Les enjeux
de la vie internationale
Netanyahu et la culture
Charles Enderlin
© Charles Enderlin
Lundi 16 février 2015
Une culture gauchiste ?
Benjamin Netanyahu lance une offensive
sur un nouveau front: la culture. Sur sa
page Facebook, en début de semaine, on
pouvait lire: « Les jurys du prix
Israël, dans certains domaines de la
culture, sont devenus au fil des ans le
terrain de jeu privé de l’extrême gauche
antisioniste et pro palestinienne qui
prêche le refus de servir à Tsahal. […]
Je ne permettrai pas à des positions
pro-palestiniennes de prendre le
contrôle de certains domaines du prix
Israël. Il est inadmissible qu’au nom de
la liberté académique soit rejeté le
véritable pluralisme. […] »
Quelques députés du Likoud sont allés
dans le même sens, par exemple, Miri
Regev : « Il est temps que cesse
l’hégémonie brutale des gens de gauche
et d’extrême gauche sur l’establishment
culturel d’Israël »
Le prix Israël ? C’est la distinction
attribuée une fois l’an à quelques
savants, intellectuels, écrivains,
cinéastes et à des citoyens ayant
apporté une contribution majeure au pays
et à sa culture. La cérémonie, un des
points d’orgue de la fête de
l’Indépendance, se déroule en présence
du président de l’état, du Premier
ministre, du président de la Knesset et
du président de la Cour suprême qui
remettent les prix à leurs
récipiendaires. Cette année la tempête a
éclaté lorsque Benjamin Netanyahu, en sa
qualité de ministre de l’éducation, a
décidé de limoger deux membres du jury
chargé d’attribuer le prix de
littérature, les professeurs Avner
Holtzman and Ariel Hirschfeld, ce
dernier en raison de son soutien aux
militaires qui refusent de servir en
Cisjordanie. On ne connaît pas les
raisons du rejet d’Holtzmann. Le Premier
ministre a également décidé d’interdire
la participation d'un autre "gauchiste",
le cinéaste Haïm Sharir au jury du prix
Israël pour le cinéma.
Les réactions n’ont pas tardé. Par
solidarité avec leurs collègues et, au
nom du refus de toute ingérence
politique 11 des 13 juges ont
démissionné, et les candidats à des prix
ont annoncé leurs retraits. Notamment
les écrivains, Samy Michael, Haïm Beer,
Elie Amir et David Grossman qui a
déclaré : « J’ai pris cette décision
en réaction à la campagne que mène le
premier ministre contre les principaux
savants et les créateurs en Israël.
C’est, de la part de Benjamin Netanyahu,
une opération cynique et destructrice
qui porte atteinte à la liberté de
pensée et à la créativité en Israël
». Même le professeur Ephraïm Hazan,
pourtant membre des instances du parti «
la maison juive », pro-colons a fait
savoir qu’il refusait de participer au
jury littéraire : « Les autres juges
sont mes amis et nous serions tombés
d’accord. Tous ceux qui ont eu le prix
jusqu’à présent le méritaient »
Netanyahu renonce
Le scandale prenait de l’ampleur et
plusieurs personnalités politiques – de
gauche – menaçaient de se tourner vers
la Haute cour de justice et Yehouda
Weinstein, le conseiller juridique du
gouvernement a décidé d’intervenir. Il a
écrit à Benjamin Netanyahu pour lui
demander de ne pas se mêler des prix
Israël durant la période électorale. Le
Premier ministre a obtempéré et annulé
le limogeage des trois membres des
jurys. Mais, le jeu n’est pas calmé pour
autant. Hirschfeld et Holtzman hésitent
à revenir qu’ils reviendront sous
certaines conditions. Mais la plupart
des récipiendaires éventuels, parmi
lesquels David Grossmann ont
définitivement retiré leurs candidatures
et il n’est pas certain que le prix
pourra être attribué cette année.
L’université antisioniste ?
Au delà de l’aspect électoraliste de
cette affaire, on trouve, chez Benjamin
Netanyahu, une vision extrêmement
négative du monde universitaire
israélien, de ces professeurs qui ont
ostracisé son père, Benzion. Grand
spécialiste de l’inquisition et des
marranes, il n’a jamais eu le prix
Israël. Selon son fils, cela lui
revenait de droit, et ce rejet provient
de l’hégémonie intellectuelle de la «
gauche défaitiste » telle qu’il la
définit dans son ouvrage « Une place au
soleil ». Elle serait issue de
l’idéologie pacifiste, développée dans
les années 20 et 30, notamment par
Yehouda Leib Magnes, rabbin et
philosophe, c’était un des fondateurs de
l’université hébraïque de Jérusalem.
Pour Benjamin Netanyahu : «
Malheureusement cette vision a encore de
nombreux partisans parmi nous. Ils
continuent d’ignorer la réalité
politique du monde arabe, à rejeter les
appels à la destruction d’Israël et
prônent une entente avec nos ennemis
jurés au lieu de les affronter »
Son proche conseiller Yoram Hazony, un
universitaire néoconservateur de premier
plan, explique, dans son livre "L’État
juif. Sionisme, post sionisme et destins
d’Israël" que « l’idée d’un État
juif fait l’objet d’attaques
systématiques de son propre
establishment culturel et intellectuel
». Il situe dans les années 20,
l’origine de ce qu’il appelle
l’antisionisme de l’université
israélienne. Les responsables en
seraient les intellectuels juifs
allemands, particulièrement le
philosophe Martin Buber, l’historien et
philosophe Gershom Scholem, Albert
Einstein Hanna Arendt et …Yehuda Magnes,
issu de "l’aristocratie juive allemande
de New York", partisans, avant
l’indépendance d’Israël, d’un état
binational judéo-arabe ou rejetant le
concept même d’un État juif. Si les
grands écrivains de langue hébraïque de
la première moitié du XXème siècle
trouvent grâce à ses yeux, Shmouel
Yossef Agnon, prix Nobel de littérature
en 1966, Haïm Nahman Bialik, Nathan
Alterman, Ouri Zvi Greenberg, etc., il
n’en n’est pas de même pour la plus
grande partie de la génération suivante.
Florilège: Amos Oz se pose, selon Hazony,
« comme l’avocat le plus acharné de
l’idée qu’il faudrait considérer les
objectifs du sionisme d’Herzl comme une
malédiction ». A.B Yehoshoua «
tente d’inculquer l’idée de l’État juif
cessera tout simplement d’exister
». David Grossmann « cherche
sérieusement à enseigner aux Israéliens
à reconnaître que c’est la faiblesse qui
rend vertueux. »
Côté université : les professeurs
Yeshayahou Leibowitz et Yaacov Talmon,
eux même influencés par Buber et
Scholem, auraient légué à toute une
génération d’intellectuels une
répugnance à «l‘égard de
l’aspiration sioniste à un pouvoir
national juif.»
Dans sa réponse au conseiller
juridique du gouvernement, Benjamin
Netanyahu, a annoncé qu’il allait nommer
une commission chargée d’établir les
critères de nomination des jurys du prix
Israël, après le scrutin, s’il est
réélu. L’avenir de la culture
israélienne est aussi un des enjeux de
cette élection.
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