Algérie en phase
avec le mouvement du monde
Rédha Malek : Un patriote intègre
qui
avait l'Algérie au cœur
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Jeudi 3 août 2017
« Les lions ne
meurent pas, ils disparaissent. »
(Proverbe de
l’Algérie profonde)
«Un moudjahid de la
plume s’en est allé sans bruit, sans
m’as-tu vu. Un hommage mérité de la
nation lu a été rendu. Il était le
dernier Algérien encore en vie ayant
négocié ce texte historique qui mit fin
à la guerre d’Algérie. Redha Malek était
membre de la délégation algérienne lors
des Accords d’Evian en mars 1962. Après
l’indépendance de l’Algérie, le 5
juillet 1962, Redha Malek a mené une
longue carrière diplomatique. Il fut
tour à tour ambassadeur à Paris,
Londres, Moscou, Washington, Belgrade et
a été ministre des Affaires étrangères.
Redha Malek a été membre du Haut-Comité
de l’Etat (HCE), une instance collégiale
qui a dirigé l’Algérie de 1992 à 1994.
Il a aussi été Premier ministre de 1993
à 1994 avant de fonder un parti
politique, l’Alliance nationale
républicaine (ANR), en 1995. Auteur de
plusieurs livres, il était partisan de
la séparation du pouvoir et du
religieux.»(1)
Voilà résumé en
quelques lignes le sacerdoce d’un homme
qui a consacré sa vie au service de
l’Algérie. Cependant il nous a paru
utile de retracer son parcours à travers
trois haltes pour tenter de cerner la
personnalité de ce patriote au long
cours qui, comme tout homme a eu ses
faiblesses, mais au final laissera, je
l’espère, une trace qui servira de
repère au même titre que les géants
d’une Révolution qui fut dure avec ses
enfants mais qui fut épique par le
souvenir qu’elle a laissé au monde.
Le patriote dans une Révolution qui
a marqué le monde
Redha Malek est
avant tout un intellectuel venu à la
Révolution avec tout ce que cela
comporte d’abandon de situation sociale.
Il était étudiant et inscrit dans deux
cursus. Il sera de ceux qui créèrent
l’Ugema en s’engageant dans la lutte de
libération. Les dirigeants algériens ne
se trompèrent pas en lui confiant la
direction de la création ex nihilo du
journal de la Révolution El Moudjahid.
Il en fit une référence et à titre
personnel pour avoir lu les trois tomes
édités dans les pays de l’Est, j’y ai
trouvé une mine d’informations sur
l’histoire de l’invasion coloniale,
comme ces fêtes et bals donnés par
Bugeaud où l’on faisait défiler, comme
rapporté par le journal, , des Algériens
avec une pancarte accrochée au cou
portant la mention : «Arabes soumis.» Il
y eut des rédacteurs admirables et il
n’est pas rare de trouver des éditoriaux
signés par de grands hommes, je veux
citer Abane Ramdane, Redha Malek, Pierre
Chaulet, Franz Fanon et tant d’autres
qui ont réussi le tour de force, avec
des moyens dérisoires, de donner une
dimension planétaire à la Révolution.
Yves Courrière
raconte comment — avec des faibles
moyens, en utilisant les possibilités
d’une grande ville pour faire le tirage
de communiqués — les diplomates
algériens, faisant preuve d’audace et
naturellement de compétences, damèrent
le pion aux Nations unies où ils
luttèrent pied à pied contre la
propagande de la délégation française en
proposant aux diplomates des Nations
unies des analyses pertinentes qui
contredisaient les arguments de
l’adversaire et d’année en année
l’Algérie combattante engrangeait les
soutiens. Ce sera la même école qui
donna une dimension aussi importante que
celle du maquis à la Révolution.
C’est donc tout
naturellement que Redha Malek sera nommé
porte-parole des négociations, d’abord à
Melun, puis à Evian. Dans son ouvrage
L’Algérie à Evian, Redha Malek raconte
comment les négociations furent
difficiles – qui n’ont rien à voir avec
celles ayant amené à l’indépendance du
Maroc et de la Tunisie, voire de la
dizaine de pays africains qui le furent
d’un coup avec des négociateurs français
rompus aux arcanes de la diplomatie et
des diplomates algériens qui, pour
certains, étaient trentenaires, purent
tenir la distance.
