Opinion
Recomposition du Moyen-Orient :
L'inévitable chemin vers Damas
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Dimanche 8 mars 2015
«Refuser de faire la paix avec des
gens avec lesquels on est en guerre,
cela signifie continuer de faire la
guerre».
Jérôme Lambert, député socialiste
français
La guerre imposée
au peuple syrien dure depuis près de
quatre ans. Un organe autoproclamé comme
indépendant, à partir de Londres compte
les morts et les évalue à 200.000 morts
qu'il impute naturellement au
gouvernement légitime syrien. Les
oppositions off-shore pour reprendre la
judicieuse expression de René Naba, ont
fait long feu, de Burhan Ghalioun
universitaire français et à l'occasion à
Madame Kodmani fille d'une dignitaire du
régime (son père était ambassadeur en
France), l'opposition au fil des ans
s'est effilochée. Bachar tient toujours
malgré toutes les coalitions, il s'est
même permis le luxe d'être réélu pour un
nouveau mandat. On a même accusé Assad
de gazer son peuple et l'histoire
retiendra qu'il n'en est rien; la ligne
rouge a pourtant été franchie selon les
critères américains, mais Obama a décidé
de ne pas bombarder Damas, il sera suivi
par la Grande-Bretagne qui, du fait d'un
vote aux communes négatif, s'est retirée
de la coalition. Le feuilleton gazage
s'est arrêté avec le veto russe et sa
proposition de détruire le stock d'armes
chimiques. Ce qui fut fait. Reste la
France et son obsession de punir Assad.
Hollande voulait «punir» Assad
De fait, la
rhétorique guerrière de Hollande fait
appel au bien et au mal. Hollande se
voit défendre la veuve et l'orphelin
syriens . Faut-il «punir» Bachar al-Assad?
écrit le philosophe Philippe-Joseph
Salazar. Pour justifier une potentielle
attaque en Syrie, François Hollande
l'affirme: si le régime syrien a utilisé
l'arme chimique contre sa population, il
faut le corriger. Légitime-t-on une
guerre par le châtiment? «La France est
prête à punir ceux qui ont pris la
décision infâme de gazer des innocents»,
disait François Hollande il y a quelques
jours. (...) «Punition», «châtiment»,
ces mots ont été bannis de tout discours
politique depuis des années. (...) Sans
compter que se réactive un argumentaire
néocolonialiste et impérialiste: nous,
grande civilisation occidentale, sommes
dépositaires des vrais principes
moraux... Nous voilà revenus au XIXe
siècle. Au nom de la démocratie, on
envoie les canonnières.(...) Nous sommes
au-dessus de la Charte. Nous sommes le
bien absolu. On retrouve la rhétorique
de la «mission civilisatrice», mais sous
une forme inattendue (...) (1).
On se souviendra que Hollande n'a pas
puni Assad du fait que Obama ne l'a pas
accompagné. Lâché à la fois par Hollande
et par Cameron Hollande ne voulait
prendre de risques inutiles.
La situation
présente: Où en est-on actuellement?
Le conflit aurait
pu encore durer sur une ancienne
cinétique celle de l’impasse Souvenons
nous : Aucune des conférences (Génève I
et II), malgré tout le savoir du
diplomate algérien Lakhdar Brahimi
envoyé spécial à la fois des Nations
Unies et de la Ligue Arabe , n’a pu
aboutir à la résolution de la crise
syrienne crée par l’Occident de toute
pièce par un Occident sûr de lui et
dominateur qui pensait la régler à la
libyenne. Ce ne fut pas une
promenade de santé et le peuple syrien
est en train de payer pour un conflit
qui le dépasse .
Cependant depuis
juin 2014, la donne a changé. Il est
vrai que les médias aux ordres n'ont pas
cessé et continuent de diaboliser Assad.
Cette contribution de Kristien Pietr,
permet de décrire la situation après
l'avènement d'un nouveau venu, Daesh,
qui a changé totalement le paysage
politique au Proche-Orient. Nous lisons:
«Dans la foulée du «printemps arabe»,
certains esprits ont désigné le
président syrien Bachar al-Assad comme
le Satan des temps modernes - «un
individu qui ne mérite pas de vivre»
selon Laurent Fabius... Quel est donc le
crime commis par le président syrien
pour déclencher une telle haine?
