Opinion
Le Yémen dans la tourmente
Adieu "l'Arabie heureuse"
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Lundi 30 mars 2015
«Ittafaka
el'Arab an la Yattafik» «Les Arabes se
sont mis d'accord pour ne pas se mettre
d'accord»
Ibn Khaldoun, le
père de la sociologie universelle
Pour une fois Ibn
Khaldoun n'a pas tout à fait raison, il
est vrai que les dirigeants arabes - pas
les peuples qui sont quels qu'ils soient
toujours respectables- sont toujours
forts vis-à-vis des faibles. Encore une
fois les potentats arabes se distinguent
par leur anomie et gabegie. Encore une
fois ils sont la risée du monde et le
désespoir de leur peuple pour illustrer
ce chaos arabe, une photo sur Internet
montre Obama et Netanyahu en train de
rire à gorges déployées avec une phrase
: La punition infligée au Yémen. Nous
sommes loin de l'Arabie heureuse qui
désignait pour les Grecs et Romains,
l'Arabie du Sud (actuel Yémen),
relativement humide grâce à ses
montagnes et à un important système
d'irrigation, centre de la riche
civilisation des Sabéens.
L'Arabie heureuse
représentait, pour les Romains, le plus
souvent une terre semi-fabuleuse, où
habitait le phénix et d'où provenait
l'encens nécessaire aux actes religieux,
ainsi que d'autres épices: «Au-delà du
débouché du Nil à Péluse se trouve,
baignée par la Mer Rouge, l'Arabie dite
heureuse, regorgeant de parfums et de
richesses. On désigne ainsi le pays des
arabes Cattabanes, Esbonites et Scenites
et hors ses frontières avec la Syrie
elle est désertique, sans autre relief
notable que le mont Casius.» Pline
l'Ancien, Histoire Naturelle, livre V,
chap. xii, L'Arabie heureuse (Arabia
felix) s'opposait par son nom aux autres
«Arabies» connues par les Romains:
l'Arabie pétrée, ancien royaume des
Nabatéens l'Arabie déserte, constituée
de déserts parcourus par les Arabes,
immenses territoires arides qui
s'étendaient jusqu'en Mésopotamie et
étaient voués au nomadisme.(1)
La riche
civilisation caravanière de la myrrhe et
de l'encens, c'était bien avant
l'avènement du pétrole. Cet excrément du
diable pour paraphraser une expression
judicieuse d'Hugo Chavez...
Une précédente
guerre du Yemen entre l'Egypte et
l'Arabie saoudite
Le Yémen
contemporain a fait face depuis son
unification, en 1990, à de formidables
problèmes politiques, économiques et
sociaux. Pour rappel, ce pays n'a pas
connu la paix ces dernières cinquante
années: «La guerre du Yémen ou guerre
civile du Yémen du Nord lit-on sur
l'Encyclopédie Wikipédia est livrée
entre les royalistes du Royaume
mutawakkilite du Yémen et les
républicains de la République arabe du
Yémen entre 1962 et 1970. Elle voit
l'établissement de la République arabe
du Yémen, mettant fin à cette guerre par
procuration entre l'Égypte et l'Arabie
saoudite. Le conflit débute suite au
coup d'État de Abdullah as-Sallal contre
le roi Muhammad al-Badr en 1962. Le roi
s'exile en Arabie saoudite où il
obtiendra le soutien des Saoudiens et
des Occidentaux. L'Arabie saoudite et le
Royaume-Uni soutiennent alors
militairement les royalistes tandis que
les républicains sont soutenus par
l'Égypte de Gamal Abdel Nasser et par
l'URSS qui leur aurait livré des avions
pendant le conflit (...) Malgré cela, le
conflit se transforme rapidement en une
guerre d'usure. Les pertes égyptiennes
jusque-là s'élèvent à 15 194 soldats
tués (..) En 1967, les républicains
parviennent finalement à prendre Sanaa
après un siège de trois mois. En 1970,
la guerre est terminée après signature
d'un cessez-le-feu. L'Arabie saoudite et
les puissances occidentales
reconnaissent alors le nouveau
gouvernement républicain.» (2)
Ce qui s'est passé ensuite
Comment a évolué le
Yémen? «Pour saisir l'originalité de la
transition vers moins d'autoritarisme en
cours au Yémen, écrit François Burgat,
il faut rappeler comment a été modelé ce
pays à l'histoire duelle (Yémen du Sud
et Yémen du Nord), unifié il y a moins
d'un quart de siècle, en 1990. Le
colonialisme britannique a marqué le
Sud, devenu en 1970 république
