Actualité
Les dirigeants israéliens
devant la Cour Pénale Internationale
Christophe Oberlin
Lundi 6 janvier 2020
Cinq ans après la publication d’un livre
consacré à la question
Israélo-palestinienne au regard de la
Cour Pénale Internationale[1],
force est de constater que la ligne qui
y était tracée trouve aujourd’hui sa
concrétisation. Le passage à la phase
judiciaire était inéluctable. Seule la
date était inconnue. Le 20 décembre 2019
la procureure de la Cour Pénale
Internationale annonce sa volonté
d’ouvrir une enquête sur les crimes de
guerre commis en Palestine à partir du
13 juin 2014.
Peu
d’observateurs prêtaient à la procureure
cette intention :
Entrée en fonction
depuis 2002, la Cour Pénale
Internationale avait surtout eu à
traiter d’affaires africaines, et
s’était vu attribué le qualificatif de «
tribunal de Blancs pour juger les Noirs.
La plus grande partie de son financement
étant européen, de « tribunal européen
pour juger les africains »[2].
Certains prédisaient même l’effondrement
de la Cour Pénale Internationale.
L’institution soulevait aussi le
scepticisme des responsables de
l’administration de Gaza : « Nous
n’avons pas confiance dans un tribunal
établi par les Occidentaux ». Et
l’Autorité Palestinienne était loin de
vouloir utiliser cet outil : le 25
juillet 2014, en pleine offensive
israélienne contre Gaza, une plainte du
ministre de la Justice de l’Autorité
Palestinienne et du procureur de Gaza
avait même été bloquée par le ministre
des Affaires Etrangères Riad al Maliki
dépêché d’urgence à La Haye. Autre signe
négatif, la procureure de la Cour Pénale
Internationale Fatou Bensouda avait
refusé par trois fois d’ouvrir une
enquête sur l’affaire du Mavi Marmara
comme nous le reverrons, le dernier
refus en date du 1er décembre
2019.
La souffrance des
victimes de Gaza était peu audible alors
que le territoire est administré par une
organisation « terroriste » selon
L’Union Européenne et les Etats-Unis (et
malgré un jugement inverse de la Cour de
Justice de l’Union Européenne).
Enfin le
sud-africain John Dugard, principal
conseiller légal de l’Autorité
Palestinienne et ancien rapporteur
spécial des Nations-Unies pour la
Palestine, avait publié quelques jours
avant la décision de Fatou Bensouda un
étonnant document : « Pourquoi la
Procureure n’ouvrira jamais une enquête
sur Israël-Palestine » …
Et pourtant des
étapes avaient été franchies :
La Palestine avait
ratifié le traité de Rome en janvier
2015 (Art. 12(2)), et également adressé
une déclaration gouvernementale donnant
une compétence rétroactive à la Cour
depuis le 14 juin 2014 (Art. 12 (3)) ce
qui permettait d’inclure les crimes de
guerre commis pendant la guerre de l’été
2014.
A partir de Gaza de
très nombreux dossiers de victimes ont
été envoyés à la CPI à partir de 2014.
Il s’agit de plaintes de victimes ou de
famille de victimes, rédigées et
documentées par du personnel formé selon
les standards juridiques internationaux.
Ces documents ont concerné la guerre de
l’été 2014, mais aussi une plainte de la
société civile (une cinquantaine
d’associations, 400 Palestiniens, et
quarante avocats) en 2017, et depuis
début 2018 les très nombreuses victimes
des manifestations hebdomadaires le long
de la frontière de Gaza connues sous le
nom de « Grandes Marches du retour ».
Enfin le 23 mai
2018, l’Autorité Palestinienne avait
officiellement déposé plainte devant la
Cour en activant l’article 14.
Début décembre
2019, Fatou Bensouda produisait le
rapport annuel de l’activité du Bureau
du procureur. Et les observateurs
attentifs avaient noté, dans le chapitre
consacré à Israël-Palestine,
l’utilisation d’une formule
inhabituelle. Alors que le bureau avait
lancé une enquête préliminaire depuis
2015 et que chaque rapport annuel depuis
se contentait de mentionner une activité
substantielle de recueil et de
vérification d’informations, pour la
première fois Fatou Bensouda estimait
que « le temps était venu d’une décision
judiciaire ». Contrairement à certains
qui pronostiquaient que la procureure
allait laisser le dossier à son
successeur, la formule établissait
qu’une décision serait prise dans
l’année, ce qu’il advint quelques jours
plus tard.
Le communiqué de
presse du 20 décembre 2019
« Aujourd’hui,
j’annonce que selon toutes les
évaluations indépendantes et objectives
des informations parvenues à
mon Bureau lors de l’examen préliminaire
de la situation en Palestine a conclu
que tous les critères, selon le Statut
de Rome, étaient réunis pour ouvrir une
enquête ». Fatou Bensouda précise
d’emblée que l’existence d’une « saisine
de l’Etat de Palestine », la dispense de
demander l’autorisation de la chambre
préliminaire. Par contre, comme le
Statut la lui autorise, elle lui demande
un avis : « la confirmation du
territoire de juridiction comme étant
celui de la Cisjordanie, Jérusalem Est
et Gaza ». Elle demande que l’avis lui
soit donné « le plus rapidement
possible » et fixe un délai maximum à
120 jours.
Pour le monde
arabe, premier concerné, l’allocution
télévisée de Fatou Bensouda est diffusée
sous-titrée en arabe : elle fait fureur
sur les réseaux sociaux et est
immédiatement saluée par le Hamas qui
gouverne Gaza depuis 2007. « Le
mouvement Hamas salue l’annonce faite
par la procureure de la Cour Pénale
Internationale de lancer sa décision
d’ouverture d’enquête sur les crimes de
guerre israéliens commis en Palestine.
