Monde
Trump, synthèse entre Roosevelt et Nixon
?
Bruno Guigue
Jeudi 17 novembre 2016
« Nous avons du lutter contre les vieux
ennemis de la paix, le monopole
industriel et financier, la spéculation,
la banque véreuse, l'antagonisme de
classe, l'esprit de clan, les profiteurs
de guerre. Ils avaient commencé à
considérer le gouvernement des
Etats-Unis comme un simple appendice de
leurs affaires privées. Nous savons
aujourd'hui qu'il est tout aussi
dangereux d'être gouverné par l'argent
organisé que par le crime organisé ».
Ces
propos tenus le 31 octobre 1936 par un
Franklin Roosevelt en campagne
électorale, Donald Trump ne les aurait
pas désavoués. Comme l'initiateur du «
New Deal » à son époque, le candidat
républicain élu le 8 novembre a fulminé
contre les vautours de la finance qui se
sont enrichis durant la crise sur le dos
des classes moyennes. Il a incriminé le
poids excessif des lobbies qui tirent
les ficelles d'une classe politique sans
principes, et il a dénoncé sans relâche
l'atmosphère pestilentielle régnant
autour de celle qu'il nommait «
Hillary-the-corrupt ».
Un
milliardaire porte-parole des déclassés
Que
cela plaise ou non, ce milliardaire qui
a fait fortune dans la jungle
immobilière new-yorkaise s'est
transformé en porte-parole des
sans-voix, des déclassés, des ruraux, de
la « middle class » frappée par la crise
et du monde ouvrier laminé par la
mondialisation.
Le
magnat des gratte-ciels, le «
businessman » sans complexe qui enfreint
les tabous de la « political correctness
» disposait, il est vrai, d'un atout
considérable. Véritable OVNI de la
politique, il pouvait se prévaloir de
son indépendance. Il n'était le commis
d'aucun groupe de pression, l'agent
stipendié d'aucune coalition d'intérêts.
A l'inverse, Hillary Clinton fut
littéralement adoubée par les lobbies
qui font et défont les carrières
politiques. Caricature vivante de
l'affairisme sans scrupule, Goldman
Sachs l'appuya ostensiblement. Le patron
de la puissante banque d'affaires a
interdit à ses employés de contribuer à
la campagne du candidat républicain.
Quel cadeau pour Donald Trump ! La
prétendante démocrate à la
Maison-Blanche fut soutenue par Wall
Street comme la corde soutient le pendu.
Donnée
gagnante par les préposés médiatiques au
bourrage de crânes, elle a néanmoins été
battue, et pour trois raisons. D'abord,
elle apparut à juste titre comme la
candidate de « l'establishment »
politique, médiatique et financier au
moment où la classe moyenne nourrissait
à l'égard de cette caste sans foi ni loi
les rancoeurs justifiées qu'elle
ruminait depuis la crise. Ensuite, elle
n'inspirait aucune confiance aux
électeurs, notamment les jeunes, proches
d'une gauche démocrate frustrée par
l'élimination frauduleuse d'un Bernie
Sanders devenu encombrant. Hillary
Clinton a perdu, enfin, parce que son
crédit personnel fut miné par une
avalanche de révélations dessinant
cruellement le portrait d'une
politicienne assoiffée de pouvoir,
hypocrite, cupide, et touchant des
millions de dollars en provenance de ces
pétromonarchies qui sponsorisent la
terreur.
Copinage de Clinton avec les requins de
la finance
Son
copinage éhonté avec les requins de la
finance, la forfaiture commise en toute
impunité contre Sanders, sa corruption à
grande échelle et sa compromission avec
les banquiers saoudiens du djihadisme
ont plombé sa candidature. Mais Donald
trump n'a pas remporté l'élection parce
qu'Hillary Cliton l'a perdue. Ce n'est
pas seulement le discrédit de sa
concurrente qui a hissé le républicain
jusqu'à la Maison-Blanche. Cette
interprétation rassure la gauche
bien-pensante, mais elle est fausse.
Clinton bénéficiait du soutien
quasi-unanime des lobbies, des médias et
des stars du « show-bizz ». Les
conditions objectives étaient réunies
pour lui assurer la victoire. Afin d'y
parvenir, elle a dépensé des sommes
astronomiques, quatre à cinq fois
supérieures au budget de son adversaire.
Mais cela n'a pas suffi. Evénement
inédit, la loi non écrite qui dit que
l'élu a dépensé le plus pour sa campagne
fut démentie par les faits.
