Opinion
Les révolutions de
couleur sont-elles
si spontanées que ça ?
Capitaine Martin
Lundi 27 janvier 2014
Depuis plus de trois ans, les pays du
monde arabe ont vécu sous l’influence de
« révolutions » qui ont secoué les
fondements politiques d’un certain
nombre d’États, conduisant à un
changement et à la naissance de nouveaux
partis et à un changement de la vie
politique locale. Les véritables
bénéficiaires et instigateurs de ces
révolutions ont été au centre de
nombreuses interrogations.
Ces questions sont de nouveau sous les
feux de la rampe depuis la naissance et
le développement des « révolutions de
couleur » dans d’autres parties du
monde. On pense particulièrement aux
événements qui ont dernièrement marqué
l’Ukraine. Les analystes sont
particulièrement perplexes sur l’action
des hommes politiques européens et
étasuniens, l’opposition ukrainienne
appelant à des réactions extrêmement
virulentes contre le gouvernement
légalement élu du pays. La question ne
se limite pas seulement aux appels
lancés par les États-Unis et par
le sénateur John McCain pour faire
tomber le régime ukrainien actuel,
mais s’étend aussi au soutien financier
dont bénéficient les leaders de
l’opposition qui ont bien souvent un
point d’ancrage à l’ouest. Le cas de
l’ex-boxeur et candidat à la
présidentielle
Vitali Klitschko parle de lui-même :
il dispose d’un permis de séjour en
Allemagne et y paie ses impôts.
Dans ce contexte,
les conclusions tirées par les experts
du Centre français de recherche sur le
renseignement (CF2R) sont
particulièrement intéressantes : les
révolutions de couleur « spontanées »
pourraient être le résultat d’opérations
coordonnées. Selon ces experts, les
militants révolutionnaires d’Europe de
l’est mais également du monde arabe (en
particulier ceux du
Mouvement de la jeunesse du 6 avril
qui a contribué au renversement d’Hosni
Moubarak) et même d’Amérique du sud, ont
participé à des séminaires axés sur la
non-violence organisés en Serbie par
CANVAS (Centre for applied
nonviolent action and strategies).
Fondé en 2001, ce centre n’est qu’une
émanation du mouvement serbe
OTPOR! (résistance) qui a été un
acteur majeur dans la chute de Slobodan
Milosevic.
Son rôle discret dans les révolutions
arabes a soulevé nombre de questions.
Les experts du CF2R ont ainsi retracé
les activités des « conseillers » qui
ont contribué à la révolution orange en
Ukraine. Ils mirent à jour des liens
très étroits qui les unissaient avec l’organisation
biélorusse Zubr (bison), créée en
2001 dans le but de renverser le régime
du président Loukachenko. Bien
évidemment, de telles activités
nécessitent un financement substantiel.
Srđa Popović,
le directeur de CANVAS, affirme que
l’association ne reçoit que des
subventions privées. Les auteurs de
l’étude brossent cependant un tout autre
tableau. Selon des sources généralement
bien informées, deux organisations
étasuniennes contribueraient à son
financement : l’IRI (International
republican institute) et la
Freedom house.
L’IRI est une organisation politique
associée au Parti républicain. Fondée en
1983, elle travaille également avec
d’autres think tanks néolibéraux. Sa
source principale de financement est le
gouvernement fédéral des États-Unis. Sa
mission officielle est de « soutenir
la croissance des libertés économiques
et politiques, de la bonne gouvernance
et des droits humains autour du monde
par l’éducation des gens, des partis
politiques et des gouvernements sur les
valeurs et la pratique de la démocratie ».
Dans les faits, l’IRI est directement
impliquée dans le
coup d’État de 2004 à Haïti tout en
finançant des groupes d’opposition dans
le pays. L’organisation aurait également
tenu une place non négligeable dans la
déstabilisation du Honduras en 2009.
L’IRI n’est en réalité que le bras
masqué de la CIA.
Freedom house
a quant à elle été fondée en 1941. Cette
organisation non gouvernementale aide
officiellement au développement des
libertés dans le monde. Cette
organisation se déclare indépendante
bien qu’elle reçoive un financement du
gouvernement des États-Unis par
l’intermédiaire du National
endowment for democracy,
de l’USAID et du département d’État
américain. Environ 75 % de ses
ressources proviennent d’allocations
fédérales étasuniennes.
Freedom house
a eu pour président jusqu’en 2005… James
Woolsey, qui a été directeur de la CIA
de 1993 à 1995. Rien d’étonnant à ce que
la blogueuse égyptienne Israa Abdel
Fattah, cofondatrice du mouvement du 6
avril, ait fait partie d’un groupe
d’activistes invités par
Freedom house,
le tout financé par l’USAID (United
States agency for international
development).
La participation financière de l’IRI et
de Freedom house, tout comme
celle des forces spéciales qui utilisent
le paravent d’associations soi-disant
indépendantes, a contribué à développer
des « activités révolutionnaires » non
seulement en Égypte, mais aussi en
Tunisie, en Libye, en Syrie et dans
quantité d’autres pays du Proche-Orient.
Dans ces conditions, difficile de ne pas
voir là une action (voire une
manipulation) étasunienne, même si elle
n’est pas du seul fait de
l’administration Obama.
Quand on connaît un peu mieux les
activités et les moyens déployés par ces
organisations et l’utilisation qui en
est faite par les États-Unis, on a peine
à croire que la déstabilisation du
Proche-Orient, de l’Ukraine et demain
d’ailleurs puisse connaître un jour un
répit.
Capitaine Martin
Le
dossier Monde
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