Syrie
La politique de Trump, c’est “colossale
finesse”
Bruno Guigue
Vendredi 14 avril 2017
Depuis que son équipe a été amputée de
ses conseillers les plus atypiques
(Michael Flynn et Steve Bannon), le
président républicain investi le 20
janvier est en roue libre. Le “style
Trump” dans les relations
internationales, c’était surtout une
rhétorique. Personnage truculent, il
cultivait l’ambiguïté, disant tout et
son contraire au risque d’en décevoir
beaucoup et de surprendre tout le monde.
Maintenant, c’est fini. En passant à
l’action sur tous les fronts, en
quelques jours, le nouveau président
américain a jeté le masque.
Le premier front,
c’est la Syrie, où un Etat souverain
résiste depuis 2011 à l’offensive des
milices obscurantistes armées par la
CIA. En faisant bombarder la base
aérienne syrienne d’Al-Chaayrat, le 6
avril, la Maison-Blanche a franchi une
ligne rouge. C’est la première fois que
les USA procèdent à une intervention
militaire directe, ouvertement
revendiquée, contre l’Etat syrien. Outre
qu’elle prête main forte aux terroristes
de Daech, cette violation flagrante du
droit international défie le puissant
allié de Damas, la Russie. Elle crée le
risque d’une confrontation armée dont le
premier ministre russe Medvedev a dit
qu’on l’avait “frôlée d’un cheveu”.
Le deuxième front,
c’est la Corée du Nord. Adepte d’une
stratégie tous azimuts, Donald Trump a
envoyé une escadre navale en direction
de la péninsule coréenne et menacé la
Corée du Nord de représailles si ce pays
persistait à développer ses technologies
militaires. Il y a longtemps que
l’establishment militaire américain rêve
d’une frappe préventive sur les sites
nucléaires nord-coréens, notamment pour
empêcher cet Etat souverain d’acquérir
des capacités balistiques. Si d’aventure
une telle attaque avait lieu, Pyongyang
a fait savoir que la réplique
nord-coréenne serait dévastatrice.
Le troisième front,
c’est l’Afghanistan. Une semaine après
le bombardement de la base syrienne
d’Al-Chaayrat, les USA ont largué “la
mère de toutes les bombes”, le 13 avril,
sur des positions attribuées à Daech.
Peu implantée dans ce pays,
l’organisation terroriste sert de
prétexte, en réalité, à une
démonstration de force. Poussé par
l’Etat profond, le
président-milliardaire veut montrer que
sa main ne tremble pas. Le choix de la
bombe GBU43/B n’est pas fortuit. C’est
l’arme conventionnelle la plus puissante
dont dispose Washington. Son usage
expérimental signifie que les USA sont
prêts à frapper fort, sans risquer pour
autant l’escalade nucléaire. Il ne reste
plus qu’à choisir les futures cibles.
Fabriqué en 2003,
cet effrayant engin de 9 tonnes n’avait
jamais été utilisé. Donald Trump l’a
fait. Joyau d’une industrie de
l’armement qui fait la pluie et le beau
temps à Washington, il sort enfin du
hangar et pulvérise la montagne afghane
sous les vivats des actionnaires du
lobby militaro-industriel.
Officiellement, c’est pour détruire des
souterrains utilisés par les djihadistes
dans la région de Nangarhar. En réalité,
c’est pour adresser un message d’une
subtilité typiquement nord-américaine à
l’Iran voisin, à l’incorrigible Corée du
Nord, à la Syrie récalcitrante, et
indirectement, bien sûr, à la Russie qui
ose tenir la dragée haute à Washington.
La devise de la politique de Trump,
c’est “colossale finesse”.
Selon Edward
Snowden, cette opération visait aussi à
éliminer les traces d’installations
clandestines créées par la CIA, dans les
années 80, au profit des moudjahidines
luttant contre le Satan soviétique.
C’est fort possible, et ce n’est pas
contradictoire avec les objectifs
précédents. Au total, cette
gesticulation militaire américaine
commence à devenir sérieusement
inquiétante. En Syrie, la DCA a
probablement abattu 36 des 59 missiles
de croisière lancés par les deux navires
américains, mais ni Damas ni Moscou ne
l’ont claironné. La presse russe a
d’ailleurs longuement expliqué les
raisons pour lesquelles Moscou, désireux
d’éviter toute surenchère, n’a pas
répliqué à cette agression contre son
allié syrien.
Mais le
commandement militaire
syro-russo-iranien a aussi publié un
communiqué qui ne laisse aucun doute sur
l’intention qu’a cette alliance
militaire de riposter, d’une manière ou
d’une autre, si Washington récidive. A
force de provoquer ses adversaires, on
finit par en faire des ennemis, et la
Maison-Blanche a visiblement décidé de
les multiplier par son attitude
agressive. On doit aussi mesurer
l’importance du danger qui plane sur nos
têtes en regard de l’intelligence de
ceux qui occupent des fonctions
stratégiques. Selon Sean Spicer,
porte-parole de la Maison-Blanche, “Assad
est pire qu’Hitler car Hitler n’a pas
utilisé d’arme chimique”.
L’administration Trump, c’est comme un
mélange de Fabius et de Faurisson. Le
souffle de l’esprit fait des courants
d’air à “White House” !
Hélas, la bêtise
est communicative et elle saute aisément
l’Atlantique. Pendant que les “Docteur
Folamour” de Washington menacent la paix
du monde, certains candidats à
l’élection présidentielle, eux, se
croient obligés de stigmatiser Bachar
Al-Assad. Tétanisés par les accusations
grotesques dont l’administration
américaine couvre le président syrien,
ils font comme si c’était lui, l’accusé,
qui menaçait l’humanité avec ses
foucades guerrières, et non son
accusateur, ce président US qui jubile
de pouvoir utiliser les merveilleux
joujoux que lui offre une industrie de
la mort plus prospère que jamais.
Publié avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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