Opinion
Français Musulmans :
Tolérance zéro dès la crèche
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Lundi 2 février 2015
«L'enfant a le
droit à une protection contre toutes les
formes de sévices, de négligence,
d'exploitation et de cruauté, y compris
une protection spéciale en temps de
guerre et une protection contre les
mauvais traitements infligés dans le
cadre du système de justice pénale.
L'enfant est libre d'exprimer des
opinions et a le droit de donner son
avis sur des questions qui ont une
incidence sur sa vie sociale,
économique, religieuse, culturelle et
politique. (Convention des droits de
l'enfant Unicef )
On a tout dit du 11
septembre français et des conséquences
qui ont suivi, notamment en termes de
durcissement des sanctions à l'encontre
des personnes soupçonnées de terrorisme.
Dans la droite ligne américaine un
Patriot act est en train d'être mis en
place dans la patrie des droits de
l'homme et du citoyen. Avec un rare
unanimisme trans-partisan, chacun a fait
preuve d'imagination pour punir à défaut
de comprendre. Car c'est de cela qu'il
s'agit; au lieu de traiter les racines
du mal, on traite les conséquences
Certes, comme tout pays qui se sent
agressé, la France a le droit et le
devoir de se protéger et de protéger ses
citoyens contre un adversaire. Mais
est-ce moral d'y aller sans
discernement? Suite à la circulaire du
12 janvier promulguée par Christiane
Taubira, appelant les procureurs à la
plus grande fermeté, le ministère de la
Justice a déjà engagé plus de cent
procédures pour «apologie de
terrorisme». C'est ainsi qu'une
trentaine de personnes ont déjà été
condamnées, parmi lesquelles des
déficients mentaux, des personnes en
état d'ébriété... ou des enfants. Le
Collectif contre l'islamophobie en
France a dénoncé, mercredi, une
convocation qui, selon lui, «illustre
l'hystérie collective dans laquelle la
France est plongée depuis début
janvier».
A partir de quel âge
on est responsable de ses actes?
Deux récits
concernant deux enfants de neuf et huit
ans nous permettent de nous rendre
compte objectivement de ce qui s'est
passé. Le premier récit concerne un
enfant de neuf ans
Sur le blog de Médiapart, nous
lisons le récit poignant suivant: «Le
papa d'Ayman, raconte ce qu'il a enduré
avec son fils (9 ans) ces derniers
temps: ´´Le jeudi 15 janvier à 10h00
j'ai reçu un appel de la gendarmerie de
Villers-Cotterets nous demandant de me
présenter avec mon fils le même jour à
15h30, pour des faits survenus le 8
janvier. Une fois rentré à la maison je
lui ai demandé, s'il s'était passé
quelque chose à l'école la dernière
semaine. Il m'a indiqué que rien ne
s'était passé de particulier. Je lui ai
alors demandé comment s'était passée la
minute de silence qui a suivi
l'assassinat des journalistes de Charlie
Hebdo. Il m'a indiqué que deux enfants
n'avaient pas respecté la minute de
silence mais que lui l'avait
parfaitement respectée.» (1)
«C'est alors que je l'ai informé que
nous étions convoqués à la gendarmerie
pour des faits s'étant déroulés le 8
janvier Nous nous sommes présentés le 15
janvier. Nous avons appris les faits
reprochés, mon fils aurait perturbé la
minute de silence en criant 'Allah akbar,
vive le Coran''. Mon enfant a donc été
entendu. Il a indiqué avoir respecté la
minute de silence et que deux enfants ne
l'avaient pas respectée. Après 1 heure
d'audition, le gendarme lui a fait
signer sa déposition, ainsi qu'à
moi-même, étant le représentant légal.
(...)Lors de mon audition, j'ai indiqué
avoir toute confiance en mon fils et en
ses déclarations. Je me suis senti
obligé de justifier le pourquoi de notre
croyance et son comment... J'ai indiqué
clairement avoir été blessé, outré et
choqué par cette convocation. J'ai
demandé à ce que toute la vérité soit
faite sur cette affaire et sur les
dysfonctionnements qui ont pu conduire à
l'audition d'un enfant de 9 ans, pendant
ses cours, en gendarmerie.» (1)
«A la suite de cela
poursuit le père, j'ai mené mon enquête
via d'autres enfants présents et surtout
j'ai rencontré le directeur de l'école
de mon fils (Léo Lagrange à
Villers-Cotterets). Il m'a indiqué que
mon enfant n'avait causé aucune
perturbation et qu'au contraire, il
avait participé activement aux travaux
éducatifs qui ont suivi les assassinats.