(…) Cette annonce devrait se traduire en
actions sur le terrain afin de tenir les
responsables israéliens de l’occupation
comptables de leurs crimes et violations
envers le peuple palestinien et ses
Lieux saints ».
La réaction de
l’Autorité palestinienne, plus tardive,
est aussi moins cohérente, témoin sans
doute des différents courants qui
l’habitent. On exprime sa satisfaction
et on critique en même temps la lenteur
de la procédure : le « délai de 5
années » entre le début de l’examen
préliminaire et la décision d’ouverture
d’enquête. En semblant oublier que
l’Autorité palestinienne avait adressé
une déclaration de compétence à la Cour
le 22 janvier 2009 après la guerre de
l’hiver 2008-2009 en appui d’une plainte
de 400 ONG, pour ensuite abandonner
cette procédure. Oubliant aussi le délai
écoulé entre l’adhésion de la Palestine
(janvier 2015) et celui de la plainte à
la CPI par l’Etat de Palestine (mai
2018) qui a nécessairement gelé toute
ouverture d’enquête, et qui est de la
seule responsabilité de l’Autorité
Palestinienne.
Les juristes se
ruent alors sur le document de 112 pages
produit par le Bureau du procureur.
Craignant toujours
que le diable se cache dans les détails,
le texte de Fatou Bensouda est
décortiqué.
Le titre du
mémorandum d’abord « Situation dans
l’Etat de Palestine ». La procureure
annonce d’emblée que la Palestine, aux
yeux de la procureure, comme à ceux de
l’Assemblée Générale des Etats partie
qui a accepté l’admission de la
Palestine, est bien un Etat dans
l’acception de la Cour et lui donne tous
les droits et devoirs que la Statut de
Rome donne aux Etats partie.
La première partie
du mémoire constitue la justification de
la première décision prise : celle de
demander à la chambre préliminaire 1 une
décision sur la compétence et la
territorialité. Fatou Bensouda
expose le support statutaire pour une
telle demande, en précisant à maintes
reprises qu’il ne s’agit pas d’une
autorisation pour ouvrir l’enquête, mais
d’une vérification de la capacité de la
Palestine à donner compétence à la cour
et d’un cadrage territorial permettant
de focaliser l’enquête, tout en
expliquant bien qu’il s’agira de
déterminer la réalité de crimes de
guerre commis sur un territoire précis,
et certainement pas de constituer à
cette occasion une quelconque
reconnaissance de la limite territoriale
entre deux Etats. Fatou Bensouda coupe
ainsi l’herbe sous le pied de ceux qui
ne manqueront pas de critiquer la
politisation de l’enquête, voir celle la
CPI toute entière. Pour les
connaisseurs, un peut noter quelques
« pics » adressés par la procureure aux
3 juges de la Chambre préliminaire 1.
Les mêmes qui ont par trois fois demandé
à Bensouda d’ouvrir une enquête sur
l’affaire du Mavi Marmara. Par trois
fois Bensouda avait refusé de
reconsidérer sa décision aux motifs
juridiques avancés par les juges, en
lançant pour seul argument : « C’est
moi, procureure, qui décide », alors que
les juges lui demandaient une réponse en
droit aux cinq « erreurs de droit »
qu’ils affirmaient avoir descellées.
Fatou Bensouda n’avait pas fourni de
réponse argumentée s’arque boutant sur
son pouvoir statutaire, ce qui n’avait
pas été du tout du gout des juges qui
lui avaient en final donné trois mois
pour revoir sa position. Ici Bensouda
enfonce le clou de sa souveraineté et se
paye en plus le luxe d’imposer un
délai à la chambre !
Le rapport traite
ensuite du contexte historique sur une
trentaine de pages. La Palestine
sous mandat britannique n’est traitée
qu’en un paragraphe ce qui est surement
insuffisant. La Palestine a eu à
l’époque un territoire défini (celui de
la Palestine historique), une population
permanente (faite de musulmans, juifs,
chrétiens, druzes etc.), un gouvernement
qui gouverne (à l’exception de la
politique étrangère et des forces
armées), ainsi que des relations avec
d’autres Etats (les Palestiniens
jouissaient d’un passeport palestinien).
L’Etat moderne de Palestine était là (il
remplissait les critères de Montevideo),
bien que soumis à un mandat qui avait
vocation à n’être que provisoire.
Bensouda discute
ensuite la question de l’Etat de
Palestine : la Palestine ayant été
acceptée comme Etat partie, elle se
place sous la juridiction de la CPI qui
l’a acceptée. La procureure « observe
que la Palestine a une population et un
territoire régulièrement défini en
référence au territoire palestinien
occupé (Cisjordanie incluant Jérusalem
Est, et Gaza) ». On peut noter que
cette formule sous-entend qu’il
existerait un territoire palestinien non
occupé, annexé par exemple. La
procureure laisse ainsi effectivement
ouverte toute disposition future de
frontières et s’exonère de la critique
d’anticipation politique. Le mot
« territoire » prend ici toute sa
signification.
Plus loin la
procureure anticipe aussi sur la
critique en affirmant que l’existence
des accords d’Oslo n’interdit évidemment
pas à la CPI d’exercer sa juridiction
dans l’objectif de traiter de crimes de
guerre. Constatant que « l’état
d’occupation des trois territoires
(Cisjordanie, Jérusalem Est et Gaza),
pour lesquels elle reprend le néologisme
« d’occunexion » (annexion-occupation)
ne peut être réduit à l’autorité du
pouvoir de l’époque ». En d’autres
termes les Accord d’Oslo ne s’imposent
en aucune manière au droit
international. Elle cite même le droit
romain : « ex injuria jus non oritur ! »
Un droit légal ne peut être issu d’un
acte illégal. Une pierre de plus dans le
jardin d’Oslo. Et de citer toutes les
institutions, et notamment l’ONU, qui
n’ont jamais reconnu les « annexions »
passées, présentes ou futures (et la
vallée de Jéricho, objet actuel de
promesses électorales d’annexion, est
nommément citée). La procureure réitère
le principe internationalement reconnu
de l’auto détermination qui peut se
concrétiser par un Etat accédant à
l’indépendance, mais aussi
à « l’intégration volontaire avec un
autre Etat sur la base de l’égalité
politique ». Une affirmation capitale
que nous reprendrons à la fin de cet
article. Enfin la commercialisation de
produits issus des colonies israéliennes
en Cisjordanie est illégale, tout comme
le mur condamné par la Cour
internationale de justice. Toutes
affirmations étayées par 648 notes de
bas de page.