Redha Malek a souligné dans son ouvrage
L’Algérie à Evian, véritable mine
d’informations, quelques moments
difficiles des négociations ;
l’entêtement de la France à revendiquer
la partition du Sahara, et
l’extraterritorialité de la communauté
européenne – une enclave française en
terre algérienne – qui furent finalement
abandonnés par la partie française Zineb
Merzouk rapporte aussi des extraits de
l’ouvrage : «Les derniers jours, lit-on,
des négociations sont ponctués par de la
nervosité, des incertitudes, des
désaccords de part et d’autre. Et le
temps paraît si long… Le samedi 17 mars,
l’ambiance est fébrile à l’Hôtel du
Parc. Nous devons les revoir et
vérifier, en particulier, si les
différents amendements qui ont donné
lieu à tant de veilles y figurent bien»,
écrit Redha Malek. Dimanche 18 mars. Les
négociateurs se retrouvent en fin de
matinée pour une dernière lecture avant
le moment tant attendu. (…) » (2)
« Malek
qualifie la scène qui suit de spectacle
insolite : «les membres de la délégation
française nous lisant, tour à tour et à
haute voix, les 98 pages des accords.
Nous suivons studieusement sur nos
documents. (…) Le moment historique
arrive enfin. La signature du document.
Les membres de la délégation sont
surpris de voir les trois ministres
français apposer successivement leur
paraphe. Quant vient le tour de la
délégation algérienne, raconte Redha
Malek, Krim a un moment d’hésitation.
Dahlab le sort d’embarras, en déclarant
que pour ce qui est de l’Algérie, seul
le chef de sa délégation est habilité à
signer.» Passé l’effet de surprise, «le
vice-président du GPRA assume pour la
postérité son acte historique, en toute
simplicité, sous le regard ému de ses
collègues». Une poignée de main entre
les membres des deux délégations, qui
s’en étaient abstenus jusqu’ici, scelle
l’accord et la réconciliation. Il est
17h30.»(2)
«On ne fête pas Waterloo, m’avouera, un
jour, un des négociateurs français les
plus en vue. J’ai trouvé le jugement
excessif, mais il décrivait sans doute
le sentiment dominant. Pour ce qui est
de la délégation algérienne, ses membres
affichent clairement leur joie.
L’autosatisfaction n’était pas le fort
du FLN et, la fatigue aidant, le cœur
n’y était plus pour savourer un moment
si ardemment attendu. Nos pensées
allaient plutôt à nos proches, aux
figures amies, aux innombrables
compagnons de lutte qui, victimes de
l’idéal qui a remué l’Algérie dans ses
profondeurs, n’étaient plus là pour
assister avec nous à sa concrétisation.
Non ! (…) Le lendemain, 19 mars 1962, à
midi, la guerre d’Algérie sera
officiellement terminée.»(2)
Au service d’une diplomatie lumineuse
des années 1970
Un deuxième volet
d’une carrière riche est celui de
participer à une diplomatie active
héritière de l’aura de la Révolution qui
faisait que la voix de l’Algérie portait
aux quatre coins du monde et
naturellement en Afrique. Ce fut le
sommet des chefs d’Etat de l’Opep à la
veille de 1973. Ce fut la période du
Nouvel Ordre économique international
aux Nations unies en 1974 proposé par
Boumediene. Ce sera l’élection de
Abdelaziz Bouteflika comme président de
la session des Nations unies, session
qui a vu pour la première fois Yasser
Arafat à la tribune des Nations unies.
Deux évènements
mirent Redha Malek aux premières loges.
Redha Malek avait de la considération
pour le général de Gaulle. Il voyait en
lui un adversaire prestigieux qui malgré
des tergiversations qui ont fait durer
la guerre plusieurs années a été
contraint à négocier l’indépendance. En
tant qu’ambassadeur en France de 1965 à
1970, avec une équipe de diplomates
chevronnés avec notamment Abdelkrim
Chitour, Redha Malek raconte qu’après la
remise des lettres de créance le général
de Gaulle, dérogeant au protocole, lui
fit des recommandations sur le rôle
leader que l’Algérie devait avoir en
Afrique. Ironie du sort, le problème de
Mers El- Kebir sera réglé définitivement
durant cette période.