A la suite de ces investigations,
certain de l'innocence de mon fils, je
me suis rendu à la gendarmerie de
Villers-Cotterets le 23 janvier pour
déposer une plainte pour faux
témoignage. Ma plainte a été enregistrée
par un nouveau gendarme.(..) Nous
retrouvant dans une situation où les
amalgames et insultes à caractère racial
se multiplient, j'ai également demandé
au gendarme des renseignements sur ces
propos racistes et j'ai explicité le cas
de mes enfants. En conclusion, je me
demande comment justice va pouvoir être
rendue à mon fils et notre famille?» (1)
L'affaire de Ahmed
terroriste en herbe, sans le savoir
Cette deuxième
affaire est encore plus poignante. Nous
lisons la contribution de Françoise
Petitdemange: «Me Sefen Guez Guez,
l'avocat du petit Ahmed, relate ainsi
les événements qui ont eu lieu à Nice:
'Tout a commencé le 8 janvier, au
lendemain de la tuerie à Charlie Hebdo.
Ahmed, 8 ans, était en classe avec ses
camarades de CE2, quand on lui a demandé
s'il était ´´Charlie´´. Lui a répondu:
´´Je suis du côté des terroristes, car
je suis contre les caricaturistes du
prophète.´´» (2)
«Plusieurs
questions se posent ici: est-ce le rôle
des enseignant(e)s de demander, dans le
cadre d'une école, qui plus est d'une
école primaire, à un enfant de 8 ans,
s'il est ´´Charlie´´? Comment
peuvent-ils(elles) demander à un
musulman s'il est ´´Charlie´´? Autrement
dit, s'il est du côté des caricaturistes
qui ont sali, de façon obscène et
ordurière, le Prophète Mahomet? En vertu
de quel droit, des enseignant(e)s,
peuvent-ils(elles) inciter un enfant de
8 ans à parler contre sa religion, celle
de ses parents, celle de ses ancêtres?»
(2)
«Pour l'avocat,
L'affaire aurait pu s'arrêter là. Mais
le 21 janvier, le directeur de l'école
décide de déposer plainte, pour deux
infractions: ´´apologie du terrorisme´´
contre Ahmed, et ´´intrusion´´ contre
son père. Effectivement, l'enfant étant
très perturbé et isolé depuis les faits,
son père l'a accompagné jusque dans la
cour de récréation à trois reprises
après le 8 janvier, avant de se voir
interdit d'accès. Trois reprises qui lui
ont valu cette plainte pour intrusion.»
[Idem.] L'enfant, «perturbé et isolé»,
n'aurait-il pas reçu des menaces de ses
petits camarades chauffés à blanc par
l'hystérie politico-médiatico-éducative?
L'attitude d'un père, n'est-elle pas de
protéger son enfant? Voici cet enfant de
8 ans pris dans le tourniquet des mots
d'adultes: ´´apologie du
terrorisme´´...» (2)
«Me Guez Guez, lui,
a davantage les pieds sur terre que les
hommes et femmes politiques de notre
pays et que les enseignant(e)s de cette
école de Nice qui, tous comptes faits,
s'en prennent à la parole d'un enfant:
«Mercredi, à la question du policier qui
voulait savoir s'il connaissait la
signification du mot ´´terrorisme´´,
Ahmed a eu, selon son avocat, une
réponse qui en dit long: ´´Non, je ne
sais pas´´.» [Idem] Qui pourrait donner
une définition du mot «terrorisme», par
les temps qui courent? Les bombes qui,
depuis des décennies, tombent, la nuit,
le jour, sur l'Afghanistan, l'Irak, la
Libye, la Syrie, le Mali, etc., ne
sont-elles pas des instruments de
terreur? ce sont des dizaines, des
centaines de milliers (...) d'hommes, de
femmes, d'enfants qu'elles ont
massacré(e)s et qu'elles continuent à
massacrer.» (2)
«... Cela fait des
années que les médias mainstream
bassinent les citoyen(ne)s avec des
réparties injurieuses contre la religion
musulmane. Est-il simplement... correct
d'attaquer ce qui est du domaine du
sacré chez l'Autre? (...) Non, ce n'est
pas un simple fait divers... L'affaire
est grave. Beaucoup plus grave que ne le
croient tous ces parangons de vertu qui
attaquent la liberté d'expression d'un
enfant de 8 ans, au nom de la liberté
d'expression de qui, au juste? La
rupture avec les valeurs républicaines?