Posséder la 3e armée mondiale, à
l'exemple de Saddam Hussein? Rien de
tout cela! Comme dans chaque État
souverain, le dirigeant syrien a dû
réprimer les émeutes, mater les
affrontements interreligieux et les
rebelles armés.» (2)
«Une coalition
hétéroclite s'est formée contre le
pouvoir syrien, soutenue par les rois du
pétrole et dirigée depuis Londres. Des
milliers de «conseillers» militaires
étrangers entraînent les volontaires en
Turquie, en Jordanie, en Irak et, sur le
terrain opérationnel, en Syrie. Face à
cette coalition contre nature, le
président syrien ne peut compter que sur
le soutien de la Russie et de l'Iran
(présent depuis fort longtemps dans le
sud-est de l'Irak)»(2).
«Malgré ces aides occidentales,
complétées par des brigadistes recrutés
en Europe, mais surtout de katibas
arrivant de toute la planète, Damas ne
cède pas et, bien au contraire, reprend
des positions stratégiques. Après des
années de guerre, ces «gentils rebelles
djihadistes» deviennent subitement
infréquentables! Comprenne qui pourra...
Dès la prise de Mossoul par les
salafistes, la communauté internationale
opère un revirement à 180°. À cette
occasion, les djihadistes ont mis la
main sur les arsenaux de 4 divisions de
l'armée irakienne (formées et équipées
par les USA) et aussi sur un trésor de
guerre de 425 millions de dollars en
dépôt à la banque centrale de la ville.
Le sigle arabe de Daesh - «ad-dawla
al islamiyya fi-l Iraq wa-scham» -
remonte à sa création en 2006, quand Al
Qaîda en Irak forme, avec cinq autres
groupes djihadistes, le conseil
consultatif des moudjahidines en Irak.
(...) »(2)
« Il est surprenant
de constater que c'est l'armée de Bachar
al-Assad qui livre maintenant des armes
aux Kurdes assiégés à Kobané, alors que
la Turquie assiste tranquillement à leur
massacre.» En outre, il faut aussi noter
que toute tentative de regroupement ou
de création de républiques nationalistes
arabes, qui aurait pu s'inspirer de la
doctrine et de l'idéologie de Michel
Aflak, a été sabotée par les USA et la
CIA, à commencer par la destitution de
Mossadegh en 1953. (...) Il est grand
temps de stopper les élucubrations des
dirigeants américains. Oui, après le
soldat Ryan, il faut sauver le président
Bachar!» (2)
La décantation : Un nouveau
Proche-Orient avec Assad ?
Les ennemis d'hier
sont les alliés d'aujourd'hui. Pour
Thiery Meyssan fondateur du site
Voltaire.org du fait de l'évolution
rapide de la situation au Proche-Orient,
Barack Obama étudie de nouvelles
options: «depuis plusieurs mois
écrit-il, Barack Obama tente de modifier
la politique états-unienne au
Proche-Orient de manière à éliminer
l'Émirat islamique avec l'aide de la
Syrie. Mais il ne le peut pas, d'une
part, parce qu'il n'a cessé de dire des
années durant que le président el-Assad
devait partir, et d'autre part, parce
que ses alliés régionaux soutiennent
l'Émirat islamique contre la Syrie.
Pourtant, les choses évoluent lentement
de sorte qu'il devrait y parvenir
bientôt. Ainsi, il semble que tous les
États qui soutenaient l'Émirat islamique
ont cessé de le faire, ouvrant la voie à
une redistribution des cartes.»(3)
Thierry Meyssan pense que tout est lié à
l'accord Etats-Unis-Iran, qui
permettrait à Barack Obama d'avoir les
mains libres, notamment vis-à-vis
d'Israël surtout s'il y a une nouvelle
équipe élue en Israël à partir du 17
mars «Le monde attend écrit-il, la
conclusion d'un accord global entre
Washington et Téhéran (...) Il porterait
sur la protection d'Israël en échange de
la reconnaissance de l'influence
iranienne au Proche-Orient et en
Afrique. Cependant, il ne devrait
intervenir qu'après les élections
législatives israéliennes du 17 mars
2015 (...) Dans ce contexte, les élites
états-uniennes tentent de s'accorder sur
leur politique future, tandis que les
alliés européens des États-Unis se
préparent à s'aligner sur ce que sera la
nouvelle politique US.»(3)
Plusieurs scénarii
sont sur la table poursuit Thierry
Meyssan, le plus probable serait de
reprendre langue avec Bachar Al Assad
pour détruire Daesh. Il écrit: «La
recherche du consensus aux États-Unis.
Après deux années de politique
incohérente, Washington tente d'élaborer
un consensus sur ce que devrait être sa
politique au «Proche-Orient élargi». Le
10 février, le National Security Network
(NSN), un think tank bipartisan
qui tente de vulgariser la géopolitique
aux États-Unis, publiait un rapport sur
les options possibles face à l'Émirat
islamique. Il passait en revue une
quarantaine d'opinions d'experts et
concluait à la nécessité d'«endiguer,
puis de détruire» l'Émirat islamique en
s'appuyant d'abord, sur l'Irak, puis sur
la Syrie de Bachar el-Assad».(3)
«Durant les
derniers mois, plusieurs facteurs
poursuit-il, ont évolué sur le terrain.
