Actualité
Pour une alternance sereine :
La deuxième République maintenant
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Samedi 16 mars 2019
« On peut
tromper une personne mille fois ; On
peut tromper mille personnes une fois .
Mais on ne peut pas tromper mille
personnes mille fois » .
Alain Berberian
Les Algériennes et
les Algériens vivent des moments
exceptionnels en montrant leur unité et
leur détermination pour une Algérie qui
sourit à la vie. Nous avons vécu depuis
le 22 février une nouvelle chute du mur
de la peur. C'est un mur à côté duquel
le mur de Berlin fait pâle figure.
Beaucoup parmi nos voisins du Nord, de
l'Est, de l'Ouest, pensaient que
l'Algérie était ingouvernable, qu'elle
n'avait pas émergé aux temps historiques
et qu'elle avait besoin de parrains et
de conseillers. Par cette Révolution de
tout un peuple, de 7 à 77 ans et plus,
l'Algérie a montré qu'il fallait compter
avec elle et que surtout, il ne fallait
pas l'enterrer vivante, elle, qui
respire la vie, la jeunesse que tant de
peuples nous envient mais qui ne semble
pas être la préoccupation des princes
qui nous gouvernent.
Il faut dire qu'on
a été tous agréablement surpris par la
prise de conscience de toutes les
catégories sociales du pays, non pas
d'une manière brutale, mais «civilisée».
La mise en garde contre toute ingérence
étrangère dans les affaires internes du
pays est une priorité de chacun pour
éviter les scénarios à l'irakienne,
libyenne, et syrienne, la sérénité
devrait être maintenue et que les jeunes
soient à la hauteur et devraient
continuer à montrer une preuve de
retenue.
L'apport des
réseaux sociaux, c'est l'équivalent de
plusieurs divisions tant il est vrai que
le peuple est informé en direct. On ne
peut plus lui cacher la vérité, même les
médias officiels se sont démonétisés
eux-mêmes en «vendant» un discours qui
n'a pas plus de prise. Un autre constat
est que les partis politiques officiels
ont disparu. Ils ont été mis à nu, à
savoir qu'ils ne représentent que les
tenants du pouvoir, du statu quo et de
ceux qui émargent indûment au râtelier
de la République. Il est vrai que le
pouvoir a tout fait par des manoeuvres
différentes pour étouffer les trois ou
quatre partis d'opposition qui ont une
certaine représentativité.
L'Algérie de nos rêves
Le 8 mars, ce sont
deux anniversaires que nous aurions eu à
fêter si toutes les choses étaient
normales. D'abord le ressourcement d'un
évènement douloureux que nous fêtons
dans le recueillement, la mise à mort
dans des conditions abjectes le 3 mars
1957 de notre icône nationale Larbi Ben
Mhidi qui eut, dit-on, ces mots
terribles et qui sont d'une brûlante
actualité: «Lorsque nous serons libres,
il se passera des choses terribles. On
oubliera toutes les souffrances de notre
peuple pour se disputer des places; ce
sera la lutte pour le pouvoir. Nous
sommes en pleine guerre et certains y
pensent déjà, des clans se forment. Oui,
j'aimerais mourir au combat avant la
fin.»
Le deuxième
évènement fut la fête de la Femme qui a
eu une tonalité particulière cette
année, puisque ce sont des millions
d'Algériens qui ont manifesté dans la
bonne humeur pour une Algérie de nos
rêves où la femme prend toute sa place
et comme le dit si bien Aragon, «la
femme est l'avenir de l'homme». Ces
Vendredis du bonheur c'est une
situation analogue à la situation de
juin 1962 si le fleuve de la révolution
n'avait pas été détourné pour mettre le
peuple dans une situation où comme par
le passé colonial, les libertés étaient
restreintes, le manque de dialogue et
surtout le refus de l'alternance.
