l’accord signé en 1995 devant le
tribunal de Haïfa, qui avait donné
raison aux habitants. Mais quelques
années plus tard, le Département porte
l’affaire devant les mêmes tribunaux et
obtient gain de cause en août 2013, le
précédent jugement en faveur des
habitants de Ramyé étant rejeté. C’est
alors qu’un nouveau ultimatum est donné
à la population de Ramyé, qui devait
abandonner son village avant le 4
novembre 2013, sinon, toutes les
compensations dues seraient annulées.
Ayant réalisé que
les tribunaux ne sont que des outils du
pouvoir colonial, la population de Ramyé
a décidé de résister, d’appeler à la
résistance et au rassemblement de tous
les Palestiniens autour de leur cause.
Depuis plusieurs mois, une tente de
résistance est plantée dans le village
pour accueillir toutes les délégations
politiques, associatives, culturelles et
artistiques qui viennent soutenir la
lutte des habitants de Ramyé. Les partis
politiques des Palestiniens de 48 ont
affirmé leur solidarité, et organisent
des meetings et des manifestations, que
ce soit dans la colonie Karma’el ou
devant les organes administratifs
coloniaux, pour protester contre la
disparition du village de Ramyé. Des
débats politiques sont organisés sous la
tente, des films sont visionnés, et
plusieurs fois par semaine, des
activités pour les enfants de Ramyé sont
animées par des chanteurs, des
jongleurs, des artistes et des conteurs
venant d’al-Jalil et d’ailleurs.
Il y a une semaine,
la presse internationale a commencé à
s’intéresser à l’affaire de Ramyé. Cela
n’est due qu’à la persévérance de ses
habitants et du rassemblement unanime
des Palestiniens de 48 autour du village
menacé. C’est une nouvelle preuve que la
bataille menée sur le plan juridique est
sans issue, sinon perdue d’avance. Seule
la résistance à l’occupation permet
d’envisager un avenir sans oppression ni
injustice. Le village de Ramyé résiste,
il ne doit pas être détruit. La
mobilisation médiatique internationale
doit pouvoir faire reculer l’occupant.
Le sommaire de Fadwa Nassar
Les dernières mises à jour
|