A Evian la France
voulait faire de de Mers El-Kebir une
enclave. L’Algérie refusa la demande
d’un bail de 99 ans, elle accepta un
bail de 15 ans, qu’elle ne ratifia
jamais. «Notre stratégie, écrit-il, a
porté ses fruits puisque Mers El-Kebir a
été évacué en 1968. J’étais alors en
poste à Paris. Le président Houari
Boumediene m’avait chargé de traiter ce
dossier avec le général de Gaulle. Au
terme d’une série d’audiences, il m’a
dit : “Vous voulez que l’on parte ? Eh
bien nous partons !”.»
Dans le même ordre
de considération, lors du détournement
de l’avion d’El Al, de Gaulle avait dans
un premier temps demandé à l’Algérie,
par l’intermédiaire d’Hervé Alphand, de
laisser partir l’avion. L’Algérie
demanda à ce que la demande soit
officielle. Entre-temps, l’armée
israélienne avait attaqué la Jordanie.
Ceci fit changer d’avis de Gaulle qui le
fit savoir aux Algériens. C’est dire si
à l’époque s’agissant des grands
équilibres du monde l’Algérie était
consultée en priorité parmi les pays
africains et arabes.
La deuxième affaire
dans laquelle s’est illustrée Redha
Malek sera l’affaire des otages
américains en 1980. L’aura de l’Algérie
jointe au savoir-faire du ministre des
Affaires étrangères, Mohamed Seddik
Benyahia, avec une équipe de diplomates
de talent, dénoua d’une façon apaisée, à
la satisfaction des deux parties (Iran
et Etats- Unis), la crise. Quatre hommes
ont été constamment en première ligne
dans les négociations pour la libération
des otages : MM. Behzad Nabavi, ministre
d'État iranien pour les Affaires
exécutives, Warren Christopher,
secrétaire d'État adjoint américain,
Redha Malek et Abdelkrim Gheraieb,
respectivement ambassadeurs d'Algérie à
Washington et à Téhéran. Il convient
également de mentionner le nom de M.
Seghir Mostefaï, qui dirigeait la Banque
centrale d'Algérie, et dont les conseils
techniques ont été précieux.
Ce fut à l’échelle
planétaire un évènement, les otages
américains reçus à Alger et «remis» par
Mohamed Seddik Benyahia, notre ministre
des Affaires étrangères, au secrétaire
d’Etat américain Warren Christopher. On
apprendra plus tard que les Américains,
malgré la rupture des relations
diplomatiques avec l’Iran, eurent un
comportement ambivalent en aidant les
Iraniens dans leur guerre avec l’Irak,
ce sera le fameux scandale Irangate…
La décennie noire et l’échec de la
transition vers un Etat de droit
Les convulsions du
pays à la fin des années 1980 amenèrent
le FIS aux portes du pouvoir. Le coup
d’arrêt donné au processus électoral fut
soutenu par plusieurs personnalités
politiques et militaires. Redha Malek en
fera partie. Il s’est toujours déclaré,
sans atermoiement ni calcul politicien,
partisan de la séparation entre le
politique et le religieux. Il sera nommé
après la mort de Mohamed Boudiaf, membre
du Haut-Comité d’Etat (HCE), une
instance collégiale qui a dirigé
l’Algérie de 1992 à 1994.
Bien plus tard,
dans une déclaration à Jeune Afrique,
Redha Malek donnera sa vision des
évènements : «L’Algérie a lutté pendant
huit années, a réussi sa révolution.
Mais celle-ci reste inachevée. Car il
fallait non seulement arracher
l’indépendance, mais aussi organiser une
société juste et moderne, et promouvoir
les libertés fondamentales. Liberté de
conscience, liberté d’opinion, liberté
d’expression, justice sociale… Je
m’oppose à ceux qui disent que rien n’a
été fait, mais il reste encore beaucoup
à faire. Nous ne devons pas nous
endormir sur l’oreiller de
l’indépendance et de la souveraineté.
L’indépendance signifie que nous sommes
sur la sellette de l’Histoire. Voyez ce
qui se passe dans le monde arabe. Il y a
eu des dictatures inacceptables,
contraires à l’évolution et au progrès.