L'«opposition modérée» syrienne a
totalement disparu. Elle a été absorbée
par Daesh. Au point que les États-Unis
ne parviennent pas à trouver les
combattants qu'ils pourraient former
pour construire une «nouvelle Syrie».
(...) Israël a cessé le 28 janvier 2015
(riposte du Hezbollah à l'assassinat de
plusieurs de ses leaders en Syrie) son
soutien aux organisations jihadistes en
Syrie. Durant trois et demi, Tel-Aviv
leur fournissait des armes, soignait
leurs blessés dans ses hôpitaux
militaires, appuyait leurs opérations
avec son aviation (..) Le nouveau roi
d'Arabie saoudite, Salmane, a renvoyé le
prince Bandar, le 30 janvier 2015, et
interdit à quiconque de soutenir
l'Émirat islamique. (;;)Identiquement,
la Turquie semble avoir également cessé
de soutenir les jihadistes depuis le 6
février et la démission du chef du MIT,
ses Services secrets, Hakan Fidan.»(3)
Thierry Meyssan
décrit six options, l'une d'elle serait:
«Affaiblir, puis détruire l'Émirat
islamique, en coordonnant des
bombardements états-uniens avec les
seules forces capables de le vaincre au
sol: les armées syrienne et irakienne.
C'est la position la plus intéressante
parce qu'elle peut être soutenue à la
fois par l'Iran et par la Russie. (...)
Ces éléments permettent aisément de
prévoir l'avenir: dans quelques mois,
peut-être même dès la fin mars,
Washington et Téhéran parviendront à un
accord global. Les États-Unis renoueront
le contact avec la Syrie, suivis de près
par les États européens, France
comprise. On découvrira que le président
el-Assad n'est ni un dictateur, ni un
tortionnaire. Dès lors, la guerre contre
la Syrie touchera à sa fin, tandis que
les principales forces jihadistes seront
élimées par une véritable coalition
internationale» (3)
La visite de quatre élus français à
Damas à l'insu du plein gré de l’Elysée…
Pour ne pas être en
reste, le gouvernement français tente de
prendre le train en marche. Il envoie au
feu...des critiques quatre
parlementaires, qui font -consentant- le
chemin de Damas pour reprendre langue
avec Assad. Ils le font certainement pas
pour plaire à Assad, mais de deux maux
il faut choisir le moindre; La peur
inspirée par Daesh impose cela. Ainsi,
quatre sénateurs et députés français ont
défié la diplomatie française en se
rendant à Damas et en rencontrant Bachar
Al Assad. Le Lundi 23 février deux
députés, Gérard Bapt (PS, Haute-Garonne)
et Jacques Myard (UMP, Yvelines) sont à
Beyrouth. Deux sénateurs, Jean-Pierre
Vial (UMP, Savoie) et François Zocchetto
(UC, Mayenne) sont déjà à Damas. Ces
quatre parlementaires appartiennent aux
groupes d'amitiés franco-syriennes à
l'Assemblée nationale et au Sénat. C'est
la première visite d'élus français à
Damas depuis le début de la guerre en
Syrie en 2011. Elle a lieu à titre
privé, insistent-ils. (...)» (4)
«L'homme-orchestre
du voyage est Jérôme Toussaint. Il
explique que ce voyage se justifie tant
sur le plan humanitaire qu'en raison de
la présence des chrétiens d'Orient en
Syrie et du maintien à Damas du lycée
français Charles-de-Gaulle. De plus, les
attentats de janvier en France prouvent
la nécessité de rouvrir le dialogue
sécuritaire avec Damas pour combattre
les réseaux djihadistes. (...) Dans les
faubourgs de la capitale syrienne, la
circulation est dense, la ville est
grise, les visages marqués par la
fatigue et quatre ans de guerre. La
délégation est invitée à la résidence du
mufti de la République, Ahmad Badr
Al-Din Hassoun, Il est entouré de deux
patriarches, le grec-catholique
Grégorios III Lahham, et le
grec-orthodoxe Youhanna. Les trois
hommes ont à coeur de convaincre les
élus français que leur ennemie n'est pas
la République laïque syrienne, exemple
unique dans la région d'une parfaite
coexistence entre sunnites et minorités,
disent-ils, mais bien les djihadistes de
Daesh et leurs commanditaires, l'Arabie
saoudite, le Qatar et la Turquie.»(4)
Naturellement, ils
ont été désavoués, à la fois par le
président, le Premier ministre et le
ministre des Affaires étrangères, mais
on peut être certain que le debriefing...
