Politique
SARKOZEXIT (Requiem pour un fossoyeur)
Bruno Guigue
Mardi 22 novembre 2016
Abandonné au milieu du gué par son
propre électorat, Nicolas Sarkozy quitte
la scène. Comme ses prédécesseurs, celui
qui fut président de la République de
2007 à 2012 a exercé la plénitude de ses
attributions en matière internationale
conformément à la pratique
constitutionnelle du "domaine réservé".
Mais que retiendra l'histoire de ce
passage aux affaires ? On peut répondre
sans excès de sévérité qu'il en restera
peu de chose.
L'inflexion qu'il donna à la politique
extérieure, en effet, se résume à un
alignement inédit de la France sur les
USA. En confiant les forces françaises
au commandement intégré de l'OTAN, en
mars 2009, il accomplit un spectaculaire
bond en arrière ! Avec lui, la France
rentra au bercail atlantiste que le
général de Gaulle lui avait fait quitter
en 1966. Comme si l’indépendance
gaullienne était une simple parenthèse,
ce président qui se disait gaulliste
jeta aux orties un précieux héritage.
Sous
sa présidence, la France fut sommée
d’entonner un refrain éculé : ces
Etats-Unis qui sont nos sauveurs d’hier,
comment pourrions-nous les décevoir ?
Entre une hypothétique déception
américaine et celle, inévitable, des
peuples du Sud, le tandem
Sarkozy-Kouchner, à l'époque, a fait son
choix sans hésiter. Il a scellé, jusque
dans les réunions d’état-major, le
mariage contre-nature avec une
hyperpuissance erratique dont la lubie
néo-conservatrice, au même moment,
s’effondrait avec fracas.
Ce
reniement, Nicolas Sarkozy l'a
pleinement assumé. Comme son successeur
François Hollande, il a occulté la
signification de la décision prise par
le général de Gaulle en 1966. Le sort du
monde, alors, était suspendu à
l’affrontement entre les blocs,
l’Amérique engagée au Vietnam, le Tiers
Monde en effervescence. En sortant la
France du carcan atlantique, de Gaulle
voulait conjurer l'affrontement des deux
camps et tendre la main aux peuples du
Sud. Il s'agissait pour la France
d'affirmer sa souveraineté, de faire
entendre une voix indépendante.
C'est
pourquoi le général de Gaulle reconnut
la Chine populaire, dénonça
l’intervention américaine en Asie du
Sud-Est (discours de Phnom Penh) et
amorça la détente avec l’URSS. Sortir de
l’Alliance atlantique ? De Gaulle n’y a
jamais songé. Mais en soustrayant les
forces françaises au commandement
américain, il donnait sa crédibilité à
une politique étrangère indépendante. Il
confortait son plaidoyer pour un monde
multipolaire. La France retrouvait son
éclat parce qu'elle avait quelque chose
à dire au reste du monde.
Sous
Nicolas Sarkozy, le retour d'une France
repentante à la maison-mère eut lieu au
pire moment. A peine élu, Barack Obama
entendait sortir son pays du guêpier
irakien. Mais il voulait aussi
poursuivre la guerre en Afghanistan pour
y traquer Ben Laden. Cette incohérence
stratégique aurait dû inciter à la
prudence, mais l'exécutif français n'en
avait cure. Se ralliant à la bannière
étoilée, il dépêcha sur le terrain de
nouvelles troupes et les confia aux bons
soins des généraux américains. Bras
séculier d’un Occident vassalisé par
Washington, l'OTAN s'embourba en
Afghanistan comme les USA en Irak.
