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Monde
Vingt thèses sur le “communisme”
Bruno Guigue
Mardi 24 octobre 2017
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Marx concevait le communisme comme
l’état futur - et terminal - des
sociétés humaines. Toute
exploitation de l’homme par l’homme
ayant disparu, la répartition des
ressources obéirait au principe :
“de chacun selon ses capacités, à
chacun selon ses besoins”. Lointain
horizon assigné à l’action
révolutionnaire, ce communisme idéal
n’existe nulle part. C’est une idée
régulatrice, une utopie qui a fourni
son étendard à la fraction la plus
résolue du mouvement ouvrier depuis
la seconde moitié du XIXème siècle.
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Selon la théorie, le prolétariat
était voué à s’emparer du pouvoir
“dans les pays capitalistes
avancés”. A un certain niveau de
développement, les forces
productives devaient entrer en
contradiction avec les rapports
sociaux capitalistes. En
s’exacerbant, cette contradiction
devait précipiter la révolution
prolétarienne. Liquidant les
vestiges du vieux monde, cette
révolution instaurerait alors le
socialisme, auquel succèderait le
communisme une fois atteint le stade
de “l’abondance”.
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En réalité, le mouvement communiste
a triomphé dans des “pays arriérés”
et non dans des “pays avancés”. En
1917, la révolution bolchevique a
porté au pouvoir des communistes
russes décidés à propager l’incendie
révolutionnaire. Lénine avait
compris que la guerre impérialiste
déchaînée en 1914 provoquerait une
révolution en Russie, “maillon
faible” de la chaîne des Etats
capitalistes. Mais il pensait aussi
que cette révolution serait
l’étincelle qui mettrait le feu aux
poudres du capitalisme “avancé”.
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L’échec de la révolution allemande
ayant dissipé cette illusion au
début des années 1920, la jeune
république des soviets fut condamnée
à se battre pour survivre. Assiégée
par les forces expéditionnaires de
14 pays, prise d’assaut par les
armées blanches décidées à restaurer
le tsarisme, elle parvint à les
vaincre au prix d’une militarisation
du parti et du pouvoir (1918-1922).
Le régime bolchevique emprunta
largement ses traits à ce
“communisme de guerre” qui devait
beaucoup moins à l’idéologie qu’aux
circonstances.
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A peine la paix revenue, le
communisme russe fut confronté à un
défi gigantesque. A sa fondation en
1922, l’URSS était un pays affamé et
dévasté par la guerre, et sa
reconstruction au forceps ne pouvait
attendre. Pour nourrir la population
et développer le pays, il fallait
mettre sur pieds une économie
viable. Au terme d’une lutte pour le
pouvoir qui vit triompher Staline,
Moscou fit son deuil de la
révolution mondiale et opta pour la
construction du “socialisme dans un
seul pays”.
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Sous Lénine le parti était encore un
parti révolutionnaire, mais sous
Staline il se transforma en un parti
bureaucratique et monolithique. Il
devint l’organe dirigeant de la
société, favorisant la promotion
sociale de larges couches issues de
la paysannerie tout en soumettant
l’ensemble du pays à un régime de
terreur qui culmina au milieu des
années 1930. Le parti bolchevique
n’était pas tendre avec les
opposants, mais la férocité de la
répression stalinienne n’eut aucun
précédent sous Lénine.
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Multiforme, la brutalité du régime
stalinien s’exerça contre une partie
de la paysannerie lors de la
collectivisation forcée de
l’agriculture, puis contre les
opposants ou supposés tels au sein
du parti, enfin contre les officiers
de l’Armée rouge (1936-1938).
Ajoutées aux cruautés du “goulag”,
ces purges sanglantes ont
durablement entaché le mot de
“communisme”. Brouillant la mémoire
historique, la terreur stalinienne a
favorisé une confusion entre
communisme et stalinisme dont
l’idéologie dominante a tiré profit
pour disqualifier l’idée communiste
elle-même.