Il faudrait déjà que les hommes et les
femmes politiques ne fussent pas en
rupture avec les valeurs humaines...
Pour Me Sefen Guez Guez, très en colère:
«On est face à une hystérie collective.
Mon client a 8 ans! Il ne réalise pas la
portée de ses propos. C'est insensé.»
Maintenant, les enfants de 8 ans, s'ils
sont musulmans, peuvent être considérés
comme des vecteurs du terrorisme et
interrogés par la police française.» (2)
Entendu à 8 ans pour
apologie du terrorisme: que s'est-il
vraiment passé?
Sous la plume de
Anne Sophie Hojlo du Nouvel Obse. Nous
avons une version complémentaire qui
nous apprend que le contentieux était
plus ancien: «L'audition d'un enfant de
8 ans mercredi dans le cadre d'une
audition libre au commissariat de Nice
(Alpes-Maritimes) pour ´´apologie d'acte
de terrorisme´´ suscite la polémique, Le
8 janvier dernier, écrit-elle, un débat
est organisé dans une classe de CE2 de
Nice après l'attaque survenue la veille
à Charlie-Hebdo. Un élève tient des
propos «inadmissibles», selon les mots
du rectorat des Alpes-Maritimes. «Je ne
suis pas Charlie, je suis avec les
terroristes», a reconnu avoir lancé le
petit garçon. Selon le rectorat, il
aurait également refusé de participer à
la minute de silence en mémoire aux
victimes. Ce qu'il nie aussi, selon son
avocat. En guise de punition après ses
propos, le directeur lui aurait lancé
«Tu ne participeras pas», en le retenant
par la main.
Interrogé, le
rectorat donne une version des faits
très succincte. Il refuse en particulier
d'évoquer les propos tenus par l'élève
et son père. Il dément toute plainte
contre l'enfant: ses propos ont
simplement été signalés par l'école
auprès d'une cellule de protection de
l'enfance des Alpes-Maritimes. C'est
cette cellule qui a prévenu la police.´´
«Après ce signalement, le père est venu
à l'école menacer le directeur. L'élève
est diabétique et doit prendre de
l'insuline.» Le père a accusé l'équipe
éducative de le laisser mourir. Après
l'altercation, le directeur a porté
plainte contre le père. Il a ensuite été
convoqué avec l'enfant au commissariat.»
(4)
La version de
l'avocat
«Maître Sefen Guez
Guez avocat de Ahmed décrit un
acharnement et des violences du
directeur, contre lequel le père a porté
plainte pour coups et blessures. Après
avoir dit «Je ne suis pas Charlie», il
est envoyé dans la classe du directeur.
Ce dernier lui attrape la tête et la
tape trois fois sur le tableau en
répétant «qui t'a dit ça? «Personne»,
répond l'enfant.» ´´Le directeur lui met
ensuite des ciseaux dans les mains en
lui ordonnant «Tue ce qui ne te plaît
pas». Puis on ne lui donne pas son
insuline à l'heure prévue, en lui
disant: Tu souhaites la mort aux autres,
pourquoi tu ne mourrais pas? «Tu vas
pouvoir goûter à la mort.» Le lendemain,
il raconte qu'il joue aux archéologues»,
et que le directeur lui lance Arrête de
creuser, tu ne vas pas trouver de
mitraillette pour tous nous tuer.» (3)
«´´Le père a eu vent des répercussions
contre son fils à l'école, du fait que
les autres enfants le traitaient de
terroriste, et il l'a accompagné à
l'école pendant 3 jours, sous l'oeil
d'un enseignant, puisque les entrées
d'école sont contrôlées dans le cadre du
plan Vigipirate. «Il s'est expliqué avec
le directeur, lui annonçant qu'il allait
porter plainte. Comme il ne parle pas
bien français, cela a pu être interprété
comme des menaces. Il a ensuite fait
l'objet d'un signalement au commissariat
pour intrusion, et son fils pour
apologie du terrorisme. Ils ont reçu
chacun une convocation.» (3)
Une autre affaire
concerne cette fois-ci un enfant de 14
ans. L'affaire commence le 9 janvier
dernier. Alors qu'un professeur de
français en collège propose à ses élèves
«un débat» sur l'attentat de Charlie
Hebdo, un élève intervient et s'exclame:
«Ils ont eu raison. Le 14, convocation
chez le principal, ses parents
apprennent son exclusion pour une
semaine, le principal, porte plainte à
la police contre l'enfant. Et le
lendemain, alors que la famille se rend
au commissariat afin d'être entendue,
l'adolescent est placé en garde à vue
pour une durée de vingt-quatre heures.