Les parlementaires en mission, dénoncent
des «postures»politiques et l'hypocrisie
de ceux qui savaient. Car rien n'avait
été laissé au hasard. Ils affirment
qu'avant de partir, Gérard Bapt avait
averti le ministère des Affaires
étrangères, opposé au voyage et dont la
position depuis le début du conflit n'a
pas varié: haro sur Bachar Al Assad et
soutien à une coordination de
l'opposition pourtant en pleine
déliquescence. À l'Élysée, le député
socialiste s'était entretenu avec
Jacques Audibert, conseiller
diplomatique de François Hollande, et
Emmanuel Bonne, de la cellule
diplomatique.» (4)
Comment parler à Assad à qui on
souhaite la mort?
La décantation est en train de se faire,
on préfère la peste de Assad au choléra
de Daesh. Renaud Girard reporter
international au Figaro interviewé par
Alexandre Devecchio déclare qu'il faut
aller combattre Daesh en s'alliant avec
Assad: «(...)Ils ont eu raison de faire
ce voyage, ne serait-ce que pour se
rendre compte de l'état de la route
entre la frontière libanaise et Damas,
de l'état de la capitale. Il faut bien
comprendre que la diplomatie ne se fait
pas avec ses amis. C'est l'art de parler
à ses adversaires ou à ses rivaux. On
peut reprocher beaucoup de choses à
Bachar el-Assad, mais ce n'est pas une
raison pour ne pas lui parler. Car
Bachar el-Assad incarne la Syrie: il
n'incarne certainement pas 95% de la
population, mais rien ne prouve qu'en
cas d'élection réellement libre, il
n'emporterait pas la majorité.»(5)
Nicolas Sarkozy et
Alain Juppé ont fait l'énorme erreur de
fermer l'ambassade, qui était pour nous
la place où nous pouvions parler au
régime et surtout obtenir des
renseignements. La position française
est intenable car elle ne prend pas en
compte la notion d'ennemi principal.
Nous avons remplacé le général Kadhafi
par les amis de Bernard-Henri Lévy. Cela
n'a pas marché et nous sommes face à un
désordre total.» (5)
«Selon un sondage
Ifop, une majorité de Français condamne
cette initiative. Cependant, le débat
sur la nécessité de dialoguer avec le
régime syrien est désormais ouvert.
Jean-Christophe Lagarde a jugé que
l'exécutif français avait fait preuve
«d'hypocrisie» en condamnant ce
déplacement. 44% des Français souhaitent
rétablir un dialogue «compte tenu de la
menace que continue de représenter
l'Etat islamique (EI) en Syrie comme en
Irak». (...) les voix réclamant une
reprise de la discussion avec Damas se
multiplient, face à la menace croissante
représentée par les jihadistes de l'Etat
islamique, et leurs recrues étrangères
susceptibles de revenir commettre des
attentats en Occident.
On s'acharne à dire
que les droits de l'homme sont bafoués
par le régime Assad. Outre le fait que
c'est un gouvernement légitimement élu,
on lui sait gré de tenir et de sauver ce
qui reste de la Syrie pour éviter un
scénario à la libyenne. Certes, Assad
n'est pas poussin de la première
éclosion, il doit passer la main. Il
rentrera alors dans l'histoire pour
avoir résisté au nouvel ordre qui, sous
couvert de mots creux, liberté,
démocratie est une prédation.
1. Philippe-Joseph Salazar
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/932288-syrie-hollande-veut-punir-assad-l-inquietant-retour-de-la-morale-en-politique.html
04-09-2013
2. K. Pieter
http://www.les4verites.com/international/daesh-les-americains-et-bachar-al-assad
3. Thierry Meyssan 2 03 2015 http://
www.mondialisation.ca/lavenir-du-proche-orient/5434402
4. http://www.la-croix.com/Actualite/
Monde/La-delicate-visite-de-quatre-elus-francais-a-Damas-2015-03-04-1287224
5.
http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2015/02/26/31002-20150226ARTFIG00385-parlementaires-francais-a-damas-la-diplomatie-ne-se-fait-pas-avec-ses-amis.php
6.
http://actu.orange.fr/france/vous-avez-la-parole/la-france-doit-elle-renouer-les-liens-avec-bachar-al-assad-magic_CNT000000815LK.html
Article de
référence :
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/
212116-l-inevitable-chemin-de-damas.html
Professeur Chems
Eddine Chitour
Ecole Polytechnique
Alger
Publié avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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