Analyse
La cause ouïghoure, coqueluche de
l’Occident
Bruno Guigue
Jeudi 21 mars 2019
Reprise en boucle
par les médias occidentaux, l’accusation
portée contre la Chine s’est répandue
comme une traînée de poudre : dans sa
province stratégique du Xinjiang, Pékin
aurait « emprisonné un million de
Ouïghours dans des camps d’internement
et contraint deux millions d’entre eux à
suivre des cours de rééducation ». Les
Ouïghours sont l’une des 54 nationalités
minoritaires reconnues par la
Constitution de la République populaire
de Chine. Située à l’extrémité
occidentale de la Chine, la Région
autonome ouïghoure du Xinjiang a une
population composite de 24 millions
d’habitants, dont 46% de Ouïghours et
39% de Han.
Si les allégations
de la presse occidentale sont exactes,
la population ouïghoure, qui est estimée
à 10 millions de personnes, aurait donc
subi un monstrueux coup de filet ! Pour
interner un million de personnes, en
effet, il faudrait capturer pratiquement
la moitié de la population adulte
masculine de cette malheureuse ethnie.
Curieusement, aucun témoignage ne
mentionne cette disparition massive dans
les rues d’Urumqi, de Kashgar et des
autres cités de la région autonome.
Outre cette
invraisemblance factuelle, le procès
fait à Pékin souffre aussi de la
partialité et de l’unilatéralité des
sources d’information mentionnées.
Croire sur parole le discours officiel
est complètement idiot, mais tomber dans
l’excès inverse en épousant aveuglément
le discours oppositionnel ne vaut guère
mieux. Or la narration médiatique
relative à cette répression massive
s’appuie sur un rapport rédigé par une
organisation composée d’opposants au
gouvernement chinois et financée par le
gouvernement des Etats-Unis.1
Cette organisation
qui a pignon sur rue à Washington, le «
réseau des défenseurs chinois des droits
de l’homme » (CHRD en anglais), est
présidée par une fervente admiratrice du
dissident chinois nobélisé Liu Xiaobo.
Condamné à 11 ans de prison en 2009,
puis décédé d’un cancer en 2017 peu
après sa libération, ce dernier
approuvait avec enthousiasme les
interventions militaires US et appelait
à la colonisation de son pays par les
puissances occidentales afin de le «
civiliser ». C’est ce réseau d’opposants
en exil aux USA qui orchestre la
campagne médiatique contre Pékin en
présentant sa politique au Xinjiang
comme une entreprise d’asservissement
totalitaire.
Comme par hasard,
l’une des principales sources citées
dans le « rapport accablant » du CHRD
n’est autre que « Radio Free Asia », une
station de radio gérée par le «
Broadcasting Board of Governors »,
agence fédérale supervisée par le
Département d’État et destinée à
promouvoir les objectifs de la politique
étrangère des Etats-Unis. Une autre
source importante est le Congrès mondial
des Ouïghours. Organisation séparatiste
créée en 2004, elle est considérée comme
terroriste par les autorités chinoises
qui l’accusent d’être à l’origine des
sanglantes émeutes d’Urumqi qui, en
2009, donnèrent le signal d’une
déstabilisation de toute la région.
Installée aux USA, sa présidente avait
obtenu le soutien officiel de George W.
Bush en 2007.
Naturellement,
cette organisation est financée par le «
National Endowment of democracy », une
émanation du Congrès des Etats-Unis qui
constitue la cheville ouvrière des
politiques de « changement de régime »
et sur laquelle plane le soupçon d’une
proximité douteuse avec la CIA. Comme le
notent Ben Norton et Ajit Singh dans une
étude récente, « la dépendance quasi
totale à l’égard de sources liées à
Washington est caractéristique des
reportages occidentaux sur les musulmans
ouïghours en Chine, comme sur ce pays en
général, et ils présentent régulièrement
des allégations sensationnelles ».2
En publiant un «
Livre Blanc sur la lutte contre le
terrorisme et l’extrémisme et la
protection des droits humains au
Xinjiang », le 18 mars 2019, le
gouvernement chinois a répondu à ces
allégations.3
Peu commenté en Occident, le terrorisme
djihadiste qui a frappé durement la
Chine dans les années 2009-2014 a créé
dans ce pays un véritable traumatisme.