Les Constitutions doivent être
respectées au même titre que
l’alternance au pouvoir » (3)
« Les portes de la
démocratie ont été ouvertes en Algérie
en 1991. Mais des forces rétrogrades s’y
sont engouffrées. Nous avons été obligés
de réagir. Contre vents et marées, nous
sommes parvenus à maintenir le caractère
moderne de l’Algérie. J’aimerais que nos
frères arabes profitent de cette
expérience. Ils doivent savoir que la
démocratie ne crée pas automatiquement
le progrès. Les élections libres sont
une chose, mais si le pays, ou l’État,
est en crise, comment peut-on les
organiser ? Cela peut conduire à une
aventure dangereuse. Quant aux
islamistes, au nom de quoi se
permettent-ils de confisquer une
religion ?»(3)
S’agissant de la
situation de l’Algérie et après la
décennie noire Redha Malek est de ceux
qui constatèrent l’échec de la
transition du pouvoir militaire vers le
civil. Pour lui, la transition qui
devait commencer en 1999 avec l’arrivée
au pouvoir d’un président civil n’a pas
abouti.
Fayçal Métaoui écrit à ce sujet : «Pour
Redha Malek le blocage ne viendrait pas
de “généraux” accrochés à leurs
privilèges. Car “Un retrait de l’armée
de la décision politique provoquerait
une vacuité du pouvoir, que la société
civile, encore fragile, et que les
partis divisés sur des questions de fond
n’arriveraient pas à combler”, il en
appelle à une “transition”.
Simultanément, les forces démocratiques
doivent s’organiser afin de se
constituer en force sociopolitique
consistante, l’armée, de son côté, devra
effectuer graduellement son retrait de
façon planifiée.» «Dans quelques années,
nous serons quarante millions
d’habitants. On ne peut plus diriger
quarante millions d’Algériens avec des
méthodes vétustes !» Pour lui,
l’inconsistance des institutions, le
déclin du sentiment national et la perte
du sens civique ne permettent pas une
«interprétation sereine» du passé. «Les
malheurs indicibles du présent sont
automatiquement imputés à la Révolution
transformée en boîte de Pandore
historique», a-t-il regretté dans la
préface du livre.(4)
Redha Malek formait
un bloc monolithique avec l’amour du
pays. Renvoyant dos à dos les
révisionnistes visant à faire croire que
la France nous a donné l’indépendance,
et ceux qui veulent faire du combat de
tous les Algériens un fonds exclusif au
service d’une évanescente famille
révolutionnaire dont on peut douter de
la valeur ajoutée et qui font dans la
fuite en avant exigeant une repentance,
il déclare : «Nous n’avons pas de
complexe à avoir, et absolument rien à
demander. Cela dit, l’adoption d’une loi
déclarant le caractère positif de la
colonisation est une véritable
provocation. Faut-il rappeler le
génocide lors de la conquête de
l’Algérie, les barriques d’oreilles
coupées, les enfumades, les massacres ?
Il nous suffit également de rappeler le
code de l’indigénat. La France a voulu
faire de nous des sous-hommes.»
Avec la disparition
de Rédha Malek, l’Algérie perd un de ses
derniers repères historiques. Plus que
jamais et par les temps qui courent
d’anomie du sens d’une perte de repères,
il est important que la jeunesse sache
que l’indépendance de l’Algérie ne fut
pas un cadeau. C’est tout un peuple uni
dans l’effort de libération du pays du
joug colonial. Plus que jamais
l’histoire trois fois millénaire reste à
écrire.
1.
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/07/29/algerie-mort-de-redha-malek-negociateur-des-accords-d-evian_5166484_3212.html
2.Zineb Merzouk
http://www.jijel.info/forums/thread-505.html
3.
http://www.jeuneafrique.com/142387/politique/alg-rie-r-dha-malek-notre-r-volution-est-inachev-e/
4.Fayçal Métaoui
http://www.algeriawatch.org/fr/article/pol/anp_presidence/redha_malek_diagnostic.htm
Article de
référence :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2017/08/02/article.php?sid=217200&cid=41
Professeur
Chems Eddine Chitour
Ecole
Polytechnique Alger
Publié le 4 août 2017 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
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