Proche-Orient
Cobra et autres espions
Charles Enderlin
© Charles
Enderlin
Mardi 1er septembre 2015
Intitulé « Bogued »
(en français : Traitre) Le livre a
trainé plusieurs mois sur la table de la
commission ministérielle du
renseignement avant d’être approuvé.
Finalement la censure militaire en a
autorisé la publication. De fait, son
auteur est un ancien haut fonctionnaire
des services de sécurité israéliens dont
le nom est censuré. Il signe l’ouvrage
sous le nom d’emprunt : « Jonathan de
Shalit ». Ce formidable roman
d’espionnage raconte la chasse à une
taupe soviétique infiltrée au plus haut
niveau de l’establishment. L’histoire
commence avec la confession d’une
vieille dame malade à un curé en
Allemagne. Ancienne employée de la
Stasi, elle révèle qu’un traitre dont le
nom de code est « Cobra » livre les
secrets les plus importants d’Israël aux
services russes. A Jérusalem, le
président de l’état, confie à un ancien
patron du Mossad la tâche de découvrir
la taupe sans en informer qui que ce
soit au sein des divers services. Je ne
dévoilerai pas la suite de l’histoire.
Seulement qu’Éphraïm Halévy, lui même
ancien directeur du Mossad, a déclaré
qu’un tel scénario était parfaitement
crédible. On ne saura probablement
jamais pourquoi les autorités
israéliennes ont mis aussi longtemps à
autoriser le manuscrit ni ce qui en a
été censuré.
Peut être !
Pour ma part, la
lecture de « Bogued » m’a ramené à des
histoires d’espionnages rencontrées au
cours des recherches dans le cadre de
mes livres. Par exemple, au sujet d’une
importante personnalité politique
israélienne que j’ai fini par
soupçonner. Rien de concret. Mais des
liens circonstanciels bizarres.
Finalement, un jour dans les années 90,
rencontrant David Kimchi, ancien numéro
2 du Mossad, après l’avoir longuement
interviewé sur son rôle dans la première
guerre au Liban, je décide de poser la
question : « je crois que X a été ou est
une taupe soviétique ! » Je lui explique
les éléments dont je dispose tout en
ramassant mes affaires, prêt à sortir
s’il me met à la porte. Kimchi,
réfléchit longuement et me répond : « Tu
sais quoi ! Peut être ! » Pour en savoir
plus il faudra aller consulter les
archives du KGB si elles finissent par
être accessible.
Le micro dans le
fauteuil
J’ai publié
quelques anecdotes sur le travail des
services israéliens. Dans mon livre,
« Paix ou guerres », pages 620- 623. En
pleine campagne électorale, en mars
1992, les contacts secrets indirects
entre Yitzhak Rabin, le chef de
l’opposition travailliste et Mahmoud
Abbas, le N° 2 de l’OLP. Ancien ministre
de la défense, Rabin savait que le
dirigeant palestinien était
littéralement assit sur un micro du Shin
Beth israélien. Extrait:
« Fin mars, Saïd
Kna’an, responsable du Fatah à Naplouse,
est convoqué au Caire par Saïd Kamal,
son cousin qui lui fait rencontrer Abou
Mazen en compagnie de son cousin. Les
deux hommes lui annoncent que l’O.L.P. a
décidé d’établir un contact secret avec
l’entourage d’Yitzhak Rabin. Kna’an
retourne à Naplouse et appelle Éphraïm
Sneh, qu’il connaît personnellement. « Nous
devons nous rencontrer, dit-il.
J’ai des choses à vous dire. »
Rendez-vous est
pris deux jours plus tard à l’hôtel
Daniel à Herzliya. Sneh écoute et promet
une réponse un peu plus tard. Début
avril, il convoque Kna’an dans le même
hôtel : « Nous sommes prêts à établir
un dialogue avec vous. La condition
préalable est le secret absolu. Vos gens
à Tunis ne sont pas crédibles de ce
point de vue. A plusieurs reprises dans
le passé, ils ont laissé filtrer des
informations sur des contacts avec votre
organisation. Si cela devait arriver,
nous démentirons tout et ce sera la fin
de notre dialogue. Je vais vous lire un
texte. Vous prendrez des notes. Nous
n’échangerons aucun document :
1 – Veuillez
éviter toute expression de sympathie ou
de soutien au parti travailliste ou à
Meretz. N’exprimez aucun espoir
« qu’avec le parti travailliste, vous
pourrez négocier ».
2 – Faites
pression sur les députés [arabes
israéliens] Daraouché et Miari afin
qu’ils forment une liste commune, mais
ne les soutenez pas ouvertement. Cette
liste commune devrait conclure un accord
de transfert d’excédent des voix avec le
Rakah [le parti communiste]. Il ne faut
pas que des voix se perdent au Likoud.
Chaque voix arabe compte.
3 – Encouragez
les Arabes israéliens à voter. Surtout
pas en faveur d’un parti qui soutient
les implantations dans les territoires.
Attention ! Le Likoud et certains partis
de droite achètent des votes chez les
Bédouins. (…)
4 –
N’interrompez pas les négociations de
Washington et ne les présentez pas comme
un succès d’Yitzhak Shamir. Ne faites
pas de provocations à Washington, ne
soulevez pas maintenant la question de
Jérusalem ou celle du statut final. Si
vous parlez trop de Jérusalem et d’un
état palestinien, cela encouragerait le
Likoud qui aurait là une raison de ne
pas continuer les pourparlers. Soulevez
la question du gel des implantations
en échange de la fin du boycottage
arabe. Cela embarrasserait le Likoud. »
Sneh rappelle à son
interlocuteur qu’en 1988, un attentat, à
la veille du scrutin, avait fait perdre
au moins deux sièges au parti
travailliste. Shamir avait conservé le
poste de premier ministre. « Arafat
doit être au Caire dans quelques jours.
Transmettez-lui tout cela ainsi qu’à
Abou Mazen, mais faites attention, il ne
faut pas que les Égyptiens soient au
courant, ils le diront aux Américains et
il y aura des fuites… Ne parlez pas de
tout cela dans un bureau, mais dans un
lieu public, dans un jardin. Tout est
écouté… » Retraité, un ancien du
Shin Beth, me racontera qu’il entendait
même le bruit des intestins d’Abou Mazen.
Saïd Kamal, est le responsable
palestinien qui, avec Hani El Hassan,
proche d’Arafat, a mené de la
négociation secrètes avec le général (ret.)
Shlomo Gazit et Yossi Guinossar du Shin
Beth les représentants du gouvernement
israélien en 1985-1986.
Le mur d’Arafat
Les écoutes sont
omniprésentes dans l’histoire
israélo-arabe. Les palestiniens partent
du principe que tout ce qui se dit dans
la Moukata, le QG d’Abbas à Ramallah est
écouté par les Israéliens. Un
jour, dans les années 90, un contrôle a
permis de découvrir des micros
sophistiqués dans un mur du bureau de
Yasser Arafat. Les services israéliens
apprennent très vite que Jibril Rajoub,
le chef de la sécurité préventive en
Cisjordanie s’apprête à remettre
l’appareil à un représentant des
services français. Immédiatement, un
patron du Shin Beth appelle l’intéressé
et lui explique les raisons pour
lesquelles il a tout intérêt à le
restituer à ses propriétaires
israéliens. Ce qui a été fait.
Aujourd’hui les dirigeants palestiniens
mènent, parait-il, leurs discussions
importantes dans des pièces « sures » de
capitales arabes. Mais est-ce
suffisant ?
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