Depuis le carnage qui fit 197 morts à
Urumqi en mai 2009, les attentats commis
par les séparatistes se sont multipliés
: Kashgar en mai 2011 (15 morts), Hotan
en juillet 2011 (4 morts), Pékin (sur la
place Tiananmen) en octobre 2013 (5
morts), Kunming en mars 2014 (31 morts),
puis à nouveau Urumqi en avril (3 morts)
et en mai 2014 (39 morts). Encore cette
énumération ne mentionne-t-elle que les
attentats les plus sanglants perpétrés
sur le sol chinois.
Confrontées à un
phénomène semblable à la terreur
importée en Syrie, les autorités
chinoises ont réagi sans mollir. Dans le
« Livre blanc » précité, Pékin affirme
que, depuis 2014, 2 955 terroristes ont
été arrêtés, 2 052 explosifs saisis et
30 645 personnes sanctionnées pour 4 858
activités religieuses illégales. Le
document indique aussi que 345 229
copies de textes religieux illégaux ont
été confisquées. Contrairement à ce
qu’affirme la presse occidentale, il ne
s’agit pas du Coran, mais d’une
littérature wahabite takfiriste qui
transpire la haine à l’égard des
musulmans n’appartenant pas à cette
obédience sectaire. Dans un pays où le
pouvoir politique est jugé sur sa
capacité à garantir la stabilité, il va
de soi que toute tentative de
déstabilisation – a fortiori par le
terrorisme aveugle – est combattue sans
pitié.
On peut juger cette
politique particulièrement répressive.
Elle l’est, et les autorités chinoises
ne s’en cachent pas. Un cap a sans doute
été franchi lorsque la terreur s’est
répandue hors de la province du
Xinjiang. La perspective d’un
embrasement général du pays a fait
planer le spectre d’un scénario à la
syrienne. Cette crainte était d’autant
plus justifiée que la principale
organisation séparatiste ouïghoure, le
parti islamique du Turkestan, sévit en
Chine comme en Syrie, où les Ouïghours
(qui seraient encore au nombre de 15
000, familles incluses) sont
particulièrement appréciés au sein de la
mouvance djihadiste.4
Mais les défenseurs de cette noble cause
oublient généralement de mentionner que
cette organisation – qu’ils considèrent
sans doute comme une association
philanthropique - est la branche locale
d’Al-Qaida.
Frappant à
l’aveugle, ses attentats ont fait des
centaines de morts. Devant cette vague
de violence, que devait faire le
gouvernement chinois ? Contrairement aux
Etats occidentaux, la Chine n’expédie
pas ses extrémistes chez les autres.
Elle combat vraiment le terrorisme, elle
ne fait pas semblant. La surveillance
est généralisée, la répression sévère,
la prévention systématique. La presse
occidentale fustige les camps de
rééducation chinois, mais elle observe
un mutisme complice lorsque la CIA offre
des camps d’entraînement aux
terroristes. En Chine, la répression des
activités extrémistes est massivement
approuvée par la population, et cette
politique a eu pour résultat de faire
cesser la violence armée depuis
plusieurs années.
Mais les
adversaires irréductibles du régime
chinois font feu de tout bois : ils vont
désormais jusqu’à incriminer son
hostilité présumée à l’égard de l’islam.
Or cette accusation repose sur du vent.
La presse occidentale a cité des
internautes qui auraient stigmatisé la
religion musulmane et dénoncé la
pratique du « halal ». Dans un pays où
300 millions de personnes tiennent un
blog sur Internet et où la liberté de
parole est beaucoup plus grande qu’on ne
croit, des propos de toute nature sont
tenus. Malheureusement, il y a des
islamophobes en Chine comme ailleurs.