démocratique et populaire,
sous
influence soviétique; l'imamat zaydite a
gouverné le Nord pendant près d'un
millénaire, y compris sous la domination
ottomane, dans un extrême isolationnisme
religieux. (...) S'il fallait retenir
une seule des originalités dont il a
hérité, ce serait le caractère
«inachevé» de l'autoritarisme de M. Ali
Abdallah Saleh, président de la
République arabe du Yémen (1978-1990),
puis de la République du Yémen lors de
l'unification. La révolte lancée par la
«jeunesse révolutionnaire» avec l'aide
d'une opposition appuyée par les
structures tribales, qui ont longtemps
constitué une sorte de «société civile
en armes», l'a obligé à renoncer au
pouvoir en 2012». (3)
«Cette opposition,
en partie institutionnalisée au sein du
parti Al-Islah, le parti yéménite pour
la réforme (des Frères musulmans à la
mode locale, nationalistes et
démocrates), a réussi à constituer un
garde-fou solide aux velléités
absolutistes du régime et à protéger les
fragiles premiers acquis de la jeunesse
révolutionnaire. Depuis, deux dynamiques
sont en cours. L'une, politique et
constitutionnelle, est inclusive. En
prenant appui sur l'option nouvelle et
risquée du fédéralisme, elle s'emploie à
redistribuer la part de pouvoir laissée
vacante par le départ de M.Saleh. Une
recomposition partielle des alliances
intérieures et régionales s'opère. De
nouveaux rapports de forces
s'établissent entre le «sortant» - loin
d'être réellement sorti -, le camp du
nouveau président, M.Abd Rabbo Mansour
Hadi, les rebelles houthistes en pleine
réhabilitation politique, les leaders
tribaux et leur allié le parti Al-Islah,
les régionalistes sudistes, ainsi que
les voisins, toujours très présents -
Saoudiens, Iraniens et Conseil de
coopération du Golfe. L'autre dynamique
se déploie dans un registre presque
exclusivement guerrier. Marquée par
l'ingérence décisive de drones
américains, au nom de la «lutte contre
le terrorisme», elle risque de limiter,
à terme, les bénéfices que la (re)construction
institutionnelle laisse entrevoir». (3)
Le chaos actuel: tempête «décisive»
ou tempête dans un verre d'eau
Devant l'avancée
houtiste, le président Abd Rabbo Mansour
Hadi s'est enfui en Arabie saoudite.
Pour ce pays il faut conjurer le péril
iranien qui est à la manoeuvre. Une
coalition de dix pays, emmenée par
l'Arabie saoudite, a lancé, dans la nuit
du mercredi 25 au jeudi 26 mars, une
intervention militaire. L'ambassadeur
saoudien, à Washington, Adel Al-Joubeir,
a donné le coup d'envoi à une opération
aérienne, «limitée par nature», «contre
le coup de force des houthistes». Comme
un seul homme, L'Egypte qui est
redevable de la manne saoudienne de 12
milliards de dollars vole au secours et
curieusement à quarante ans d'intervalle
est le camp de l'Arabie saoudite contre
le même Yémen. Il en sera de même du
Soudan et de la Jordanie, du Maroc, du
Koweït, des Emirats arabes unis, du
Qatar, du Bahreïn et du Pakistan.
100 avions de
guerre et 150.000 soldats saoudiens
participent à la curée. En plus de son
aviation, quatre navires de la marine
égyptienne auraient franchi jeudi le
canal de Suez. L'opération baptisée
«Tempête décisive» a été déclenchée dans
la nuit par des frappes sur différentes
positions des Houthis, les miliciens
chiites qui ont pris le contrôle de
plusieurs grandes villes, dont la
capitale Sanaa, au cours des derniers
mois. Les forces américaines, sans
participer directement aux opérations,
ont établi «une Cellule de planification
conjointe avec l'Arabie saoudite pour
coordonner le soutien américain», a
précisé Bernadette Meehan, porte-parole
du Conseil national de sécurité (NSC) de
la Maison-Blanche. L'aéroport d'Aden,
brièvement occupé par les houthistes, a
été repris après d'intenses combats par
les forces loyales au président Hadi.
Alliée à l'Arabie saoudite, l'Egypte
abrite à partir de samedi à Charm
El-Cheikh le sommet annuel de la Ligue
arabe, qui sera dominé par le projet de
création d'une force militaire arabe.
