France
France : l'avènement de la démocratie
pour rire
Bruno Guigue
© Bruno
Guigue
Mercredi 31 août 2016
La querelle du
burkini, c'est le saut qualitatif qui
précipite la politique française dans le
néant, le dernier accès d'auto-dérision
qui lui porte le coup de grâce. De
l'extrême-droite à l'extrême-gauche,
toute la classe politique a joué sa
partition dans cette cacophonie
estivale. Gauche obsédée du foulard,
revenants de la droite décomplexée, FN à
l'affût, quelle belle unanimité ! A
croire que le trouble identitaire est
leur gagne-pain, le péril musulman leur
fonds de commerce et la chasse au
morceau de tissu intempestif leur
priorité pour la France.
Crispation faciale
à l'appui, le premier ministre fulmine
contre le voile et fantasme sur les
seins de Marianne. Le président des
Républicains rêve d'une loi qui
proscrive définitivement le voile et le
burkini. Le vice-président du FN veut
tout interdire, voile, croix et kippa
confondus. Un candidat de la gauche de
la gauche voit dans un maillot de bain
une offensive salafiste. Leur mot
d'ordre commun ? On le devine. C'est
l'éradication, comme si supprimer les
signes extérieurs de la diversité
confessionnelle permettait de rendre la
société homogène, oblitérant
miraculeusement tout le reste.
On aimerait sourire
de cette surenchère, mais elle fait des
dégâts. En caricaturant le débat
d'idées, cette guerre picrocholine
frappe d'inanité le jeu démocratique.
Cette rixe estivale autour d'un maillot
de bain ne se contente pas, en effet, de
ridiculiser la classe politique. En
l'incitant à pourchasser des fantômes,
elle infantilise aussi le peuple, elle
l'aliène, elle détourne son regard vers
un théâtre d'ombres. La querelle du
burkini, c'est la chasse au pokémon mise
à la portée des adultes. C'est la
politique ravalée au rang d'un
divertissement compulsif pour impubères.
Car le problème de
toutes les parodies, c'est qu'elles
finissent par remplacer ce qu'elles
imitent. Parodie de démocratie, la
démocratie-burkini se substitue donc au
débat citoyen comme l'euro a remplacé le
franc, la commission de Bruxelles le
gouvernement et les multinationales le
parlement. On devrait se demander si le
TAFTA est bon pour l'environnement, si
la Loi-Travail est favorable à l'emploi
et si l'OTAN est utile à la paix, mais
rien n'y fait. On doit subir du matin au
soir des querelles vestimentaires.
Il paraît que ces
bouts de tissu ont une signification qui
les dépasse, qu'elle serait fâcheuse, et
qu'il faudrait y voir un affichage
militant. En admettant que ce soit vrai,
notre société est-elle si faible qu'elle
n'en supporte pas la vue au point de
vouloir tout faire disparaître ? A
supposer que la porteuse de burkini
veuille islamiser les crabes à coups
d'épuisette, notre acharnement à la
combattre n'est pas le signe de notre
force, mais celui de notre faiblesse.
Cette farce grotesque, en réalité, est
l'indice de notre régression politique.
Ce formidable appel d'air atteste notre
épuisement démocratique, il est la
manifestation pathétique de notre
impuissance à faire face aux véritables
enjeux.
Ce vide sidéral, au
fond, est l'expression d'une perte
gravissime, celle de la souveraineté. En
perdant le droit de faire ou de défaire
la loi au terme d'une délibération
collective, nous nous sommes livrés
pieds et poings liés aux imposteurs de
tous bords. Tant que les citoyens se
verront frustrés de leur citoyenneté,
ils feront un gibier idéal pour les
faiseurs de querelles byzantines. La
clownerie politicienne autour du maillot
de bain est aujourd'hui l'indice le plus
sûr de cette dépossession. Sa vacuité
absolue témoigne de la déchéance absolue
de la citoyenneté démocratique. Comme un
révélateur chimique, elle rend visible
l'effondrement de la souveraineté
populaire. Le burkini, c'est le
cache-sexe d'une démocratie pour rire,
la gaudriole dont l'oligarchie nous
amuse pendant qu'elle décide à notre
place et palpe ses dividendes.
Bruno Guigue
(31/08/2016)
Le sommaire de Bruno Guigue
Dossier politique française
Les dernières mises à jour
|