Mais contrairement aux affirmations de
la presse occidentale, le gouvernement
chinois, de son côté, n’a jamais lancé
de campagne contre la religion
musulmane.
Car l’islam fait
partie des cinq religions officiellement
reconnues par la République populaire de
Chine au côté du taoïsme, du bouddhisme,
du catholicisme et du protestantisme.
Les mosquées sont innombrables (35 000),
et elles constituent parfois des joyaux
du patrimoine national attestant
l’ancienneté de la présence musulmane.
Aucune discrimination légale ne frappe
les musulmans, qui sont libres de
pratiquer leur religion dans le respect
des lois. Comme les Ouïghours, les
musulmans Hui disposent également d’une
région autonome, le Ningxia. Les femmes
Hui portent souvent le hijab, et rien ne
l’interdit. On trouve des restaurants
halal à peu près partout, notamment dans
les gares et les aéroports. A
l’intérieur de la Chine, l’islam fait
partie du paysage. A l’extérieur de ses
frontières, la RPC coopère avec des
dizaines de pays musulmans dans le cadre
de la Nouvelle Route de la Soie.
Ceux qui
soutiennent les séparatistes ouïghours
et accusent Pékin de persécuter les
musulmans commettent une triple erreur.
Ils calomnient un pays qui n’a aucun
contentieux avec le monde musulman et
dont la politique a été saluée par
l’Organisation de la Conférence
islamique. Ils prennent parti pour des
extrémistes affiliés à une organisation
criminelle (Al-Qaida) dont la majorité
des victimes sont de confession
musulmane. Enfin, ils croient défendre
les musulmans alors qu’ils servent les
intérêts de Washington, qui est leur
pire ennemi. Le problème du Xinjiang, ce
n’est pas l’islam et sa prétendue
persécution par les autorités chinoises.
L’origine des troubles qui agitent cette
partie du territoire chinois n’est pas
religieuse, mais géopolitique : c’est
l’instrumentalisation du religieux par
des organisations sectaires qui doivent
l’essentiel de leur nocivité à des
complicités étrangères.
Le problème du
Xinjiang n’est pas davantage celui de la
nation ouïghoure, intégrée dans la
République populaire de Chine depuis sa
fondation en 1949. Le Xinjiang faisait
déjà partie de l’empire des Qing
(1644-1912) et la présence chinoise y
remonte à la dynastie Tang, il y a 1300
ans. Qu’il y ait des difficultés de
cohabitation entre les uns et les autres
n’est guère étonnant, s’agissant d’un
problème auquel n’échappe aucun pays au
monde. L’accroissement du peuplement han
a sans doute nourri un sentiment de
frustration chez certains Ouïghours.
Mais cette situation paraît
difficilement réversible. Le brassage
multiséculaire des populations et la
fixation progressive des frontières ont
uni une multitude de nationalités au
sein de la République populaire de
Chine. Elle a hérité de son prédécesseur
impérial sino-mandchou l’essentiel de
son assise territoriale. Il se trouve
que les Ouïghours en font partie, et cet
héritage historique ne saurait être
balayé d’un trait de plume.
Les détracteurs de
la Chine affirment que les Han (90% de
la population) sont dominateurs. Mais
s’ils avaient voulu dominer les
nationalités minoritaires, Pékin ne les
aurait pas exemptées de la politique de
l’enfant unique infligée à l’ethnie han
de 1978 à 2015. Ce traitement de faveur
a stimulé l’essor démographique des
minorités, et notamment des Ouïghours.
Utiliser le langage servant à décoder
les pratiques coloniales pour expliquer
la situation des nationalités en Chine
n’a aucun sens. Depuis Mao, aucune
discrimination ne frappe les minorités,
bien au contraire. Malgré son
éloignement et son aridité, le Xinjiang
se développe au bénéfice d’une
population multi-ethnique. Encouragé par
des opposants inféodés à l’étranger et
des droits-de-l’hommistes sans cervelle,
le séparatisme ouïghour est une folie
que vient redoubler une autre folie :
celle du djihadisme planétaire parrainé
par Washington depuis quarante ans.
