Analyse
Massacre colonial pour “un jour de
gloire”
Bruno Guigue
Lundi 14 mai 2018
52 morts et 2400 blessés dont 1200 par
balles. C’est le dernier bilan de la
sanglante journée du 14 mai 2018 dans la
bande de Gaza. Mais pour Netanyahou,
c’est un “jour glorieux”. Lors de la
cérémonie d’inauguration de l’ambassade
américaine à Jérusalem, il a remercié
Donald Trump avec des trémolos dans la
voix. “Quel jour glorieux !
Souvenez-vous toujours de ce moment,
c’est un jour historique. C’est un grand
jour pour Jérusalem et pour l’État
d’Israël. Un jour qui restera dans nos
mémoires pour des générations et des
générations”. Cette journée restera dans
les mémoires, en effet, mais pour ce
qu’elle est vraiment : un nouveau
massacre colonial.
Déversant un déluge
de feu sur des manifestants palestiniens
désarmés, l’appareil répressif israélien
s’est surpassé dans l’horreur. Où sont
ses laudateurs habituels, toujours
prompts à répéter le laïus officiel sur
cette vertueuse armée israélienne
pénétrée d’impératifs moraux et
soucieuse d’épargner les civils ? On ne
les entend guère, ils rasent les murs.
Quand les courageux pionniers de l’idéal
sioniste se livrent à un pogrom en
direct, ces imposteurs fielleux et
abonnés aux plateaux-télé ont la mine
basse et le regard chafouin.
Mais peu importe.
D’autres se mettent à l’ouvrage, bien
décidés à maquiller la scène de crime.
Hypocrites, les médias français prennent
le relais, nous expliquant du bout des
lèvres que “les tensions sont vives” et
qu’il y a des “affrontements à la
frontière”. Quel sens de l’euphémisme !
On se demande bien, d’ailleurs, de
quelle frontière il s’agit, car Israël
n’en a aucune. La bande de Gaza est un
morceau libéré - et assiégé - de la
Palestine historique. Lorsque ses
habitants veulent se rendre dans une
autre région de la Palestine, ils
rentrent chez eux, tout simplement.
Parler de frontière, c’est faire comme
si l’occupation était légale, c’est
joindre le mensonge à la justification
du forfait colonial.
Cette journée du 14
mai est la plus meurtrière depuis la
guerre de l’été 2014 contre Gaza. Mais
une fois de plus, dès qu’il s’agit de
nommer l’oppression subie par les
Palestiniens, les mots sont démonétisés,
vidés de leur substance, frappés par une
censure invisible. On connaît la
rengaine : “Israël a le droit de se
défendre”, les colonies sont des
“implantations », les résistants des
“terroristes”, le mur de séparation “un
mur de sécurité”, Israël une
“démocratie”, les manifestants de Gaza
des “provocateurs” et des “extrémistes”.
Dans cette novlangue invasive, les
expressions apparemment les plus
anodines sont trompeuses.
Au nom de la
diplomatie européenne, Federica
Mogherini, par exemple, appelle “toutes
les parties à agir avec la plus grande
retenue, afin d’éviter des pertes de
vies humaines supplémentaires”. On
savait déjà que l’UE ne servait à rien,
mais il faut avouer que cette inutilité
finit par se voir de très loin. Dans le
même registre, “la France, elle, appelle
l’ensemble des acteurs à faire preuve de
responsabilité afin de prévenir un
nouvel embrasement au Proche-Orient”,
déclare le ministre français des
Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
Sournoises à
l’excès, ces formules laissent entendre
que deux peuples s’affrontent sur le
champ de bataille, alors qu’il s’agit de
la révolte d’un peuple colonisé contre
le colonisateur. Elles font comme si le
conflit provenait d’une double
intransigeance et qu’il suffisait, au
fond, de ramener à la raison les forces
antagonistes pour rétablir la paix. On
sait ce que signifie cet angélisme de
façade : il s’agit d’obtenir la
reddition de ceux qui protestent contre
l’occupation. D’une lutte de libération,
cette rhétorique lénifiante fait une
obscure querelle. Son artifice, dans le
meilleur des cas, consiste à renvoyer
dos-à-dos l’occupant et l’occupé, comme
si les responsabilités étaient
partagées.
En attendant, la
débauche de violence de l’occupant fait
renaître l’atmosphère sanguinaire des
pires massacres coloniaux. Enracinée
dans les esprits par une idéologie
raciste, la diabolisation du Palestinien
autorise toutes les transgressions. Des
citoyens israéliens s’installent sur les
miradors pour assister en direct aux
tirs à balles réelles sur cibles
humaines. Quel beau spectacle ! Après
tout, les héros de “Tsahal” excellent
dans leur spécialité. Flinguer des
civils, hommes, femmes et enfants
confondus, c’est quand même plus facile
que vaincre le Hezbollah au Liban-Sud ou
aller chercher le combattant
palestinien, à la baïonnette, dans les
ruelles obscures de Gaza.
“Nos soldats
défendent nos frontières”, déclare
Netanyahou. Va-t-il également proclamer
l’époustouflante victoire de sa
vaillante armée ? Déjà, durant l’été
2014, le bombardement massif et
meurtrier d’un immense camp de réfugiés
était censé relever, dans la novlangue
sioniste, du paradigme de la victoire
militaire. Comme si le bilan de ce bain
de sang perpétré à distance pouvait
s’apparenter à celui d’une guerre
remportée à la loyale, sur un champ de
bataille, face aux soldats d’une armée
digne de ce nom, l’Etat-colon se vantait
de ses turpitudes. Aujourd’hui encore,
comme un serial killer de série B, il se
regarde dans le miroir, fasciné par sa
propre image mortifère.
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