Cette élection aurait pu être l'occasion
de la deuxième indépendance au vu de
l'engagement de tout un peuple. A la
place, l'entêtement du pouvoir, à
perdurer en dépit de la volonté
populaire On sait que les dérives,
l'usure du pouvoir et la tentation de
l'éternité peuvent caractériser la
gestion pendant vingt ans. S'il ne faut
pas tout rejeter en bloc, notamment le
retour à la paix chèrement payé, mais
pas à en faire un fonds de commerce
brandi à chaque fois que le peuple émet
des velléités de changement.
Nous sommes au
XXIe siècle !
Nous sommes au XXIe
siècle, un siècle où tout change à vive
allure. Des pays plusieurs fois
millénaires disparaissent, d'autres
apparaissent. Dans un siècle où tous les
grands récits de légitimités «laïcs» en
isme (colonialisme, communismes,
socialisme, fascisme disparaissent comme
l'avait pointé du doigt le philosophe
Jean-François Leotard qui ajoute que
même les récits religieux
(christianisme, judaîsme, islam) sont
soumis à des remises en cause
existentielles, du fait d'une science
conquérante qui pousse ces spiritualités
dans leurs derniers retranchements.
Dans plusieurs de
mes écrits j'avais appelé à
l'alternance, la violation est devenue
la norme, la Constitution de 1996
promulguée sous le président Zeroual a
eu tout de même le mérite de consacrer
dans le texte l'alternance au pouvoir
par la limitation des mandats
présidentiels. Les manifestations
populaires ont fait preuve de maturité
et de civisme, mais aussi, d'un haut
niveau de conscience. Ce qui se passe
actuellement dans notre pays est
exceptionnel dans ce sens que tout se
passe dans le calme et la sérénité.
On ne peut pas
continuer à gérer le pays au XXIe siècle
avec les réflexes du XXe siècle et un
logiciel de l'ordre ancien. En somme, le
moment est venu pour une alternance
sereine. On sait que des hommes d'Etat
ont passé la main au sommet de leur
gloire. Ce fut le cas de Mandela, de
Pepe Mujica. La deuxième République doit
émerger sans retard. Dans ce processus,
«la mémoire de la Révolution de Novembre
et son aura devraient nous servir de
référent permanent». Et «si l'Algérie
veut garder son rôle sur la scène
internationale, il faut qu'elle change
de paradigme, de logiciel. C'est à cette
seule condition qu'on pourra tendre
l'oreille à ces jeunes et à tous ceux
qui veillent sur la maison Algérie».
Comment cela
pourrait se faire?
Les propositions
actuelles du pouvoir seront difficiles à
mettre en oeuvre et le peuple aura
l'impression que rien n'a changé puisque
la superstructure de l'ordre ancien est
toujours en place. Ne serait-il pas
mieux si on veut sortir par le haut de
cette épreuve que la rupture franche et
loyale avec l'ordre ancien soit actée
par une décision forte? Celle de ne pas
remettre aux calendes grecques
l'élection présidentielle?Il y a un
juste milieu; la vacance du pouvoir une
fois acceptée, le président du Sénat
aura à organiser dans un délai
raisonnable - même si les délais
constitutionnels sont dépassés - la mise
en place des conditions propres,
transparentes et honnêtes.
Peut-être que
quatre à cinq mois pourraient convenir.
C'est au prochain président de la
République à s'engager sur une
consultation citoyenne visant à refonder
une nouvelle Constitution où enfin
l'alternance après au maximum deux
mandats de 5 ans, les libertés
individuelles, la démocratie seraient
consacrées avec naturellement la
nécessaire dichotomie entre la sphère
privée et la sphère publique où
l'Algérien devra demontrer pas ses actes
sa citoyenneté et sa contribution au
vivre ensemble: «Dans tous les cas de
figure, il faudra une consultation
citoyenne et tous les citoyens
algériens, ici et ailleurs, notamment la
diaspora ont leur mot à dire, à
contribuer à l'émergence de la nouvelle
Algérie».