Les USA et les Saoud au secours de
Daesh et Al Qaîda au Yémen
Curieusement et
malgré les attaques récurrentes des
drones américains contre Al Qaîda au
Yémen le journaliste Bahar Kimyongür
nous apprend, de nouvelles alliances.
Les ennemis d'hier sont les amis
d'aujourd'hui: «Dans le monde arabe et
musulman écrit-il, rien de nouveau. On
se bat entre Arabes et musulmans au plus
grand bonheur de leurs ennemis
américains et israéliens. Les USA et les
Saoud sont à l'offensive dans tous les
pays qui leur résistent principalement
en Syrie, en Irak et au Yémen. En Syrie,
les forces saoudiennes attaquent sur
deux fronts: le Nord et le Sud. Au Nord,
la ville loyaliste et majoritairement
sunnite d'Idlib est encerclée par des
milices liées à Al Qaîda. Ces milices
utilisent des armes américaines,
notamment des missiles TOW pour venir à
bout de la résistance de l'armée
syrienne et des forces populaires qui
défendent leur ville et leurs terres.
L'un des commandants d'Al Qaîda de
l'opération d'Idleb est un cheikh
saoudien dénommé Abdallah al Mouhaisni.
Au Sud, c'est la ville antique de Bosra
al Cham au coeur de laquelle trône un
amphithéâtre romain, qui vient de tomber
aux mains d'une coalition de groupes
djihadistes pilotés par le Front al
Nosra, filière d'Al Qaîda en Syrie.
Comme le révèle la dépêche Reuters du 23
mars dernier signée Tom Perry, les
armées occidentales ont même intensifié
leurs livraisons d'armes à Al Qaîda sur
le Front Sud. C'est par la frontière
jordano-syrienne que ces armes, pour la
plupart offertes par l'Arabie saoudite,
le plus grand importateur d'armes au
monde, parviennent à la coalition anti-Assad
du Front Sud. Israël n'est pas en reste
puisque des sources officielles
reconnaissent désormais fournir de
l'aide aux forces anti-Assad dont Al
Qaîda dans le mont Bental sur le plateau
du Golan.» (4)
«Par hostilité
atavique envers l'Iran, les Saoud ont
longtemps encouragé Daesh. Aujourd'hui,
la dynastie wahhabite cultive
l'attentisme avec une crainte
grandissante face au prestige accumulé
par Téhéran parmi les populations de
Syrie et d'Irak vivant sous le joug de
Daesh. C'est finalement au Yémen, leur
arrière-cour, que les Saoud ont décidé
de lancer leurs bombardiers contre la
résistance anti-Daesh. (...) Alors que
Daesh a massacré près de 200 chiites
dans une quadruple attaque kamikaze
visant les mosquées vendredi dernier,
alors qu'Al Qaîda dans la péninsule
Arabique (Aqpa) massacre à tour de bras,
cette nuit, le régime wahhabite a lancé
une opération militaire aérienne contre
les forces rebelles du Yémen(.)» (4)
Que fait l'armée israélienne dans ce
chaos?
L'armée israélienne
n'est pas en reste. Dans cet étripement
interarabe elle tire les dividendes en
aidant Al Qaîda ou Al Nosra. On lit sous
la plume de Asa Winstanley: «Un article
publié la semaine dernière et qui n'a
pourtant pas reçu tout l'intérêt qu'il
suscitait a confirmé les soupçons
soulevés auparavant et les fortes
implications des troupes israéliennes
dans l'aide et l'assistance au Front al-Nusra,
l'affilié officiel d'Al Qaîda en Syrie.
Dans son entretien avec les troupes
d'occupation israélienne la semaine
écoulée, un journaliste du Wall Street
Journal présent sur le mont Bental a
constaté que les troupes israéliennes
accueillaient les combattants blessés
d'Al Qaîda et les soignaient dans les
hôpitaux israéliens. Une fois guéris,
ils sont renvoyés sur la frontière pour
poursuivre leurs combats contre le
gouvernement syrien. Au mois d'août
dernier, le Front al-Nusra a pris le
contrôle du point de passage de Qunaitra,
un checkpoint situé entre les parties du
plateau du Golan occupées par Israël et
contrôlées par la Syrie. A ce titre, un
responsable militaire israélien, resté
anonyme, a précisé au sujet de la prise
en charge médicale des combattants d'Al
Qaîda: «Nous ne les contrôlons pas ni
leur demandons qui ils sont. Une fois le
traitement terminé, nous les
reconduisons à la frontière et ils
continuent leur chemin [en Syrie].»