Si
Hillary Clinton a perdu, c'est parce que
la caste globalisée à laquelle elle
appartient vit dans un monde qu'elle
prend pour le monde tout court. Face à
l'offensive du candidat républicain,
l'incantation morale était d'autant plus
hasardeuse que le camp démocrate n'était
pas innocent. Croire qu'il suffisait
d'agiter le spectre du racisme et du
sexisme pour battre son adversaire
relevait d'une lourde erreur de
jugement. Car le problème de
l'immigration illégale, par exemple,
existe aussi dans la réalité, et pas
seulement dans l'imagination des
partisans du candidat républicain.
L'administration Obama ayant expulsé des
centaines de milliers de clandestins,
Hillary Clinton et ses amis étaient bien
placés pour le savoir.
On
pourrait faire la même remarque à propos
de l'accusation de sexisme. Quand on
reçoit dix millions de dollars d'une
monarchie obscurantiste où l'on décapite
les femmes adultères, on n'est pas
vraiment qualifiée pour traiter son
adversaire d'affreux macho. Et lorsque
sa propre expérience a consisté à semer
le chaos en Libye et en Syrie, on
devrait s'abstenir de donner des leçons
de respectabilité internationale. Quant
à l'accusation de racisme, elle sonne
étrangement dans la bouche d'une
ex-secrétaire d'Etat qui a gloussé de
joie devant le cadavre mutilé d'un chef
d'Etat arabe.
Des accents rooseveltiens
Les
adversaires du candidat républicain
n'ont pas compris ce qui se passait
parce qu'ils ne voulaient pas le voir.
La campagne de Donald Trump ne se
résumait pas à ses déclarations
fracassantes sur les immigrés mexicains
ou les musulmans étrangers. Focalisé sur
ce qui pouvait légitimement choquer son
électorat, le camp démocrate a refusé
d'admettre, dans le discours de Trump,
ce qui pouvait le séduire. Il n'a pas vu
que le candidat républicain avait aussi
des accents rooseveltiens et qu'il les
avait empruntés à leur ADN politique,
délaissé par leur faute.
Le
camp adverse n'a pas mesuré le danger,
lorsque Trump a pris pour cible une
oligarchie dont Clinton disait qu'elle
se sentait « très proche, beaucoup plus
que de la classe moyenne, depuis qu'elle
et Bill avaient amassé une fortune de
plusieurs dizaines de millions de
dollars ». Quasiment autiste, il n'a pas
senti l'atmosphère empoisonnée qui
régnait autour de la candidate. Et il a
fallu attendre le 8 novembre pour que le
camp démocrate, enfin, réalise la force
d'attraction du discours de Donald Trump
sur les victimes de la mondialisation et
de la spéculation.
Il
suffit d'analyser son dernier clip de
campagne. On y mesure, par contraste,
l'aveuglement de cette caste planétaire
qui s'est rangée derrière Hillary
Clinton. Au lieu de pleurnicher sur ses
déboires ou d'incriminer Facebook, la «
gauche » occidentale devrait écouter
attentivement ce discours final qui a
porté Donald Trump à la Maison-Blanche.
Elle y trouverait ce qu'elle a elle-même
renoncé à dire, depuis des lustres, pour
se conformer à l'air du temps.
Le mal
de notre société, entend-t-on dans cette
ultime vidéo de campagne, c'est la caste
politico-financière qui ne poursuit que
son intérêt. « L'establishment de
Washington et les corporations
financières qui l'ont financé existent
pour une seule raison : se protéger et
s'enrichir eux-mêmes. Cet establishment
politique défaillant et corrompu est
responsable des désastreux accords
commerciaux. Il a détruit nos usines et
nos emplois, qui ont fui vers la Chine,
le Mexique et d'autres pays » .. « C'est
une structure de pouvoir globale dont
les décisions économiques ont pillé la
classe ouvrière, dépouillé notre pays de
sa richesse et mis cet argent dans les
poches de grandes corporations et
d'entités politiques ».
Quand
il diffuse ce message, Donald Trump sait
qu'il joue sur du velours. Car c'est
Bill Clinton qui a parrainé l'OMC et
l'ALENA. Et ce sont Barack Obama et
Hillary Clinton qui ont poussé les feux,
avant de se déjuger mollement, des
traités transatlantique (TIPP) et
transpacifique (TPP). Les médias
européens l'ont occulté, mais cette
charge contre le libre-échangisme fut le
leitmotiv de la campagne de Donald Trump.
Il a critiqué sans relâche l'OMC et
dénoncé une globalisation responsable de
la destruction des classes moyennes.
