Opinion
Antisionisme = antisémitisme :
Jérôme Ferrari ridiculise Valls
CAPJPO
Photo:
D.R.
Mercredi 16 mars 2016
Voilà notre premier ministre habillé
pour le reste de l’hiver, le printemps
et le reste. Dans sa chronique publiée
par La Croix, Jérôme Ferrari ne le rate
pas !
"S’il est une réforme que Manuel
Valls est en train de mener avec succès,
c’est celle de la langue française. Il
est particulièrement injuste que nul
n’ait songé à l’en féliciter ; car,
grâce à lui, notre lexique sera bientôt
débarrassé des termes redondants qui
l’encombrent inutilement. Nous y
gagnerons certainement en clarté et,
surtout, en simplicité. Ainsi, après
nous avoir révélé que « comprendre » ou
« expliquer » signifiait tout bonnement,
et sans que personne ne s’en avise
jusqu’ici, « excuser », voilà qu’il nous
apprend qu’« antisémitisme » et
« antisionisme », dont on pouvait croire
naïvement qu’ils désignaient deux
réalités différentes, sont en fait
rigoureusement synonymes (1).
Lire : Antisionisme et antisémitisme
sont-ils synonymes ?
Sans préjuger des stupéfiantes
découvertes que le premier ministre ne
manquera pas de livrer à notre
admiration dans les prochaines semaines,
peut-être sur le sens du verbe
« gouverner », en voilà déjà deux,
considérables, qu’on peut d’ores et déjà
porter à son crédit et qui méritent à
coup sûr un commentaire.
Pour être franc, il est à mes yeux
tout à fait mystérieux qu’on puisse
sérieusement confondre « expliquer » et
« excuser », quoique cette confusion ne
cesse d’être faite et, qui plus est,
revendiquée depuis les attentats de
janvier 2015. Je crains qu’elle ne soit
pas une erreur qu’on pourrait corriger
(par exemple en consultant un
dictionnaire) mais un symptôme, celui du
règne hégémonique de l’émotion et qu’à
ce titre elle résiste à toute tentative
rationnelle de réfutation. Que le
premier ministre la reprenne à son
compte, en invalidant a priori tout
travail universitaire, pire encore, en
accusant implicitement les chercheurs en
sciences sociales de complaisance envers
les terroristes, cela, c’est une honte.
J’éclairerai peut-être une distinction
qui apparemment, malgré sa simplicité,
lui échappe, en précisant que, si sa
prise de position peut fort bien
s’expliquer par des motifs bassement
démagogiques, il n’y a là rien qui
puisse l’excuser. Comme rien ne peut
excuser que, au dîner du Crif, il ait
publiquement assimilé critique d’Israël
et antisémitisme.
Ce ne sont pas là de pures et simples
inepties. On pourrait effectivement
citer des articles dans lesquels les
causes économiques et sociales sont
présentées comme des excuses ; de même,
il n’est pas contestable qu’un certain
antisionisme dissimule un authentique
antisémitisme – sans qu’on puisse
aisément déterminer lequel est la
conséquence de l’autre. Mais il est
évidemment absurde d’en conclure que
tout sociologue abrite un djihadiste
assoiffé de sang, ou que tout critique
de l’admirable politique israélienne
actuelle est un admirateur de Faurisson.
Ce n’est pas seulement absurde sur le
plan logique : c’est une ignominie
morale doublée d’une faute politique.
L’existence de contradicteurs de bonne
foi est niée, le débat politique est
criminalisé, la complexité et la
diversité des opinions sont réduites à
une opposition binaire et radicale à
laquelle il devient impossible
d’échapper et l’espace du désaccord
raisonnable, vital en démocratie, se
transforme en champ de bataille.
J’ai enseigné pendant six ans dans
des pays arabes, devant des élèves pour
lesquels la politique d’Israël vis-à-vis
des Palestiniens apparaissait comme un
problème – notamment, ajouterai-je au
risque de passer pour un antisémite,
parce que c’est un problème, comme le
pensent également un certain nombre de
citoyens israéliens qui seront sûrement
reconnaissants à Manuel Valls de leur
révéler leur antisémitisme. Aurais-je dû
dire à ces jeunes gens qu’ils devaient
choisir entre le soutien inconditionnel
à Israël et l’antisémitisme ? Une telle
attitude n’aurait-elle pas été
évidemment contre-productive ? Et,
compte tenu de l’état de la société
française, est-ce vraiment le discours
qu’il faut tenir, a fortiori lorsqu’on
est premier ministre ?
Il est vrai que l’infaillibilité avec
laquelle monsieur Valls et son
gouvernement choisissent des mesures
contre-productives confine au pur génie.
Si l’alcool ne leur était pas interdit,
les djihadistes auraient sûrement sablé
le champagne. Je ne serais pas étonné
d’apprendre que Dieudonné l’a fait, une
fois de plus, après qu’on lui en a donné
si souvent l’occasion. Il faut bien
avoir du génie pour quelque chose.
Le plus frustrant est qu’on ne peut
même pas tenir rigueur à Manuel Valls de
ses initiatives car, en vérité, il n’a
rien initié du tout. Comme la presque
totalité du personnel politique, il se
contente d’accompagner servilement les
mouvements d’opinion et d’asséner, l’œil
noir et l’air viril, des lieux communs
d’une absolue platitude. Le conformisme
se fait transgressif ; la médiocrité,
décomplexée : une refonte complète du
dictionnaire des synonymes devient
décidément urgente.
La chronique de Jérôme Ferrari dans
La Croix, le 14 mars
(1) Le 7 mars, lors du dîner annuel
du Crif.
CAPJPO-EuroPalestine
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