Monde
La famine, arme des forts contre les
faibles
Bruno Guigue
Dimanche 19 février 2017
Si on voulait vraiment la preuve que la
faim n'est pas un accident climatique ou
je ne sais quelle fatalité qui pèserait
sur des contrées abandonnées des dieux,
il suffirait de regarder la carte des
famines à venir. Dressée par
l'économiste en chef du Programme
alimentaire mondial, Arif Husain, cette
carte est édifiante. Selon lui, 20
millions de personnes risquent de mourir
de faim dans quatre pays au cours des
six prochains mois : le Yémen, le
Nigéria, le Sud-Soudan et la Somalie (http://ici.radio-canada.ca/nouvelle...).
Or la cause majeure de cette insécurité
alimentaire est politique. Quand elle
n'a pas directement provoqué le chaos
générateur du non-développement ou la
rupture des approvisionnements,
l’intervention étrangère a jeté de
l’huile sur le feu. La guerre civile et
le terrorisme y ont ruiné les structures
étatiques, banalisant une violence
endémique et provoquant l'exode des
populations.
Au
Yémen, les bombardements saoudiens,
depuis mars 2015, ont généré un désastre
humanitaire sans précédent. L'ONU
s'alarme de la situation, mais c'est une
résolution du conseil de sécurité qui a
autorisé l'intervention militaire
étrangère ! La fermeture de l'aéroport
de Sanaa et l'embargo infligé par la
coalition internationale ont privé la
population de médicaments. Les stocks de
blé baissent à vue d'œil. Les banques
étrangères refusent les transactions
financières avec les établissements
locaux. 14 millions de personnes, soit
80 % de la population, ont besoin d'aide
alimentaire, dont 2 millions sont en
état d'urgence. 400 000 enfants
souffrent de malnutrition. Jugée
coupable de soutenir le mouvement houthi,
la population yéménite est condamnée à
mort. En fournissant son arsenal à
Riyad, les puissances occidentales
participent à ce crime de masse.
Au
Nigéria, la situation chaotique dans
laquelle est plongé le nord-est du pays
gangrène toute la région. Des millions
de personnes, fuyant les violences du
groupe Boko Haram, s'entassent dans des
camps de réfugiés. Totalement dépendants
de l'aide humanitaire, ces populations «
survivent par 50 °C, dans des huttes au
toit de tôle, avec un point d'eau, des
cuisines communes et un repas par jour
», explique Arif Husain. Alimenté par la
propagande saoudienne, le terrorisme
défie aujourd'hui cet Etat, le plus
peuplé du continent, qui comptera 440
millions d'habitants en 2050. Depuis la
calamiteuse destruction de la Libye par
l'OTAN, l'Afrique sub-saharienne est
devenue le terrain de chasse préféré des
djihadistes. La famine qui s'annonce est
la conséquence directe de cette
déstabilisation.
Au
Sud-Soudan, la proclamation de
l'indépendance, en 2011, a débouché sur
une guerre civile où deux camps rivaux
se disputent le contrôle des richesses
énergétiques. Cet Etat sécessionniste,
fragmenté, enclavé, coupé du nord auquel
l'opposa une interminable guerre civile,
est le fruit de la stratégie américaine.
Cette création artificielle visait à
contrecarrer l'influence du Soudan,
inscrit de longue date sur la liste des
« rogue states ». Porté sur les fonts
baptismaux par Washington, qui a armé la
guérilla sécessionniste de John Garang
pendant 20 ans, le Sud-Soudan est
aujourd'hui un champ de ruines. Depuis
décembre 2013, plusieurs dizaines de
milliers de personnes ont été tuées. 2,5
millions ont fui leurs foyers et près de
5 millions font face à une insécurité
alimentaire « sans précédent », selon
l'ONU. Pour les réclamations, prière de
s’adresser aux néo-cons de Washington.
En
Somalie, les aléas climatiques font
peser la menace d'un nouveau désastre
alimentaire. En 2011, la terrible famine
consécutive à la sécheresse avait fait
260 000 morts. Cette vulnérabilité de
l'agriculture vivrière reflète l'état de
non-développement du pays, écartelé en
une dizaine d'entités politiques
rivales. Le règne sanglant des seigneurs
de la guerre locaux, les interventions
militaires étrangères (USA, Ethiopie,
Kenya), l'influence croissante, sur fond
de décomposition politique, de
l'organisation islamiste radicale Al-Shabab,
ont donné à ce pays l'indice de
développement humain le plus faible de
la planète. Depuis l'effondrement du
régime marxiste de Syaad Barré en 1991,
les structures étatiques se sont
évanouies. L'économie est exsangue, le
système éducatif délabré. La hausse des
prix des denrées et la chute des
revenus, aujourd'hui, font redouter le
pire.
D'autres zones de tensions, hélas,
suscitent l'inquiétude. Les conflits en
cours en Syrie, en Irak, en Afghanistan,
en Ukraine, en Libye, au Zimbabwe,
bouleversent les conditions de vie et
génèrent des flux migratoires. Certains
pays, enfin, vivent dans une insécurité
alimentaire chronique : la République
démocratique du Congo, la République
centrafricaine, le Burundi, le Mali, le
Niger. Ce n'est pas un hasard si la
plupart de ces pays sont en proie à la
guerre civile, au terrorisme et à
l'intervention militaire étrangère. Le
désordre qui y sévit est d’abord de
nature politique et géopolitique. Loin
d'être une fatalité, il résulte de
causes endogènes et exogènes
identifiables. La famine ne tombe pas
sur les damnés de la terre comme frappe
la foudre. C'est l'arme des puissants
pour écraser les faibles.
Publié avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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