Avant d'aller plus loin, nous devons
rendre au FLN son lustre historique;
patrimoine de tous les Algériens, il
devrait transcender les parties
politiques. Le FLN des pères fondateurs
a fini sa mission historique comme l'a
si bien martelé Mohamed Boudiaf, l'un
des pères fondateurs. Il est
incompréhensible que le système
s'accroche à cette référence pour faire
taire toute velléité de remise en cause
des travers des dirigeants actuels et
des clients qui émargent au râtelier de
la République. Nous sommes au XXIe
siècle! Le moment est venu de donner une
nouvelle utopie mobilisatrice à la
jeunesse, de faire place à de nouvelles
légitimités basées sur le savoir.
Les chantiers du futur
Sans rupture
déterminante avec les pratiques
précédentes, nous retomberons dans les
mêmes travers. Il nous faut sortir du
système politique actuel qui repose sur
une phagocytose institutionnelle de tous
les pouvoirs établie, au profit du
président de la République sans
contrepoids réel. Le futur gouvernement
devrait s'interdire les lettres de
cachet, les faits du prince et devra
rendre compte systématiquement au peuple
pour toutes les grandes décisions
engageant l'avenir du pays, la
démocratie, le rejet systématique de la
violence, l'avènement des libertés
publiques, le droit à l'expression.
Enfin, mettre fin à la corruption qu'il
faut combattre résolument en édictant
des textes sévères qui ne doivent pas
rester lettre morte dans leur
application. L'Algérie est très sensible
à cette violence symbolique de la
corruption, du passe droit, du
népotisme.
La sagesse
commande de promouvoir l'alternance
immédiate, sans arrière-pensée. Nous
serons reconnaissants au président de ne
pas lancer le pays vers l'inconnu, de ne
pas désespérer la jeunesse en détournant
le fleuve de liberté qui défile chaque
vendredi. Nous avons besoin plus que
jamais d'un nouveau souffle. Encore une
fois, de nouvelles légitimités basées
sur le savoir et l'amour du pays
devraient prendre en main le destin du
pays car le monde actuel nous commande
d'avoir un cap, un système de
gouvernance pour préparer le futur.
C'est dire, si les défis sont immenses.
Il n'y a pas de mission supérieure à
celle de former nos enfants qui sont la
prunelle de nos yeux; il serait indiqué
de graver dans le marbre un Conseil de
l'économie de la connaissance avec de
réelles prérogatives pour aller vers
l'école de demain, l'université de
demain, une école qui fait réussir, qui
est réellement un ascenseur social avec
cette dimension de partage qui n'est pas
lié à la naissance et à la fortune
excluant du même type les autres.
Le vrai défi pour
le pays, est celui de réussir la
mutation de son économie en améliorant
progressivement ses performances et sa
compétitivité. Il s'agit de se battre
pour exister dans un monde de plus en
plus impitoyable. Le développement
durable par une politique de grands
travaux comme l'avait faite Franklin
Roosevelt permettra la création de
villes nouvelles dans le Sud. Autant
d'utopie mobilisatrice qui permettra de
mettre un frein à l'errance actuelle de
la jeunesse ballottée entre la fuite (Harga),
le maquis et les paradis artificiels de
la drogue. Notre jeunesse bien éduquée
est capable de relever le défi en
opérant de fait un nouveau premier
novembre du XXIe siècle.
Force est de
constater que l'usure du pouvoir actuel,
les promesses sans lendemain, le manque
de conviction et la recherche compulsive
de la paix sociale a achevé de
stériliser toute créativité. Il n'y a
pas de détermination à la rupture: cette
vision capable d'emballer les jeunes et
leur tracer un destin, nous devons
inlassablement militer pour passer des
moi personnels à un nous national et à
ce titre la reconnaissance de cette
dimension essentielle de l'Algérie est
une pierre angulaire pour la
consolidation du vivre ensemble.