C'est une alliance tactique destinée
principalement et surtout à laisser le
pays saigner jusqu'à sa dernière goutte
et perpétuer la guerre civile.(...)» (5)
L'Iran dénonce
une agression sunnite contre les chiites
On sait comment les
Bahreinis chiites ont été étouffés par
le roi et par l'intervention de l'Arabie
saoudite en mars 2011, devant le silence
assourdissant de la communauté
internationale qui se limite à l'Empire
et principalement ses deux vassaux, la
perfide Albion et le Tintin français de
la démocratie qui s'est illustré aussi
vis-à-vis des faibles en Libye avec des
velléités de punition de Bachar mais
aussi avec une complicité nette avec le
régime égyptien pour cause de 24 Rafale
achetés par ce dernier et peut-être
financés par l'Arabie saoudite. Si on
ajoute à cela le conflit schismatique
qui date de Ali, nous avons les
ingrédients d'une guerre de religions
avec le Web 2.0. Pour nous convaincre,
le ministre Riyadh Yassine a agité la
menace d'une prise de contrôle du Yémen
par l'Iran, principal soutien des
Houthistes. «Contrariée nous dit Hélène
Sallon par l'influence croissante de
Téhéran en Irak, au Liban, en Syrie et
désormais au Yémen, l'Arabie saoudite ne
peut voir l'Iran la défier dans son pré
carré. Le conflit yéménite menace en
effet de déborder la frontière
saoudienne et de gagner la province
orientale d'Ach-Charkiya, dont une
partie de la population est chiite. Le
président iranien, Hassan Rohani, a
condamné jeudi après-midi l'«agression
militaire». (...) Toutefois, la
polarisation chiite/sunnite est en train
de recouvrir tous les autres clivages
yéménites. Un tel scénario renforcerait
les djihadistes d'Al Qaîda dans la
péninsule Arabique (Aqpa) et de l'Etat
islamique (EI), très implantés dans
certaines tribus sunnites. Autre facteur
de complication: une bonne partie des
forces de sécurité d'élite,
indispensables à la contre-offensive
sunnite, sont restées fidèles au
dictateur déchu Ali Abdallah Saleh, qui
a discrètement soutenu les Houthistes
dans un passé récent.» (6)
En pleines
négociations sur le nucléaire l'Iran est
engagée dans plusieurs théâtres
d'opérations en Syrie, en Irak,
notamment à Tikrit qui, dit-on, a été
prise grâce aux Iraniens. Il est fort à
faire et il est très possible qu'elle
lâche du lest sur son programme
nucléaire ce qui est tout bénéfice pour
les Occidentaux et pour Israël.
Que dire en
conclusion? La situation n'est pas
limpide loin s'en faut! Cependant
quelques faits objectifs: les potentats
arabes ont atteint le fond en termes de
dignité. Au lieu d'être fascinés par la
science et le savoir, ils s'équipent
jusqu'aux dents pour porter la guerre
soit à leur peuple soit entre eux. Qu'il
nous suffise de savoir que l'Arabie
saoudite a acheté aux Etats-Unis pour
plus de 70 milliards de dollars
d'armement. Il en est de même des autres
potentats qui dépensent l'équivalent de
200 milliards de dollars en armes
fournis gracieusement par un Occident
qui divise pour régner. Les Iraniens;
eux, sont une puissance technologique
qui avance malgré toutes les entraves
occidentales et israéliennes. Quel est
le pays arabe qui peut lancer des
satellites? Qui peut fabriquer son
propre armement? Qui peut maîtriser
l'atome? Les peuples arabes n'ont pas
des dirigeants éclairés, c'est cela leur
malheur.
1.L'Arabie heureuse: Encyclopédie
Wikipédia
2.Le Yemen:
Encyclopédie Wikipédia
3.François Burgat,
http://www.monde-diplomatique.fr/
2014/09/BURGAT/50816
4.Bahar Kimyongür
http://www.mondialisation.ca/
les-usa-et-les-saoud-au-secours-de-daech-et-al-qaeda-au-yemen/5439071
27 mars 2015
5.Asa Winstanley
http://www.mondialisation.ca/ larmee-israelienne-reconnait-appuyer-al-qaida-en-syrie/543836623
mars 2015
6.Hélène Sallon
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2015/03/26/l-arabie-saoudite-intervient-militairement-au-yemen-pour-contrer-liran_4601876_3218.html#EzyOc
HWZXHI g0szE.99
Article de
référence :http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_
du_professeur chitour
/213418-adieu-l-arabie-heureuse.html
Professeur Chems
Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
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Publié avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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