On ne peut
s’empêcher de penser et de comprendre,
sans l’approuver, que Fatou Bensouda ai
souhaité par tous les moyens, y compris
critiquables en termes de droit, de se
débarrasser du dossier du Mavi Marmara.
A quoi bon « ouvrir les portes de
l’enfer » selon sa propre expression,
alors que la Turquie (les 10 tués
étaient citoyens turcs) se désintéresse
(les familles ont été indemnisées par
Israël), que la Turquie n’est pas Etat
partie, que le bateau était comorien
(« combien de divisions ? »), que la
Palestine première intéressée par
l’affaire ne s’est jamais manifestée, et
qu’un dossier global sur
Israël-Palestine autrement plus explosif
était prêt ?
Qui donc est
Fatou Bensouda ?
Fatou Bensouda âgée
de 58 ans est une avocate de nationalité
gambienne, procureure générale de la
Cour Pénale internationale depuis juin
2012, élue pour 9 ans. Sa carrière est
« entachée » d’avoir été la procureure
adjointe du premier procureur de la CPI
Luis Moreno Ocampo dont le mandat est
généralement considéré comme très
médiocre du fait d’une dramatique
absence de professionnalisme comme
d’éthique. A son départ, la Cour ayant
été justement affublée du surnom de
« Cour de Blancs pour juger les Noirs »,
la désignation de Fatou Bensouda a été
qualifiée de circonstancielle : après
l’Argentin condamné comme délinquant
sexuel, il était bon que lui succéda une
femme, qui plus est africaine. Pour les
délateurs de la CPI, les conditions de
son élection ne furent pas claires. Les
Etats parties continuent à pratiquer le
« vote trading », leurs représentants
sont surtout des diplomates plus que des
techniciens du droit, la commission de
sélection des candidatures était
composée uniquement de diplomates, etc.
Durant son mandat, qui vient à
expiration en 2021, la procureure a eu à
clore nombre de dossiers empoisonnés
c’est-à- dire impossibles à finaliser
par des condamnations de véritables
crimes de guerre. Insuffisances de
preuves, longueur excessive de l’enquête
aboutissant à la libération sèche
d’inculpés ayant purgé de nombreuses
années de prison, etc. Il faut dire que
plusieurs de ces dossiers avaient été
ouverts très médiatiquement et en dehors
de toutes les règles de procédure par
son prédécesseur. Un épisode culminant a
été constitué par la libération de
l’ivoirien Laurent Gbagbo qui, sur
injonction du Conseil de sécurité et
intervention de l’armée française avait
été livré à la Haye. Un désastre pour
l’image de la CPI. Mais on peut
argumenter à l’inverse que ce genre
d’événement ne fait que traduire
l’indépendance de la Cour par rapport à
l’ONU, et la rigueur dans l’évaluation
des preuves, que c’est en réalité un
désastre pour la Côte d’Ivoire et
pour la France qui ont imposé ce
dossier à la CPI. Celle-ci n’a fait
qu’appliquer le droit.
Par ailleurs le
parcours professionnel de Fatou Bensouda
ne peut être qualifié d’insuffisant. Son
expérience dans les tribunaux
internationaux commence en 2002 au
tribunal pour le Rwanda, avant de se
poursuivre par un poste à La Haye en
2004. Curieusement ce n’est que
vers la fin de son mandat, que le
parcours préalable de Fatou Bensouda
avant sa nomination à la CPI est
critiqué : ministre de la Justice et
procureure générale du « dictateur »
gambien Yahya Jammeh de 1998 à 2000,
auparavant avocate au barreau de Gambie,
conseillère juridique du même
« dictateur », puis procureure général
de la capitale Banjul. Aux propagateurs
de ces critiques, on peut opposer que
les plus grands criminels au plan du
droit international sont justement les
Etats qui n’ont pas adhéré au Statut
de Rome, contrairement à la Gambie.
Dans les toutes
premières heures qui suivent l’annonce
de Fatou Bensouda, Avihai Mandelblit
procureur général d’Israël produit un
argumentaire de 34 pages. D’après la
presse israélienne ce mémoire aurait
même été publié quelques heures avant :
le contenu du document de Bensouda
semblait donc connu !
Comme le rappelle
Mandelblit lui-même, Israël, Etat non
partie, avait tout de même envoyé une
délégation à la Haye un an auparavant,
alors que planait déjà la menace d’une
ouverture d’enquête. La raison
officielle : « faire connaitre au bureau
du procureur la position israélienne ».
Bien que rien n’ait filtré de ces
réunions, on se doute que l’argumentaire
de Mandelblit avait déjà été rédigé à
cette époque… Permettant d’ailleurs à
Fatou Bensouda d’y répondre très
précisément dans son mémoire.
Que nous dit
Mandelblit ? Le résumé d’abord :
Israël, « issu de
l’holocauste » fut « un avocat de la
première heure et passionné de
l’installation d’une Cour Pénale
Internationale » ! Israël avait même
initialement signé le Statut de Rome
« comme expression de support moral » en
2000, avant de refuser d’adhérer en
2002. Il faut dire qu’après Nuremberg,
dont certains pays interdisent par la
loi toute critique, il était difficile
de faire autrement. Ainsi dès le premier
paragraphe Mandelblit donne des verges
pour se faire battre : pourquoi donc ne
pas avoir adhéré à la CPI ? La
réponse : « La cour est manipulée
politiquement ».