Nous avons un
immense pays dont les citoyens sont
avant tout et après tout des citoyens
algériens avec des richesses spécifiques
que nous devons préserver au même titre
que notre fond rocheux, celui d'un islam
tolérant, fait d'empathie qui ne fait
pas dans l'invective ou dans l'anathème.
Une culture assumée, revendiquée est le
plus sûr moyen de lutter contre
l'errance identitaire. Un peuple uni
fasciné par l'avenir, sera fort si on le
respecte si on l'associe à son destin.
Révolution de Novembre
Pour cela nous
n'avons pas besoin d'hommes
providentiels, ni de messie ni de mehdi.
Nous en appelons cependant à des
personnalités d'expérience, compétentes,
qui parlent vrai à la jeunesse,
profondément convaincues des principes
de liberté et de justice pour tous en
dehors de toute démagogie. Le Graal
c'est arriver à redonner à l'Algérien
cette fierté d'être algérien et
réconcilier ce peuple avec lui-même;
prôner en toute chose l'altérité.
Nous devons dans le
calme et la sérénité convaincre que
persister dans la situation c'est aller
à l'aventure. La jeunesse n'a rien à
faire d'une conférence qui permet de
gagner du temps. Elle veut des
dirigeants qui maîtrisent les enjeux
mondiaux. Les légitimités
révolutionnaires aussi respectables
soient-elles n'ont plus cours. Si plus
que jamais nous avons besoin de nous
ressourcer par l'exemple des valeureux
martyrs, le moment est venu d'aller vers
une autre révolution qui libère génie
qui sommeille en chacun des Algériens à
même de leur permettre de donner la
pleins mesure de leur talent. Nous avons
besoin de réhabiliter la maison Algérie,
redorer le blason terni et galvaudé de
la glorieuse Révolution de Novembre qui,
en son temps, fut une aventure humaine
citée en exemple dans tous les
continents et que les différents
pouvoirs depuis 1962 ont méticuleusement
détricoté.
Nous devons forger
l'Algérien du XXIe siècle, fier et se
revendiquant de ses riches identités,
fasciné par l'avenir et militant
par-dessus tout pour une école qui sert
d'ascenseur social, une école qui permet
de réussir, une école tournée vers le
futur. Pour cela, seul le parler vrai
permettra de convaincre l'Algérien, ce
frondeur qui a l'Algérie à fleur de
peau. capable du meilleur comme du pire
si on attente à ses fondamentaux au nom
d'une âme «algérienne» que nous avons en
héritage depuis trois dizaines de
siècles. Soyons vigilants et prônons le
dialogue.
L'Algérie devrait
être pour chacun de nous un plébiscite
de tous les jours, il y a toujours un
avenir si on a la foi chevillée au
corps. Comment sortir de la malédiction
de la rente? En militant inlassablement
pour une Algérie du XXIe siècle qui fait
sienne les conquêtes de la science du
Web 3.0 de la 5 G son Graal. Une Algérie
du travail bien fait, de la sueur, il
faut réhabiliter l'effort, il nous faut
nous remettre au travail. Seuls le
savoir et la connaissance permettront à
l'Algérie d'aller vers un futur apaisé.
De grâce messieurs,
écoutez pour une fois le peuple, pour
que nous puissions nous en sortir par le
haut et éviter une situation de colère
des jeunes, qui peut amener à des
positions radicales qu'il sera très
difficile de calmer. Le peuple algérien
est déterminé à être acteur de son
destin. Il y arrivera dans le calme, la
sérénité, le refus de la violence, il
montrera ainsi comme il l'a fait qu'il
est le digne héritier de ces battantes
et ces battants qui ont jalonné une
épopée de trois mille ans d'histoire
Article de
référence :
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/311926-la-deuxieme-republique-maintenant.html
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
Alger
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