Monde
Le lobby, Trump et Hillary
Bruno Guigue
Jeudi 27 octobre 2016
Dans son édition du 27 octobre, le
quotidien israélien "Haaretz" révèle que
les cinq principaux donateurs de la
campagne d'Hillary Clinton sont juifs.
C'est le "top five donors". Je cite dans
le texte pour éviter les mauvais procès.
"They are Donald Sussman, a hedge fund
manager; J.B. Pritzker, a venture
capitalist, and his wife, M.K.; Haim
Saban, the Israeli-American
entertainment mogul, and his wife,
Cheryl; George Soros, another hedge
funder and a major backer of liberal
causes, and Daniel Abraham, a backer of
liberal pro-Israel causes and the
founder of SlimFast."
Bigre.
On a même les noms ! Comment est-ce
possible ? Juge suprême du vice et de la
vertu directement branché sur Yahvé, le
CRIF va-t-il porter plainte contre
"Haaretz" pour avoir osé colporter des
clichés antisémites ? Va-t-il accuser
Hillary Clinton de contribuer aux thèses
complotistes en prenant un malin plaisir
à solliciter les fonds provenant de la
communauté juive ? Que fait la police ?
Que fait NKM ? En tout cas, il sera
difficile d'accuser d'antisémitisme ceux
qui en parlent, puisque la presse
israélienne elle-même ne s'en prive pas.
Cette
bienveillance communautaire à l'égard de
la candidate démocrate, évidemment,
n'est pas le fruit du hasard. Depuis son
discours devant l'AIPAC, le 21 mars,
Hillary Clinton est littéralement
adoubée par un lobby pro-israélien (dont
on rappellera encore une fois qu'il a
une existence officielle) qui y voit la
meilleure avocate de ses idées et de ses
ambitions. Il faut dire que pour lui
faire plaisir la dite candidate a sorti
l'artillerie lourde, et pas seulement au
sens figuré. Elle a soigneusement
caressé son auditoire dans le sens du
poil, en lui tenant un langage qu'on
peut résumer en trois points.
Premièrement, non seulement Israël et
les USA appartiennent au même monde, le
monde merveilleux de la démocratie et de
la civilisation, mais ils en sont les
leaders naturels. C'est pourquoi leur
union (voulue par Dieu en personne,
a-t-elle omis de préciser) est
indéfectible. "Nous sommes deux nations
construites par des immigrants et des
exilés cherchant à vivre et à adorer
dans la liberté, des nations fondées sur
des principes d’égalité, de tolérance et
de pluralisme. Israël et l’Amérique sont
.. une lumière destinée à éclairer les
nations en raison de ces valeurs". (Avis
à ceux qui tâtonnent dans l'obscurité,
ce condominium fluorescent est la
solution à leur problème).
Deuxièmement, ce monde, bien que dirigé
par un tandem aussi lumineux, est
malheureusement engagé dans une lutte à
mort avec les forces du mal. Ces entités
diaboliques, on les connaît. Ce sont
l'Iran, le Hezbollah et la résistance
palestinienne. L'accord sur le nucléaire
iranien est un bon accord, dit Mme
Clinton, s'il empêche la République
islamique de se doter de l'arme
nucléaire. Mais si le moindre risque
existe, il faudra passer à l'offensive.
"Si les dirigeants de l’Iran violent
leur engagement de ne pas faire de
recherche, mettre au point ou acquérir
des armes nucléaires, les Etats-Unis
agiront pour le faire cesser, et nous le
ferons en utilisant la force si
nécessaire."
Troisièmement, et c'est essentiel,
Israël et l'Amérique doivent absolument
conserver leur suprématie militaire.
Mieux, il faut livrer de nouveaux
armements à nos amis israéliens qui
souffrent tant du terrorisme perpétré
par des fanatiques assoiffés de sang.
"Les Etats-Unis doivent fournir à Israël
la technologie de défense la plus
sophistiquée", ce qui inclut "les
défenses israéliennes par missiles avec
de nouveaux systèmes comme les Arrow 3
et les David’s Sling, deux générations
de missiles financées et mises au point
par Israël et les USA". Vous voulez de
la grosse artillerie, en voilà.
Camp
du bien, forces démoniaques, arsenal de
destruction massive. Tel est en
substance le message de la candidate. Le
triptyque salvateur. La sainte trinité.
Lorsqu'elle détaille l'arsenal destiné à
préserver Israël des barbares, Mme
Clinton adresse aussi un clin d'oeil au
complexe militaro-industriel. Dont acte.