Deuxième argument :
« La cour n’a pas de juridiction sur
la « soi-disant “situation en
Palestine“ » (sic).
Car la Palestine
n’est pas un Etat souverain avec des
frontières déterminées et n’aurait pas
le pouvoir légal de s’en remettre à la
Cour.
Et Mandelblit
d’argumenter sur 34 pages.
La Palestine
n’aurait jamais dû être acceptée à la
CPI. Et Avihai reprend en détail
l’argumentaire du Canada qui s’y était
opposé… Sans signaler qu’il s ’agissait
du seul Etat partie (contre 140) à avoir
élevé une protestation. Pour le
procureur général d’Israël la décision
de la cour est « un mensonge au cœur du
droit international », « un abus de
l’outil judiciaire, insuffle le
populisme », etc.
Suit une longue
affirmation que seul un « Etat
souverain » pourrait adhérer à la CPI.
Cette formule n’est nulle part dans le
Statut de Rome. Et pourtant, pour
Mandelblit, accepter comme Etat partie
un Etat non souverain « serait trahir
l’intention des fondateurs » ! On ne
peut s’empêcher de penser strictement
l’inverse : Rome a été écrit pour
défendre les victimes contre les
responsables de crimes de guerre, et les
guerres n’ont pas toujours lieu entre
« Etats souverains ». Il s’agit souvent
d’Etats défaits, ou de mouvements de
libération sans Etat. Pourquoi les
victimes de ces guerres seraient-elles
exclues du champ de la Cour Pénale
Internationale ? Rien en tous cas dans
le statut de Rome en marque l’intention.
Et Mandelblit d’affirmer que seuls les
Etats souverains peuvent saisir la Cour.
Donc dans un territoire qu’il a occupé
un Etat souverain pourrait commettre
tous les crimes de guerre possibles sans
en être inquiété ? On doute que cette
idée puisse avoir guidé les pères
fondateurs. Et pourquoi alors un Etat
souverain possédant donc les
juridictions criminelles adéquates
solliciterait-il la compétence de la
Cour Pénale Internationale ?
Vient alors en
discussion la notion même d’Etat. La
définition politique généralement admise
est celle d’une population dans un
territoire donné qui, selon la formule
célèbre, « accepte le monopole de la
violence légitime ». En d’autres termes
une armée pour défendre ses frontières
et une police pour faire respecter ses
lois qui s’imposent à tous. L’intérêt
général qui prime l’intérêt particulier
ou celui de la tribu. La conférence de
Montevideo dans les années 30 avait émis
4 critères plus précis, critères qui
restent valables aujourd’hui : un
territoire déterminé, une population
permanente, un gouvernement, la
possibilité de relations avec d’autres
Etats. La Palestine entre 1922 et 1948
avait un territoire, celui de la
Palestine mandataire, une population
fixe de musulmans, juifs, chrétiens,
druzes, etc. Elle avait un gouvernement
(article 2 : « Le mandataire assumera la
responsabilité d’assurer le
développement d’institutions de libre
gouvernement »). Article 4 : « Un
organisme juif convenable sera
officiellement reconnu et aura le droit
de donner des avis à
l’administration de la Palestine ».
Article 5 : « Le
mandataire garantit la Palestine contre
toute perte ou prise à bail de tout ou
partie du territoire et contre
l’établissement de tout contrôle d’une
puissance étrangère ». Article 7 :
« L’administration de la Palestine
assumera la responsabilité d’édicter une
loi sur la nationalité. Cette loi
comportera des clauses destinées à
faciliter aux juifs qui s’établiront
en Palestine d’une façon permanente
l’acquisition de la nationalité
palestinienne ». Article 9 : « Le
mandataire assumera la responsabilité de
veiller à l’institution en Palestine
d’un système judiciaire » ».
Si l’on se réfère
uniquement au texte du mandat de 1922,
ce sont bien les Palestiniens qui
seraient en position de revendiquer la
totalité du territoire de la Palestine !
On en revient à
regretter l’article 10 : « En attendant
la conclusion de conventions spéciales
d’extradition, les traités d’extradition
en vigueur seront appliqués à la
Palestine »[3].
Article 15 : « Personne ne sera exclu de
la Palestine à raison seulement de ses
convictions religieuses ». Impôt et
droits de douane sont autonomisés.
Article 22 : « L’anglais, l’arabe et
l’hébreu seront les langues officielles
de la Palestine ». Certes les Affaires
étrangères et la Défense étaient
dévolues à la puissance mandataire, mais
provisoirement. Et ce statut donnait des
droits internationaux, les Palestiniens
avaient un passeport palestinien. Un
Etat c’est un Etat de fait. Un Etat ne
se constitue pas lors de son admission à
l’ONU. Et que dire de la Palestine
aujourd’hui ? Si elle a perdu ses
frontières par la force, elle n’en est
pas moins « Etat non membre de l’ONU »
comme les îles Cook ce qui n’a pas
empêché ces dernières d’adhérer à la
CPI.
A ratiociner sur le
caractère étatique ou pas de la
Palestine, Mandelblit conduit
directement à s’interroger sur celui
d’Israël. Et, si le sujet n’était pas
dramatique, Mandelblit nous ferait bien
rire lorsqu’il cite avec application
Crawford 2006 : « Une entité ne peut
déclarer son indépendance si la création
s’est faite en violation du droit
applicable à l’autodétermination » ! Ou
encore le même Crawford : « Les
délibérations de l’Assemblée générale de
l’ONU n’ont pas d’effet pendant ou
constitutifs ou définitifs du statut
d’Etat (statehood) ». Curieuse
plaidoirie du procureur d’Israël.