De même que le
gouvernement des Etats-Unis a poussé les
feux du djihad contre l’Union soviétique
en Afghanistan, puis armé ses « proxys »
du Moyen-Orient contre la Syrie, il
instrumentalise aujourd’hui la cause
ouïghoure pour déstabiliser la Chine sur
son flanc occidental. Ce n’est pas un
hasard si le Département d’État a
annoncé en septembre 2018 qu’il étudiait
la possibilité de sanctions contre la
Chine pour sa politique au Xinjiang.
Comme d’habitude, le discours
humanitaire des chancelleries
occidentales et de leurs ONG satellisées
est la face émergée de l’action
clandestine visant à organiser la
subversion par la terreur. Loi du genre,
les pays visés sont ceux dont
l’indépendance et le dynamisme
constituent une menace systémique pour
l’hégémonie occidentale.
La propagande
djihadiste ouïghoure, aujourd’hui plus
que jamais, cible la République
populaire de Chine. Pour ses
prédicateurs, la « nation du Turkestan »
(c’est sous ce nom qu’ils désignent la
majeure partie de l’Asie centrale
turcophone) subit une oppression
insupportable sur son versant oriental
(Chine) comme sur son versant occidental
(Russie). Lançant un appel au boycott de
la Chine, ils fustigent les sévices
historiques qui auraient été infligés
par les Chinois aux Ouïghours,
mentionnant des choses aussi absurdes
que « le viol des musulmanes » ou «
l’obligation de manger du porc ».
Désenchanté par la tournure des
événements au Proche-Orient, poussé par
les services de renseignements turcs, le
mouvement djihadiste du Turkestan a
réorienté son combat : désormais, il
entend frapper à nouveau l’ennemi proche
(la Chine) plutôt que l’ennemi lointain
(la Syrie).5
Il serait naïf de
croire que la coïncidence entre cette
propagande djihadiste, la fébrilité des
opposants chinois et la stigmatisation
de la Chine par les médias occidentaux
est fortuite. Si l’on fait pleurer dans
les chaumières sur le peuple ouïghour
opprimé, ce n’est pas pour rien. Le
moment est bien choisi. Alliée de la
Russie, la Chine a fourni une aide
précieuse à la Syrie dans sa lutte
contre les « proxys » de l’Occident.
Marginalisant les USA, elle participe
activement à la reconstruction du pays.
En Amérique du sud, elle soutient le
Venezuela en lui achetant son pétrole,
mettant en échec l’embargo occidental.
La guerre commerciale avec Pékin est au
mieux un jeu à somme nulle, et
Washington en perçoit les limites. La
réalité, c’est que la Chine est la
puissance montante, les USA la puissance
déclinante. Lorsque les deux courbes se
croisent, tout est bon, du point de vue
des perdants, pour tenter d’enrayer le
cours des choses.
1 https://tbinternet.ohchr.org/Treaties/CERD/Shared%20Documents/CHN/INT_CERD_NGO_CHN_31915_E.pdf
2 https://www.legrandsoir.info/non-l-onu-n-a-pas-accuse-la-chine-de-detenir-des-musulmans-ouighours-dans-des-camps-the-grayzone-project.html
3 http://www.ecns.cn/news/politics/2019-03-18/detail-ifzfmzhu2192664.shtml
4 https://asialyst.com/fr/2019/02/08/remi-castets-syirie-ouighours-respectes-jihadistes-chine-xinjiang/
5 https://www.madaniya.info/2018/12/03/ouighour-le-parti-islamiste-du-turkestan-en-route-vers-la-mondialisation-de-son-combat-avec-un-ciblage-prioritaire-la-chine-et-les-bouddhistes
Publié le 23 mars 2019
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