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La situation était d’autant plus
paradoxale que le régime stalinien
accomplissait au même moment une
industrialisation du pays sans
laquelle il n’aurait pas encaissé le
choc de l’invasion hitlérienne. Les
chars T34 fabriqués par l’industrie
soviétique repoussèrent Guderian aux
portes de Moscou en décembre 1941.
Sous l’autorité de Staline, l’Armée
rouge infligea à la Wehrmacht 90%
des pertes allemandes de la Seconde
guerre mondiale. Que cela plaise ou
non, c’est l’URSS qui élimina le
nazisme au prix de 25 millions de
morts et qui expédia ses plans de
domination raciale dans les
poubelles de l’histoire.
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Mais un autre front était ouvert par
le communisme. Après le coup d’envoi
de 1917, l’offensive principale du
prolétariat devait se dérouler à
l’Ouest. L’agonie de la révolution
allemande ayant dissipé cette
illusion, Lénine en modifia l’axe
géographique et prophétisa son
irruption dans les pays du Sud. A
peine créée, l’Internationale
communiste appela à la révolte les
peuples colonisés. Le bolchevisme
donna son élan à la lutte
anticoloniale et le “congrès des
peuples de l’Orient” (1919) inaugura
un processus de libération qui est
l’événement majeur du XXème siècle.
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Après avoir transformé le plus grand
pays de la planète (la Russie), le
communisme triompha dans le pays le
plus peuplé (la Chine). Mettant fin
à un siècle de chaos, de famines et
de pillage colonial, Mao Ze Dong
unifia le pays et restaura la
souveraineté chinoise. Pour sortir
du sous-développement, la Chine
communiste consentit des efforts
colossaux. Au prix de multiples
contradictions et de nombreuses
erreurs, le maoïsme équipa le pays,
le dota d’une industrie lourde et
l’éleva au rang de puissance
nucléaire.
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Ajouté aux “crimes” du stalinisme,
le coût humain de la révolution
chinoise donna lieu à une lecture
anhistorique du communisme,
considéré hâtivement par certains
analystes comme le fruit amer d’un
délire d’intellectuels. Réduisant
l’histoire à un théâtre d’ombres
idéologiques, cette lecture
partisane passe sous silence les
contradictions de l’histoire réelle.
Refusant toute contextualisation,
c’est une interprétation du
communisme qui en occulte la réalité
historique : la réponse des masses
révolutionnaires à la crise
paroxystique de sociétés arriérées.
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Dans la même veine, le décompte des
“victimes du communisme” se prête à
une inflation grotesque. On empile
sans nuance les victimes de la
guerre civile russe, de la guerre
civile chinoise, de la
collectivisation forcée, du goulag,
du “grand bond en avant” et de la
“révolution culturelle”, et on leur
applique un coefficient
multiplicateur. Nier la réalité des
violences commises au nom du
“communisme” est absurde, refuser
d’en tirer les leçons est idiot,
mais ces compilations de chiffres
qui l’identifient à une entreprise
criminelle ne valent pas mieux :
elles interdisent toute
compréhension historique.
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Cette supercherie occulte évidemment
la contribution du capitalisme aux
horreurs du siècle. Elle
s’affranchit d’une série de faits
massifs : les massacres coloniaux,
les guerres impérialistes et la
paupérisation de populations
entières par le capitalisme sont
directement responsables de dizaines
de millions de morts. Les massacres
perpétrés en 1965 par la dictature
militaire indonésienne avec l’aide
de la CIA, par exemple, ont fait
autant de victimes que la terreur
stalinienne (1934-38).
Manifestement, les deux événements
ne sont pas traités de la même façon
dans nos manuels d’histoire.