Mandelblit fait
ensuite dire au Secrétaire général de
l’ONU ce qu’il ne dit pas : Celui-ci, en
tant que dépositaire du Statut de Rome,
déclare au contraire lors de l’admission
de la Palestine à la CPI, que Rome ne
règle pas la question israélo
palestinienne mais s’attache aux crimes
de guerre. Donc que Rome ne fait pas de
politique. De même le président de
l ’Assemblée des Etats partie de la
CPI : « L’Assemblée a pris ses décisions
en accord avec le règlement et les
procédures de l’Assemblée,
indépendamment et sans préjudice de
décisions prises dans d’autres buts,
incluant des décisions de toute autre
organisation ou organes de la cour, à
propos de toute situation légale qui
viendrait devant elle ». Et Mandelblit
de rêver que la chambre préliminaire,
indépendante de l’assemblée, lui
donnerait raison et refuserait à la
Palestine ce que l’Assemblée générale
lui a octroyé. Eventualité bien peu
probable nous le reverrons en faisant
connaissance avec les juges de la
chambre préliminaire.
Mandelblit continue
ensuite à développer des affirmations
qui se retournent contre lui. Le
préalable à l’adhésion à la CPI aurait
dû être un accord de paix selon le
processus d’Oslo. Oslo s’imposerait au
droit international ? Les rares à avoir
lu Oslo se sont aperçus que l’accord
donnait tout à Israël et rien aux
Palestiniens. Bensouda le relève bien :
« Certaines dispositions des accords
d’Oslo pourraient violer le droit à
l’autodétermination ». Mais,
ajoute-t-elle en substance, cela ne nous
regarde pas, c’est une affaire
politique. Pour Mandelblit au contraire
l’unique préalable serait de porter les
accords d’Oslo à leur terme. D’ici là,
pas question de Cour Pénale
Internationale.
Suit une autre
théorie très personnelle. Dans
l’histoire du conflit
israélo-palestinien, à chaque avancée
militaire israélienne suivie d’un cesser
le feu, la communauté internationale a
salué le cesser- le -feu « sans préjuger
de la position future des frontières ».
Pour Mandelblit cela signifie qu’Israël
pourrait s’étendre davantage » !
Mandelblit le dit même carrément :
« l’état d’occupation n’annule pas une
revendication territoriale précédente ».
Tiens, Mandelblit reconnait l’occupation
de la Cisjordanie ? Ce qui mettrait
automatiquement la population de
Cisjordanie sous la protection des
conventions de Genève ? Pas du
tout, répond le procureur israélien,
« l’entité palestinienne n’a pas, et n’a
jamais eu, de titre de souveraineté sur
la Cisjordanie et Gaza ».
Plus loin c’est
vraiment Mandelblit contre Mandelblit :
le procureur prétend que les accords
d’Oslo font loi, tout en délégitimant
l’Autorité Palestinienne… issue des
mêmes accords d’Oslo. Pour lui la loi
est uniquement la longue liste (qu’il
énumère) de ce que Oslo donne aux
Israéliens (forces armées, sécurité,
police, air, impôts, télécommunications,
gestion de l’eau) et soustrait aux
Palestiniens. On est très loin des
termes du mandat britannique. Et c’est
sans doute par inadvertance que
Mandelblit cite Mahmoud Abbas (sept
2009) : « Tous les accords avec Israël
se termineront en cas d’annexion de
toute partie du territoire
palestinien ». On pense à Jérusalem Est.
Le plus surprenant
reste que la position de Mandelblit, qui
est celle du gouvernement israélien,
demeure que la Cisjordanie n’est pas
occupée, tout en affirmant « que
l’Autorité Palestinienne n’exerce aucun
contrôle sur 60% de la Cisjordanie et
aucun sur Gaza ». Puis plus loin : « Si
le territoire est occupé, le contrôle
doit en être à Israël et non aux
Palestiniens ». Israël reproche à
l’Etat palestinien de ne pas être
souverain, alors que c’est justement
l’occupation par Israël qui est
responsable de ce manque de souveraineté.
Et Mandelblit de conclure : « Toute
affirmation que la présence israélienne
en Cisjordanie constitue une occupation
illégale est sans aucune valeur » !
Comprenne qui pourra.
Concernant les
colonies israéliennes en Cisjordanie, le
mot est évité, Mandelblit parle
d’implantations et croit s’en tirer en
affirmant que « les Palestiniens n’ont
pas juridiction sur les « nationaux
israéliens ».
Conclusion du
Procureur général d’Israël : « La
crédibilité et la légitimité de la
CPI » seraient en cause « dès lors qu’un
Etat non partie (Israël) n’a pas accepté
cette juridiction ». Demande- t-on
à un criminel de reconnaître la
légitimité du tribunal qui va le juger ?
Il est frappant qu’à aucun moment dans
son mémorandum le procureur n’envisage
que des crimes de guerre aient pu avoir
été commis par Israël.
Qui est Avihai
Mandelblit ?
Avihai Mandelblit a
54 ans. Il est marié et père de six
enfants et Major général de réserve.
Diplômé de l’université de Tel Aviv, il
est titulaire d’une thèse de doctorat
intitulée « Lawfare and the State of
Israël – Past experience and a glance to
the future ». Il est intéressant
d’expliciter le néologisme « lawfare »
qui n’a pas de traduction directe en
français : « utiliser des outils
juridiques pour faire la guerre ». Ce
terme a une forte connotation péjorative
puisque le droit a pour objet d’établir
la justice et non de faire la guerre. Il
s’agit donc d’utiliser les failles du
droit ou de distordre le droit dans un
objectif militaire, en oubliant
l’essentiel c’est-à-dire l’esprit du
droit. Un beau sujet de thèse pour
le général Mandelblit, procureur
militaire de longue date notamment à
Gaza, secrétaire de cabinet de Benjamin
Netanyahou (2013-2016), depuis 2016
procureur général d’Israël et actuel
conseiller juridique du Premier ministre
israélien. La justice militaire
est bien à la justice ce que la musique
militaire est à la musique.