Opposé à la libéralisation effrénée du
commerce mondial, il s'est prononcé sans
équivoque pour la protection de la
production nationale, pour
l'instauration de barrières tarifaires.
Dans ce qui reste d'une classe ouvrière
ruinée par la concurrence chinoise, cet
éloge du protectionnisme passe beaucoup
mieux que les odes d'Hillary Clinton aux
droits des LGBT. Les électeurs de la «
Rust Belt » ont voté pour Trump, faute
d'avoir pu voter pour Sanders.
Un
capitalisme entrepreneurial
Ce
défenseur d'une couche entrepreneuriale
arrimée au sol américain a bâti sa
fortune personnelle avec l'immobilier,
le catch et la télévision, des activités
tournées vers le marché intérieur et
typiquement nationales. Il promet de
rénover des infrastructures publiques
délabrées (routes, ports, aéroports). Il
veut conforter l'indépendance
énergétique des USA au détriment de
l'environnement, ce qui est un choix
évidemment contestable. Il s'allie à des
ultra-conservateurs adeptes du
créationnisme. Il défend mordicus les
valeurs traditionnelles. Les intérêts
que représente le richissime «
businessman », bien sûr, sont les
intérêts d'une fraction de l'oligarchie
capitaliste qui entend bien tirer profit
de ce « New Deal » républicain. Si l'on
s'en tient à ses discours (on ne peut
faire autrement pour le moment), voilà
ce qu'entend faire Donald Trump.
De
droite, Trump ? Evidemment. Mais Clinton
est-elle de gauche ? Il faudrait le
demander à Goldman Sachs qui a financé
sa campagne, et aux 30 000 Libyens
victimes de sa politique. A l'entendre,
Donald Trump ne voit aucun autre
horizon, pour les USA, que le
développement d'un capitalisme
entrepreneurial sans complexe, mais
mieux protégé de la concurrence des pays
émergents. La fraction du capital dont
il est le représentant exige que ce
développement se fasse à moindre coût et
s'appuie sur une réindustrialisation du
pays. Pour gagner la compétition
économique mondiale, Clinton voulait
accélérer la mondialisation à l'abri
d'un appareil militaire démentiel. Trump,
lui, veut assigner des limites à la
mondialisation et protéger l'économie
nationale des turbulences planétaires.
Elle voulait prolonger à tout prix le «
chaos constructif ». Le nouveau
président semble décidé à y renoncer
parce que c'est contraire aux intérêts
nationaux des USA.
Synthèse entre Nixon et Roosevelt ?
Dans
les jours qui ont suivi son élection,
Donald Trump a appelé Vladimir Poutine.
Il entend renouer le dialogue avec la
Russie. Il a déclaré à la presse qu'en
Syrie la politique de son administration
serait de combattre Daech, et non la
Russie et la Syrie. Pour Trump, la
politique étrangère d'Obama est un
fiasco dont il faut tirer les leçons.
Durant la campagne, il a exprimé son
opposition à l'intervention militaire
des USA à l'étranger lorsque leurs
intérêts vitaux ne sont pas en jeu. Il
l'a dit clairement : la guerre par
procuration en Syrie, comme
l'intervention en Libye, ont semé un
chaos dont Barack Obama et Hillary
Clinton sont responsables.
De
même qu'il a récusé le libre-échangisme,
Trump a répudié le néo-conservatisme en
casque lourd et le cynisme au petit pied
des apprenti-sorciers du djihad. Cette
double orientation le place sur une
trajectoire différente de celle de ses
prédécesseurs, démocrates ou
républicains. Elle le rend inclassable,
ce qui est le dénominateur commun de la
pensée complexe et de l'action efficace.
Elle préfigure peut-être un réalignement
de la politique étrangère des USA, moins
tentée par l'unilatéralisme et plus
respectueuse de la souveraineté des
Etats.
Dire
qu'il est conservateur n'est pas faux,
mais c'est faire bon marché de ses
accents rooseveltiens. Parce qu'il est
décidé à reprendre langue avec Moscou,
sa vision géopolitique éveille aussi des
réminiscences nixoniennes (le Nixon de
la « détente », s'entend). Entre Nixon
et Roosevelt, Trump fera-t-il la
synthèse ? En réalité, nul ne le sait.
La politique consistant à tenir des
discours pour se faire élire et à
improviser ensuite au gré des
circonstances, bien malin est celui qui
peut prédire ce que sera la future
présidence américaine. Il faudra juger
sur pièces, sans illusions ni
concessions.
Bruno
Guigue (17/11/2016)
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