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Les critères d'appréciation que l'on
applique aux crimes commis au nom du
communisme deviendraient-ils sans
objet lorsqu'on veut les appliquer
aux crimes capitalistes ? Des
atrocités commises par les
démocraties occidentales, pourquoi
ne déduit-on pas le caractère
criminogène du libéralisme ? La
violence du siècle est partagée,
mais à tout prendre, le communisme a
fait beaucoup moins de victimes que
le capitalisme et l’impérialisme,
dont on chante pourtant les louanges
en Occident.
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Le communisme a inspiré des luttes
de classes qui ont contribué à
forger la physionomie des sociétés
capitalistes développées. Si les
Français bénéficient de la sécurité
sociale, il le doivent à un ministre
communiste, Ambroise Croizat, qui
fut une figure de la Résistance
avant de devenir ministre du général
de Gaulle en 1944. Les avancées
sociales du monde développé ne sont
pas le fruit de la générosité
patronale, mais des conquêtes
arrachées de haute lutte, et les
communistes y ont joué un rôle
majeur.
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Pour les communistes, le droit de
survivre après la naissance est le
premier des droits de l’homme. C’est
pourquoi à Cuba le taux de mortalité
infantile qui était de 79 pour 1000
avant la révolution est tombé
aujourd’hui à 4,3 pour 1000. Chaque
année, le communisme cubain sauve 74
enfants sur 1000. Ce n’est pas un
hasard : malgré les effets
désastreux du blocus impérialiste,
Cuba a obtenu le Prix de l’OMS pour
son système de santé, et son système
éducatif est le plus démocratique
des pays d’Amérique latine.
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Au sein de l’Union indienne, l’Etat
fédéré ayant de loin l’indice de
développement le plus élevé (IDH)
est le Kérala. Cet Etat de 33
millions d’habitants est dirigé par
les communistes et leurs alliés
depuis les années 1950. Les femmes y
jouent un rôle social et politique
de premier plan, et le niveau de
formation y est très supérieur à la
moyenne indienne. A l’évidence, les
réussites du communisme dans les
rares pays en développement qui ont
su résister aux vents dominants sont
riches d’enseignement.
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Le communisme du XXème siècle est
souvent qualifié de “totalitaire”.
Peut-être pertinent pour désigner le
stalinisme durant la grande terreur
(1934-38), ce terme n’a aucun sens
pour qualifier le régime soviétique
de 1917 à 1991. Lors de son
effondrement, les prisons étaient
vides. Si l’URSS était ce monstre
totalitaire décrit en Occident,
comment a-t-elle pu s’évanouir sans
coup férir ? La dissolution de
l’URSS eut lieu quasiment sans
effusion de sang, et c’est l’élite
dirigeante elle-même qui a sifflé la
fin de la partie.
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En Chine, le maoïsme a restauré la
souveraineté nationale et créé les
conditions du développement des
forces productives de 1950 à 1975.
Les réformes libérales de Deng Xiao
Ping engagées en 1978 ont favorisé
une injection massive de capital
marchand qui a généré des taux de
croissance faramineux. Mais la Chine
n’est pas subitement devenue
capitaliste après avoir été
communiste. Elle réalise plutôt une
sorte de synthèse dialectique, qui a
sorti 700 millions de Chinois de la
pauvreté en quelques années.
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Au terme d’un siècle d’existence, le
“communisme” paraît à des
années-lumière de la théorie. Il n’a
aboli ni la division interne de la
société, ni le poids de la
contrainte étatique. Mais il a
conjuré les affres du
sous-développement, vaincu la
malnutrition, éradiqué
l’analphabétisme, élevé le niveau
d’éducation et libéré la femme du
patriarcat. Il vaut mieux naître en
Chine qu’en Inde : le taux de
mortalité infantile y est quatre
fois plus faible. Non, le
“communisme” n’était pas l’avènement
d’une société sans classes. C’était
surtout une voie d’accès au
développement pour des pays que leur
retard condamnait à l’alternative
suivante : le rattrapage ou la
dépendance.
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