Et l’Autorité
Palestinienne dans tout ça ?
Un paragraphe que
les historiens auront du mal à remplir,
et que les observateurs analyseront avec
intérêt le jour du procès. En effet le
principe des enquêtes et jugements à la
CPI, est que tous les crimes de guerre
commis par toutes les parties en conflit
(et Bensouda cite nommément Israël,
Groupes Armés Palestiniens, Autorité
Palestinienne) sur un territoire donné
(Gaza, Cisjordanie y compris Jérusalem
Est, suggère Bensouda ; réponse de la
chambre préliminaire sous 120 jours) au
cours d’une période donnée (du 13 juin
2014 jusqu’à présent) sont analysés et
peuvent faire l’objet de décisions
judiciaires c’est à dire d’inculpations
et condamnations des personnes
responsables[4].
C’est donc nommément que seront mis en
cause par exemple Benjamin Netanyahou et
Benny Gantz concernant la guerre de
2014. Qu’en sera t il des crimes de
torture, décès en détention de
prisonniers palestiniens dans les
prisons palestiniennes de Cisjordanie ?
La « collaboration sécuritaire » de
l’Autorité Palestinienne avec Israël
fera ainsi l’objet de toutes les
attentions. Comment sera évaluée la
plainte du ministre de la Justice Salim
al Saqa de l’Autorité palestinienne,
déposée le 25 juillet 2014, en pleine
guerre, et gelée une semaine plus tard
par Riad al Maliki ministre des Affaires
Etrangères de l’Autorité palestinienne ?
Cette plainte est maintenant réactivée,
pleine et entière. Comment sera jugée la
longue réticence de l’Etat de Palestine
(2012) à saisir la CPI (2018) ? Quelle
sera la position des familles de
victimes tombées pendant cette période ?
Comment sera jugée la participation de
l’Autorité Palestinienne au crime de
siège de Gaza ?
Réaction de la
presse israélienne et du gouvernement.
Inutile de
s’étendre : les médias israéliens
« collent » à Mandelblit : la Palestine
n’est pas un Etat. Mais l’embarras dans
le choix des mots et les soi-disant
explications « légales » données par les
« experts » et « spécialistes » rendent
le message souvent incompréhensible.
Néanmoins dans la semaine qui suit la
décision de Fatou Bensouda, on apprend
que l’annexion de la vallée du Jourdain
n’est plus à l’ordre du jour, et le
vendredi suivant il n’y a aucun tir à
balle réelle sur les rassemblements à la
frontière entre Gaza et Israël. Tandis
que le premier ministre israélien fait
savoir que les discussions légales sur
le sujet resteront limitées au Conseil
des ministres et secrètes, et
accuse la Cour Pénale Internationale
« d’antisémitisme à l’état pur ».
A partir de
maintenant, que va-t-il se passer ?
Le scénario le plus
probable est que la chambre préliminaire
confirme à la procureure que le
territoire de juridiction correspond
effectivement à la Cisjordanie incluant
Jérusalem Est et la Bande de Gaza.
L’argumentaire en droit de Fatou
Bensouda tranche singulièrement avec
l’argument unique portant sur la
procédure du général Mandelblit. Les
innombrables résolutions de L’ONU
condamnant Israël, la délibération de la
Cour Internationale de Justice
condamnant le Mur, et très récemment la
condamnation de l’exploitation des
produits issus des colonies israéliennes
en Cisjordanie par la Cour Européenne de
Justice. Certains s’étonnent de
l’absence de sanctions de l’ONU contre
Israël alors que nombre de condamnations
par le Conseil de Sécurité ont été
émises. On se souvient que l’Afrique du
Sud de l’apartheid a même été brièvement
exclue de l’ONU. Comment Israël
a-t-il pu échapper à cette sanction ? La
réponse est dans le règlement de l’ONU :
L’Assemblée Générale des Nations Unies
peut prononcer l’exclusion d’un de ses
membres (et on ne doute pas que ce
serait le cas aujourd’hui concernant
Israël) mais uniquement sur
proposition du Conseil de Sécurité.
Israël n’est protégé de l’exclusion que
par le droit de veto américain au
Conseil de Sécurité.
Donc ce sont les
trois juges de la chambre préliminaire
qui, sous 120 jours au maximum, vont
jouer le deuxième acte après Bensouda.
Qui sont ces trois juges ? Le hongrois
Peter Kovacs, professeur de droit
international, le diplomate français
Marc Perrin de Brichambaut membre du
Conseil d’Etat ; enfin Reine Adelaide
Alapini-Ganso de nationalité ivoirienne,
avocate au barreau du Bénin et chargée
d’enseignement à l’Université de Lyon.
D’illustres inconnus ? Pas tout à fait
puisqu’ils ont été des acteurs majeurs
dans l’affaire du Mavi Marmara.
Rappelons la séquence.
Mai 2010. Trois
bateaux transportant des passagers et du
matériel humanitaire se dirigent vers le
port de Gaza. Ils sont détournés dans
les eaux internationales par l’armée
israélienne. L’assaut du bâtiment
principal, le Mavi Marmara immatriculé
aux îles Comores, se solde par la mort
de 10 passagers.
Mai 2013. Une
plainte des îles Comores, Etat partie de
la Cour Pénale Internationale, est
déposée sur le bureau de la procureure.
Novembre 2014. La
procureure refuse d’ouvrir une enquête.
Janvier 2015. Appel
des Comores auprès de la Cour (chambre
préliminaire 1 composée de nos trois
juges cités plus haut).
Juillet 2015. La
chambre 1 relève ce qu’elle considère
comme cinq erreurs de droit dans
l’argumentaire de la procureure pour
classer l’affaire, et lui demande une
révision. Il faut savoir que la
décision de la chambre 1 n’est en droit
ni un avis ni une recommandation, mais
au contraire une décision judiciaire.