Les magnats de l'armement et les
matamores en pré-retraite ne ménageront
pas non plus leur appui à cette
candidate au discours viril. Elle sera
donc soutenue par le lobby
pro-israélien, le lobby des marchands de
canon et, bien sûr, le lobby des
financiers de Wall Street. Hillary
Clinton cumule les avantages client.
C'est clair : elle est la candidate
organique de l'oligarchie prédatrice qui
dirige le pays.
Elle a
toutes les chances, du coup, de vérifier
à son profit la loi non écrite de
l'élection présidentielle. Cette loi dit
en effet que le candidat élu est celui
qui a dépensé le plus pour sa campagne
électorale. Comme Barack Obama en 2012,
Hillary Clinton va sans doute battre un
nouveau record, expédiant dans les
cordes un concurrent qui comptait
surtout sur sa fortune personnelle. Ce
handicap est d'autant plus important
qu'il était difficile, pour Donald Trump,
de faire jeu égal avec son adversaire du
côté des donateurs juifs. Flairant le
danger, il a alors tenté d'allumer des
contre-feux, quitte à faire de la
surenchère.
Invité
lui aussi à l'assemblée annuelle de
l'AIPAC, le 21 mars, le candidat
républicain a tout fait, visiblement,
pour faire oublier ses déclarations
antérieures. Il refusait de prendre
position sur la question palestinienne
tant qu’il ne serait pas à la
Maison-Blanche. Il hésitait à dire si
les États-Unis devaient reconnaître ou
non Jérusalem comme capitale d’Israël.
Il disait que l'Etat hébreu devait payer
l’aide militaire octroyée par les USA.
Désormais, c'est fini. Aux oubliettes.
En vingt minutes, il a dit à son
auditoire ce qu'il voulait entendre et
obtenu des salves d’applaudissements.
Debout. En "standing ovation".
Il a
commencé par dire qu’il était un
"soutien de longue date et ami réel
d’Israël". Avec lui à la présidence des
États-Unis, a-t-il assuré, Israël ne
serait plus traité "comme un citoyen de
seconde zone" ! Manifestement décidé à
faire mieux que Clinton, il a accusé
l’Iran d’être "le plus grand sponsor du
terrorisme mondial", d’établir en Syrie
un nouveau front dans le Golan contre
Israël, de fournir des armes
sophistiquées au Hezbollah libanais, et
de soutenir le Hamas et le Djihad
islamique en leur versant de l'argent en
rémunération des attaques terroristes.
Mais
ce discours complaisant n'a pas suffi.
Délaissé par les siens, Trump manque de
supporters parmi les donateurs juifs du
parti républicain. Ces bailleurs de
fonds à l’ancienne, sponsors
traditionnels du parti conservateur,
sont rebutés par la rhétorique d'un
candidat hostile au libre-échange et
allergique au "système". Ils préfèrent
se tourner vers une candidate qui n'a
jamais lésiné dans son soutien à Israël,
au complexe militaro-industriel et à
Wall Street. L'argent n'a pas d'odeur,
et l'important c'est le business. Pour
Donald Trump, du coup, la tâche est
rude.
C'est
la panique à bord. Il faut faire quelque
chose. A deux semaines du scrutin, le
candidat républicain abat sa dernière
carte. Elle lui permettra, espère-t-il,
de damer le pion à Hillary Clinton, de
la prendre à revers sur son propre
terrain. Le 24 octobre, après avoir
rencontré Benjamin Nétanyahou à New
York, il promet de reconnaître Jérusalem
comme "la capitale indivisible d'Israël"
et d'y installer l'ambassade américaine
s'il est élu à la présidence. Violation
flagrante du droit international,
fabuleux cadeau à l'Etat d'Israël, ce
fait accompli serait lourd de
conséquences. Mais difficile de faire
mieux pour séduire le lobby. Une
véritable corbeille de la mariée. Pour
quel résultat ? Réponse le 8 novembre.
Elle
est belle, l'élection présidentielle
américaine. Une course à l'échalote
entre deux candidats qui rivalisent
d'obséquiosité pour dire aux riches et
aux puissants ce qu'ils veulent
entendre. Habiles marionnettistes,
Nétanyahou et ses mandataires auront
manipulé jusqu'au bout les deux pantins
désarticulés qui se disputent un pouvoir
fantoche au paradis des lobbies. Le
lobby, Trump et Hillary, c'est un ménage
à trois, mais il finira à deux. En
attendant, cette joute électorale aura
au moins clarifié la question de savoir
si un candidat pouvait se soustraire à
cette mascarade. Visiblement non.
Bruno
Guigue (27/10/2016)
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