Politique
Les "nègres" vous emmerdent !
Claude Ribbe
© Claude
Ribbe
Mercredi 30 mars 2016
Le 30 mars 2016, quelques jours après le
lancement d’une campagne invitant les
Français à s’unir contre le racisme,
quelques jours aussi après la
diffusion d’images choquantes montrant
un jeune lycéen roué de coups par la
police, parce que sa couleur de peau,
peut-être, équivalait à une autorisation
de frapper, Laurence Rossignol, une
ministre de la République, comparait le
port du voile par les femmes musulmanes
qui font librement ce choix aux « nègres
qui étaient pour l’esclavage ».
Tandis que la
ministre, croyant se rattraper, évoquait
par la suite une prétendue « faute de
langage », certains s’empressaient de
parler de «dérapage».
« Il y avait des
nègres afric… Des nègres américains qui
étaient pour l’esclavage ! » : tels sont
les propos de Laurence Rossignol, tenus
en direct sur RMC, l’une des radios les
plus écoutées de France.
Si le mot «nègre» a
parfois été utilisé par des
Afro-descendants, c’était pour dénoncer
l’esclavage et le racisme qui en fut le
ciment. Mais à celui qui le traitait de
nègre, Césaire répondait aussitôt : « Le
nègre vous emmerde ! »
Quels sont donc ces
« nègres afric…», pardon, ces « nègres
américains » qui étaient « pour
l’esclavage » ? Nat Turner ? Harriet
Tubman ? Frederick Douglass ? Henry Bibb ?
Solomon Northup ? Toussaint Louverture ?
Louis Delgrès ? Solitude ? Flore
Gaillard ?
À quelques semaines
de la commémoration de l’abolition de
l’esclavage, qu’une loi votée en 2001
déclare crime contre l’humanité, la
déclaration de cette ministre et
l’absence de réactions officielles
immédiates conduisent, hélas, à se poser
des questions.
En 2012, les
descendants de ces « nègres » dont
certains auraient, selon la ministre,
été favorables à leur propre
déshumanisation, à leur propre martyre,
à leur propre génocide, ont
majoritairement porté François Hollande
à la présidence de la République,
espérant que le nouveau quinquennat
permettrait de contribuer à éradiquer le
racisme, à donner plus de sens au mot
« fraternité », espérant que les
promesses électorales - suppression
immédiate du mot « race » de la
constitution, création d’un centre de
mémoire pour les descendants d’esclaves
- seraient honorées.
Beaucoup se sont
interrogés durant ce quinquennat. Et pas
seulement lorsque François Hollande
l’inaugurait en déposant une gerbe pour
honorer Jules Ferry, l’homme qui
déclarait à la chambre des députés :
"Messieurs, il faut parler plus haut et
plus vrai ! Il faut dire ouvertement
qu’en effet les races supérieures ont un
droit vis-à-vis des races inférieures.
Je répète qu’il y a pour les races
supérieures un droit, parce qu’il y a un
devoir pour elles. Elles ont le devoir
de civiliser les races inférieures. »
Le 10 mai 2015,
Manuel Valls s’est publiquement
déclaré favorable à l’ouverture d’un
centre Dumas à Paris, dans les locaux
vacants de l’hôtel Gaillard, place du
général-Catroux (17e), là où, tous les
ans, l’esclavage est dignement
commémoré. Pas une cabane bambou, ni un
centre commercial. Non, un lieu de
culture, de mémoire et d’histoire pour
combattre l’ignorance et le déni. Un
endroit qui empêcherait les ministres de
faire des « fautes de langage ».
Manuel Valls a
prôné un dialogue avec la banque de
France, propriétaire des lieux. La
banque de France, institution portée sur
les fonts baptismaux de l’esclavage en
1800 par une poignée de négriers.
Certains se sont
étonnés que le nouveau gouverneur de la
banque de France, nommé par le Président
de la République, après s’être déclaré
incompétent, ait déclaré que la banque
de France n’avait rien à voir avec
l’esclavage et que l’hôtel Gaillard,
grâce à des fonds publics, serait
affecté à un musée à la gloire de la
finance, destiné aux élèves collèges et
des lycées, dirigé par le frère de M.
Strauss-Kahn.
Glorification de la
finance, accusations portées contre les
« nègres » d’avoir été « pour
l’esclavage » : est-ce donc là le bilan
de ces quatre années où, de manière
rituelle, le président de la République,
presque tous les 10 mai, derrière les
grilles closes du jardin du Luxembourg,
semblait pourtant considérer que
l’esclavage fut un crime et que les
victimes ne doivent pas être confondues
avec les bourreaux ?
Laurence Rossignol
a parlé de « faute de langage ». Plus
qu’une faute, les propos qu’elle a tenus
sont peut-être une erreur, une très
grave erreur politique.
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