Novembre 2017. La
procureure produit sa « décision
finale » de ne pas ouvrir d’enquête.
Novembre 2018.
Demande de reconsidération par la
Chambre 1.
Janvier 2019.
Intervention de la chambre d’appel (5
membres) qui demande à la procureure la
reconsidération de sa « décision
finale ».
Revenons sur les
erreurs de droit attribuées à la
procureure par les juges Kovacs, Perrin
de Brichambaut et Reine Adélaide Alapini-Ganso
(juges que nous appelons plus loin KPA).
Une mauvaise
évaluation de la gravité des
crimes :
Si la procureure ne
nie pas que des crimes de guerre aient
pu être commis, elle n’en justifie pas
moins son refus d’ouverture d’enquête
par « une gravité insuffisante ». La
question de la gravité, rappellent les
juges KPA, ne se limite pas au nombre
des tués et des blessés. Même si l’on
s’y cantonnait, de nombreuses
jurisprudences de la Cour montrent que
celle-ci n’a pas nécessairement qu’une
appréciation quantitative. Selon le
Statut de la CPI doivent être
soigneusement évaluées la nature,
l’échelle, et la manière dont les
crimes ont été perpétrés. Les plaignants
ainsi que le rapport du Conseil des
droits de l’homme de l’ONU s’appuient
sur des comptes rendus d’autopsies : des
tirs multiples sur la même victime (donc
pour tuer et pas seulement neutraliser),
tirs dans le dos (sur une personne en
position de fuite), des tirs après
reddition, des impacts simultanés sur
les mains et le visage (victime tentant
de se protéger).
La notion de
crimes volontaires, de l’existence
d’un plan prémédité est écartée
par la procureure sans être étayée.
Pourtant nombres de témoins rapportent
avoir entendu des tirs avant
l’assaut. Certaines autopsies montrent
que certaines victimes ont été atteintes
de haut en bas, suggérant des tirs
portés à partir d’hélicoptères. De plus
la totalité des caméras et téléphones a
été confisquée par l’armée israélienne,
traduisant une volonté délibérée de
destruction de preuves.
Le Statut de Rome
précise une situation particulière dans
laquelle des crimes de guerre permettent
à la procureure de refuser une ouverture
d’enquête : lorsque cette enquête ne
serait pas susceptible de « servir les
intérêts de la justice ».
Entendre aucune condamnation possible
d’un responsable pour des raisons
pratiques. Nos trois juges KPA insistent
sur ce point : dans tous les autres
cas le refus d’ouverture d’enquête doit
être motivé juridiquement.
KPA reproche
également à la procureure de limiter son
argumentation aux seuls crimes commis
sur les trois navires en excluant a
priori tous les autres crimes. Les
mauvais traitements infligés aux
passagers rescapés sur les bateaux et
lors de leur incarcération sur le
territoire israélien, et aussi le siège
de la Bande de Gaza, crime de siège
qui figure dans la liste des crimes de
guerre, et qui justifiait la venue des
bateaux.
Au final la
procureure sait qu’elle est seule, selon
le statut de Rome, à pouvoir décider
d’une ouverture d’enquête. Elle ne
s’appuie que sur cet argument d’autorité
et n’accepte pas, dans ce dossier
particulier, de contrôle de son travail
par la Cour. Puisqu’elle a classé
l’affaire, dit-elle, c’est terminé.
Faux ! réplique KPA, la révision à la
suite des décisions judiciaires
prises par les chambres s’impose à la
procureure et à sa « décision finale ».
Sans quoi les article 53 3a et règle
108 du Statut de Rome n’auraient pas
lieu d’être.
Plus qu’un long
discours, on peut évaluer à travers ces
épisodes la rigueur des trois juges KPA
amenés à se prononcer sur le dossier
qui nous occupe.
Toutefois, en droit
comme en médecine, il faut toujours
s’efforcer d’envisager toutes les
possibilités.
Les juges KPA
pourraient rejeter la demande de
Bensouda, en lui demandant d’assumer
elle-même l’ouverture d’enquête avant
toute chose[5].
Cette possibilité n’est pas exclue à la
vue des échanges musclés entre Bensouda
et KPA sur l’affaire du Mavi Marmara.
Dans ce cas, compte tenu du mémoire de
Fatou Bensouda, il est plus que probable
que celle-ci ouvrira l’enquête.
Enfin si les juges
KPA rejetaient en bloc la juridiction de
la CPI sur Gaza et la Cisjordanie
incluant Jérusalem Est, ou rejoignaient
le rêve du général Mandelblit en
rejetant la compétence de la CPI du fait
d’un caractère « non-Etatique » de la
Palestine (contrairement aux
Nations-Unies ou à l’Assemblée Générale
de la CPI), l’Etat de Palestine, par la
voix de l’Autorité Palestinienne,
pourrait faire appel devant la chambre
d’appel de la CPI composée de cinq
juges. Et là encore nous disposons d’une
abondante littérature qui est celle des
mémoires de la chambre d’appel
concernant l’affaire du Mavi Marmara. Il
n’est pas nécessaire ici de reprendre
tous les arguments de la Chambre
préliminaire ni ceux qui ont été ajoutés
et réclamaient une ouverture d’enquête
sur la Mavi Marmara. Nous avons vu plus
haut l’explication probable du refus
persistant de Fatou Bensouda :
compte-tenu de la faiblesse des moyens
d’enquête et de l’absence de police de
la CPI, la procureure a préféré sans
doute privilégier la bombe qu’elle était
sur le point de larguer.
