Les enjeux de la vie internationale
Meute et moutons
Charles Enderlin
© Charles
Enderlin
Mercredi 18 décembre 2013
Deux phénomènes issus du monde animal
agitent régulièrement, ma profession, le
journalisme. Le premier est la meute.
C’est la traque à l’aide de commentaires
accusatoires, harcèlement par
accumulation d’articles d’une
personne au centre de l’actualité
jusqu’à ce qu’elle tombe de son
piédestal, démissionne, craque. Et puis,
il y a l’effet mouton. Des rédacteurs,
des médias, des blogs se saisissent
d’une information issue d’une source
quelconque, puis, sans vérifier, la
rediffusent en y ajoutant leur
interprétation.
Nous venons d’en avoir de nouveaux
exemples.
L’inondation de
Gaza
Certains sites
palestiniens affirment qu’Israël a
ouvert un barrage pour inonder Gaza
d’eau usée. Problème : il n’y a, à l’est
de Gaza, ni rivière, ni fleuve, ni
ruisseau, ni digue, ni écluse. Seulement
des oueds qui se remplissent en fonction
de pluies, durant l’hiver. C’est le cas
de Wadi Gaza. La région ayant connu la
tempête la plus importante depuis un
siècle, de nombreux secteurs du Néguev
sont inondés. Personne, ni les
Israéliens, ni l’Autorité palestinienne
lorsqu’elle contrôlait Gaza avant la
prise du pouvoir par le Hamas n’ont
effectué de travaux en prévision d’une
éventuelle inondation catastrophique de
Wadi Gaza, ou d’autres oueds de la
région. Il n’y avait pas urgence. Cela
n’arrive que très rarement. En
l’occurrence, la tempête la plus forte
depuis plus d'un siècle, a inondé de
vastes secteurs du Néguev et toutes les
réserves d'eau de pluie ont débordé.
Pourtant des organisations pro
palestiniennes accusent Israël d’avoir
sciemment « ouvert des digues»
ou, comme l’écrit quelqu’un sur ma page
Facebook : « les forces d’occupation
ont mis en place plusieurs
barrages de sable à l'est de la bande de
Gaza pour collecter l'eau de pluie et en
profiter tout en l’empêchant d’accéder à
la Bande de Gaza, mais dans le cas de
montée des eaux, elles ouvrent les
barrages pour permettre à l’eau
d’accéder et inonder l'enclave plutôt
que d'envahir leurs terres agricoles
occupées » Le tout sans
apporter la moindre preuve. Sur mon
Twitter je me suis engagé à aller filmer
de tels barrages/écluses/digues s’ils
existent.
Électricité
L’autre problème concerne l’unique
centrale électrique de Gaza. L’Autorité
autonome de Mahmoud Abbas en finançait
depuis Ramallah, les livraisons de
fioul, mais, depuis novembre dernier a
réimposé une taxe sur chaque litre de
fioul vendu au gouvernement du Hamas,
soit une hausse de 4,2 shekels
à 5,7 shekels le litre. Le
Hamas a refusé de payer. Résultat
pendant près de 50 jours les habitants
de Gaza se sont retrouvés sans
électricité. En raison de la tempête, le
Qatar a accepté de financer l’achat de
fioul en Israël et l’électricité est
revenue, huit heures par jour. Bien
entendu, cela ne signifie pas que le
blocus imposé à Gaza ne soit pas
largement responsable de la crise
humanitaire que connaissent 1,7 million
de gazouis. Voici ce qu’en dit Amnesty
International :
http://www.amnesty.fr/Presse/Communiques-de-presse/Israelterritoires-occupes-La-crise-de-electricite-Gaza-exacerbe-les-atteintes-la-dignite-humaine-10236
(Les photos illustrant cet article
devaient me parvenir de Gaza, mais, leur
auteur, Talal Abou Rahmeh, est sans
électricité. CQFD)
Le sang éthiopien
Autre effet
mouton : l’affaire Pnina Tamano-Shata,
députée d’origine éthiopienne. A la
Knesset, le 12 novembre dernier, elle
voulait faire le don de son sang à une
équipe du Magen David Adom, l’équivalent
israélien de la Croix Rouge. C’est non.
Le MDA, selon les instructions du
Ministère de la santé ne prélève pas le
sang des Éthiopiens. Scandale ! Le
président du parlement expulse médecin
et paramédicaux. Shimon Pérès, le chef
de l'état en personne, appelle Pnina
Tamano-Shata pour lui exprimer son
soutien. L’histoire se retrouve très
vite sur les sites de quelques grands
médias. Racisme ? Le sang des noirs est
refusé en Israël ? Là encore, il faudra
attendre plus de 24 heures pour qu’une
version différente finisse par
apparaître. Cette députée éthiopienne
savait parfaitement que le MDA ne
l’accepterait pas. Principe de
précaution. Est exclu le sang
d’originaires d’Afrique en raison des
risques d’infection au Sida, de Grande
Bretagne et d’Irlande, où a sévi la
maladie de la vache folle, d’homosexuels
etc. Donc pas de racisme anti noir. Ce
n’est pas tout. Madame Tamano-Shata est
membre de la commission qui doit établir
de nouvelles règles du don du sang des
Éthiopiens et donc savait parfaitement
de quoi il retournait. Elle est membre
du parti Yesh Atid – « Il y a un
avenir »- auquel appartient également
Yaël German, la ministre de la santé …
En d’autres termes, il s’agissait d’une
opération de communication bien montée
de la part de la députée.
La contraception
Et là,
certains ont exhumé un autre faux
scandale. En Israël, fin 2011, un
programme télé avait révélé que
certaines femmes éthiopiennes recevaient
des injections de Depo-Provera, un
médicament progestif. (http://sante.canoe.ca/drug_info_details.asp?brand_name_id=755)
Elles ne savaient pas qu’il s’agissait
de contraception. Ses effets durent
trois mois. De là, à accuser l’état
d’Israël de mener une politique destinée
à réduire la natalité au sein de la
communauté juive éthiopienne, il n’y
avait qu’un pas, franchi allègrement par
certains sites web. Le ministère
de la santé a publié des instructions
très claires : Pas de Depo-Provera si la
patiente n’est pas informée de ses
effets. (http://www.haaretz.com/blogs/routine-emergencies/ethiopian-women-and-birth-control-when-a-scoop-becomes-a-smear.premium-1.500341)
En fait, ce sont là deux épiphénomènes
démontrant la catastrophe de
l’intégration ratée des 140 000 Juifs
éthiopiens en Israël. Du point de vue
socio-économique, ils représentent la
couche la plus pauvre au sein de la
société israélienne. (http://www.haaretz.com/business/ethiopian-immigrants-earning-30-40-less-than-arabs-1.416551)
Observants, ils sont régulièrement la
victime de racisme dans certaines écoles
religieuses, de nombreux rabbins
orthodoxes refusant de reconnaître leur
judaïté.
Qu’il
s’agisse de Gaza ou du Judaïsme
éthiopien, régulièrement, l’effet
« mouton » empêche d’aborder les vrais
problèmes. Lorsque l’occasion se
présentera, j’évoquerai le phénomène de
la « meute » journalistique.
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