Mais
le pire était à venir. Au printemps
2011, l'intervention militaire contre la
Libye illustra jusqu'à la caricature la
dérive d’un appareil militaire inféodé
aux calculs politiciens des dirigeants
français, britanniques et américains. Ce
pays qui connaissait le PIB par tête le
plus élevé d'Afrique fut dévasté, son
président lynché et 30 000 personnes
massacrées pour satisfaire les appétits
pétroliers du camp occidental. Conseillé
par un pseudo-philosophe bénéficiant
d'un accès illimité aux médias, Nicolas
Sarkozy fit figure de chef d'orchestre
de ce "regime change" déguisé en
opération humanitaire. Triste gloire.
Cette supercherie tourna au désastre, et
la région sahélienne continue d'en faire
les frais.
Plaidant en faveur de l’intégration
militaire, l'ancien président
préconisait une France "alliée mais pas
vassale" et "fidèle mais pas soumise" .
Etrange dénégation à vrai dire, et trop
insistante pour ne pas s’apparenter à un
aveu ! Une France ni "vassale" ni
"soumise" ? Mais sous Nicolas Sarkozy,
la France rallia le commandement intégré
de l’OTAN. Elle doubla le nombre de
militaires français en Afghanistan. Elle
absout généreusement Israël de toute
responsabilité dans la tragédie de Gaza
en 2009. Elle contribua à la
diabolisation du Hamas et du Hezbollah.
A la remorque de Washington, elle jeta
même de l’huile sur le feu, avec
Kouchner, dans le conflit du Darfour.
Avec
enthousiasme, Nicolas Sarkozy relaya sur
tous les fronts la propagande américaine
contre "l’Axe du Mal". Il pratiqua une
surenchère belliciste (en vain,
heureusement) contre la République
islamique d'Iran. Résumant la situation
en août 2007, le président français se
contenta d’une traduction littérale de
l’antienne des néoconservateurs
américains : "Iran Bomb or Bomb Iran".
La France faisait partie du trio
diplomatique censé explorer les voies
d’une solution pacifique à la crise,
mais l'exécutif français sabotait
lui-même les négociations auxquelles il
participait !
Pour
jouer ce rôle sur la scène
internationale, Nicolas Sarkozy n'avait
pas besoin de se forcer. Inconditionnel
avéré des USA, il admire sa puissance. A
croire qu'elle le rassure, lui qui
avalisa le renoncement français .. Son
amour pour les Etats-Unis traduit sa
fascination pour un modèle américain,
plus fantasmé que réel, dont la vertu
est de faire ressortir cet archaïsme
français dont il prétendait nous
débarrasser. Si les Européens (et
surtout les Français) vous dénigrent,
aimait-t-il déclarer aux Américains,
c’est parce qu’ils sont jaloux de votre
réussite.
Cette
allégeance proclamée induit une attitude
inimaginable chez ses prédécesseurs. En
septembre 2006, bien avant son élection,
il fit le procès rétrospectif de
l’opposition de Jacques Chirac aux
entreprises guerrières de George W.
Bush. "J’ai toujours préféré
l’efficacité dans la modestie plutôt
qu’une grandiloquence stérile,
déclare-t-il devant la French American
Foundation. Et je ne veux pas d’une
France arrogante et pas assez présente".
La messe est dite ! Nicolas Sarkozy
n'est pas Dominique de Villepin. A sa
place, il aurait cautionné la politique
irakienne de George W. Bush.
Sous
sa présidence, la politique extérieure
de la France enterra le noble héritage
de la "grandeur". Nicolas Sarkozy
manifesta à l'égard des USA un zèle
admiratif. Il voulait être le premier de
la classe dans la cour atlantiste. Il y
a réussi, mais au prix de notre
indépendance. Cet alignement par le bas
de la singularité française se paye
encore aujourd'hui. Il a signé le
reniement d’une tradition qui conférait
à la France une aura singulière.
Fossoyeur du gaullisme, Nicolas Sarkozy
a légué à son successeur son propre
renoncement. Et ce n'est pas François
Hollande, hélas, qui restaura avec éclat
ce qui faisait jadis la singularité du
message de la France.
Bruno
Guigue (22/11/2016)
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