L’enquête :
Compte tenu de la
masse des documents de victimes déjà
parvenue à la CPI, la procureure a de
quoi travailler. Les victimes, celles de
Gaza notamment qui ont adressé plus de
750 dossiers de plaintes dans une forme
hautement professionnelle
(reconstitution de la chaîne de preuves,
identité des victimes et des témoins,
enregistrements vidéo, rapports
d’autopsie, prélèvements chirurgicaux ou
sanguins) concernant les Marches du
retour. Avec deux réserves : la
trentaine de collaborateurs de la
procureure travaille en même temps sur
bien d’autres dossiers, leur nombre ne
suffit pas à la tâche. Par ailleurs
ceux-ci ont généralement reçu une
formation politique ou juridique, et
l’équipe manque de policiers rompus au
travail d’enquête. Enfin une
délégation du bureau du procureur
devrait se rendre sur le terrain avec
surement des obstacles à prévoir de la
part d’Israël. Sans faire de lien bien
entendu (!), rappelons aussi les menaces
personnelles que les Etats-Unis viennent
d’adresser à Fatou Bensouda.
D’autres
contributions sont également attendues
en provenance des ONG dont certaines ONG
israéliennes (Betselem, Breaking the
silence). Enfin il sera intéressant de
noter la manière dont Israël, Etat non
partie, participe ou ne participe pas.
Ce que sera la position israélienne est
difficile à prévoir du fait de la
décision du Premier ministre israélien
de couvrir du secret les discussions du
cabinet, et aussi du fait du retrait
de plusieurs textes juridiques de
première importance concernant les
crimes de guerre, retirés du site du
ministère des Affaires Etrangères très
vite après la déclaration de Fatou
Bensouda.
A l’issue de
l’enquête du bureau du procureur, dans
un délai qu’il est impossible de
préciser du fait des obstacles
prévisibles et de la faiblesse des
moyens de la Cour Pénale Internationale,
aura lieu l’audience de confirmation des
charges qui verra donc l’inculpation
nominatives de certains responsables
israéliens. A l’heure où sont écrites
ces lignes, et depuis près d’un an, se
disputent au renouvellement du poste de
Premier ministre d’Israël deux candidats
que les élections n’ont pas réussi à
départager : l’un était Premier ministre
et l’autre chef suprême de l’armée au
moment de la guerre de 2014 contre Gaza
qui a fait 2400 morts. Peu de doute
qu’ils soient tous les deux inculpés.
Le procès. Quels
responsables, quels crimes ?
Concernant Israël :
les plus hauts responsables politiques
et militaires. Les crimes : assassinats
prémédités de population non
combattante, bombardement d’objectifs
civils, utilisation d’armes interdites
(phosphore, uranium appauvri, obus à
sous munitions, obus à fléchettes,
balles explosives, gaz neurotoxiques),
crime de colonisation, crime de siège,
déplacement de populations, etc.
A un degré
évidemment moindre, les responsables de
l’Autorité Palestinienne pourraient
avoir à répondre de crimes survenus
essentiellement du fait de la
« collaboration sécuritaire » avec la
puissance occupante en Cisjordanie
(torture, décès en détention), et de
participation au crime de siège
(coupures d’électricité, réduction des
salaires des fonctionnaires ainsi que du
montant des retraites).
Les forces armées
combattantes de Gaza, Hamas et Jihad
islamiques, se verront reprochées des
crimes de guerre (essentiellement
l’envoi de roquettes ne disposant pas
d’un système de géolocalisation et
risquant donc d’atteindre des civils).
Il sera alors intéressant de noter ce
que les juges feront dire à l’article 31
c et d du Statut de Rome. Celui-ci
envisage spécifiquement les conflits
asymétriques au cours desquels l’une des
parties très faiblement armée par
rapport à l’attaquant pourrait par
nécessité à la survie des combattants ou
de la population protégée être amené à
commettre des crimes de guerre, et
serait alors « exonérée de la
responsabilité pénale ».
Les conséquence
politiques pour Israël Palestine
Le procès étant
mené à son terme, les conséquences
politiques pourraient être majeures.
Avec en premier lieu le retrait des
Palestiniens des Accords d’Oslo et
l’ouverture d’une situation ingérable
par des méthodes exclusivement
répressives du côté israélien. A cette
première crise pourrait s’ajouter une
deuxième à caractère interne liée à la
loi Etat-Nation de 2018 qui officialise
en Israël l’apartheid entre population
juive et population no-juive. Dossier
qui pourrait trouver, en dehors d’une
résolution politique rapide, un nouveau
débouché à la Cour Pénale
internationale. Le long terme pourrait
voir l’entrée dans le droit de la partie
Israélienne. Avec, en une ou plusieurs
étapes, l’unification des deux Etats sur
le territoire de la Palestine historique
et l’égalité des droits entre les
populations installées. Ce ne serait pas
trahir l’esprit des fondateurs de la
Cour Pénale Internationale.
[1] Voir : Le Chemin de la Cour –
Les dirigeants israéliens devant la Cour
Pénale Internationale, Christophe
Oberlin, Editions Erick Bonnier 2014.
[2] Critique injuste car ce n’est
pas la CPI qui cherchait ces dossiers,
mais les dirigeants africains qui se
débarrassaient de procédures estimées
gênantes en demandant à la CPI de s’en
charger.
[3] Israël n’extrade pas.
[4] La Cour Pénale Internationale ne
condamne pas les Etats mais les
individus responsables.
[5]Dans l’affaire des Rohingyas, la
cour avait rejeté la demande préalable
de la procureure mais avait pu se
prononcer en fonction d’un autre article
sur la compétence.
Voir également
ci-dessous sur Oumma l’entretien avec
Christophe Oberlin, portant sur la
plainte pour crimes de guerre de la
société civile palestinienne contre
Israël. Une plainte qui avait été
déposée mercredi 19 juillet 2017 auprès
de la Cour Pénale Internationale de La
Haye.
https://www.facebook.com/oummacom/videos/10155360588526142/
Le sommaire de Christophe Oberlin
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