Le 17 janvier au matin, l'adolescent est
présenté menotté au juge pour une mise
en examen pour apologie de terrorisme.
Cette histoire surréaliste, rapportée
par Rue89, n'est qu'un énième épisode
des dérives de la justice en ce mois de
janvier. (4)
Pourtant le
croyons-nous, il y a violation manifeste
de la Convention internationale relative
aux droits de l'enfant art.2.2 et art.
3. Un enfant confié à l'école n'a pas à
subir de pressions psychologiques ni
d'intimidation, par toute personne, a
fortiori par une personne en autorité.
Ces enfants ont visiblement subi un
traumatisme inadmissible et... durable
A contrario dans le
nouveau Patriot Act à la
française, un scénario cauchemar serait
le suivant: A 8 ans, c'est trop tard...
Il faut créer une brigade de policiers
spécialistes pour intervenir de façon
musclée dans les maternités des zones
sensibles (...) Création de centres
d'assimilation. Tous les enfants nés de
parents vivant dans les quartiers dits
sensibles surtout si la famille est de
confession musulmane et à l'exclusion
des enfants dont les familles sont de
confession juive (ce serait de
l'antisémitisme), seront retirés à leur
famille. Ils seront enfermés dans les
centres d'Assimilation, afin de leur
enseigner la bonne façon de penser et de
faire. Ils seront autorisés à sortir du
centre après avoir réussi toutes les
épreuves de pensée, d'obéissance, de
soumission et d'action pour le bien de
la nation (sic). Une citation prise de
l'Internet (tribut 29 01 2015 BFM/TV)
résume par une boutade à elle seule la
dérive du droit «Tolérance zéro dès la
crèche! Si un enfant balbutie un mot
défendu comme ´´terroriste´´ direction
le commissariat immédiatement! Non mais!
Ce ne sont pas les marmots qui vont
faire la loi.» Tout est dit en dérision
rattrapée par la triste réalité
Est-cela la France
«mère des arts des armes et des lois»?
Sans avoir la prétention de porter des
jugements de valeur, nous avons la
pénible impression que la politique à
l'endroit des Français musulmans est
dénuée d'équilibre. S'il est vrai que le
terrorisme est une plaie qu'il faut
combattre à tout prix, il est néanmoins
vrai que les Français musulmans ne
devraient pas être ostracisés-ils sont
les boucs émissaires d'un conflit
planétaire qui a ses racines ailleurs.
Dans tous les cas, traumatiser des
enfants est non seulement
contre-productif, mais de plus il ne
résout pas le fond du problème qui est
celui d'une intégration apaisée.
On est en droit de
s’interroger où est la conscience
intellectuelle française ? Où sont les
gardiens du Temple censés dire le droit
? Où est l’Unicef ? Où est Amnesty
international ? Pas la moindre petite
protestation de principe à une France
qui a largué son magister moral
Imaginons un instant un enfant juif de 8
ans arrêté et malmené par la police qui
l’interroge alors qu’il n’est pas encore
en situation de discerner l’importance
des mots, toutes les foudres du monde
s’abattrait sur les contrevenants ! En
ce soixante dizième anniversaire de la
Shoah où on se recueille à la mémoire de
ceux qui ont péri des mains de la
barbarie, nulle empathie pour des
enfants qui ont pourtant la même
humanité
1.
http://blogs.mediapart.fr/blog/rachid-barbouch/310115/un-enfant-de-9-ans-accuse-dapologie-au-terrorisme
2. http://blogs.mediapart.fr/blog/michel-j-cuny/290115/wikipedia-ostracise-francoise-petitdemange-
et-michel-j-cuny
Anne-Sophie Hojlo
http://tempsreel.nouvelobs.com/charlie-hebdo/20150129.
OBS1220/entendu-a-8-ans-pour-apologie-du-terrorisme-que-s-est-il-vraiment-passe.html
4.
http://rue89.nouvelobs.com/2015/01/20/apologie-dacte-terrorisme-jai-leve-main-jai-dit-ils-ont-eu-raison-257212
Article de
référence :
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur
_chitour/209922-tolerance-zero-des-la-creche.html
Publié avec l'aimable autorisation de
l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
Les dernières mises à jour
|