Politique
Voter
le 23 avril, pour quoi faire ?
Bruno Guigue
Samedi 11 mars 2017
Voter
le 23 avril, pour quoi faire ? Si les
élections servaient vraiment à quelque
chose, disait Coluche, il y a longtemps
qu'on les aurait interdites. Avant
d'aborder les enjeux du futur scrutin,
il faut sans doute en passer par cette
cure de réalisme. Car, on le sait
d'expérience, il n'y a pas grand-chose à
espérer des élections, elles ont
rarement changé le cours des événements,
et elles se résument souvent à un rituel
où le peuple s'imagine qu'il a le choix.
Cette illusion de la démocratie formelle
est entretenue par ceux qui en tirent
bénéfice, le simulacre électoral ayant
pour principal effet de nous faire
prendre des vessies pour des lanternes.
A la
limite, le processus électoral pourrait
passer pour un acte de souveraineté si
les dés du jeu politique n'étaient pas
pipés. Il exprimerait la volonté du
peuple si cette volonté pouvait se
formuler, librement, au terme d'une
délibération collective digne de ce nom.
On peut toujours rêver qu'il en soit
ainsi, mais ce n'est pas le cas. Les
médias de masse sont les larbins du
capital, le débat démocratique
s'apparente aux jeux du cirque et la
confrontation des idées est dénaturée
par les intrigues politiciennes. Dans
ces conditions, la question se pose :
faut-il céder, une fois de plus, le 23
avril, au fétichisme du bulletin de vote
?
On
dira aussi, à juste titre, que c'est le
mouvement populaire, et non le scrutin
électoral, qui a arraché les principales
avancées collectives qui ont fait de la
France un pays doté d’un indice de
développement humain élevé. C'est vrai.
Sans les grèves massives et les
occupations d'usines de 1936 et 1968, la
condition des couches populaires serait
pire. Sans la démonstration de force de
la classe ouvrière organisée, dans ce
grand moment fondateur que fut la
Libération, nous n'aurions ni sécurité
sociale, ni services publics, ni droits
des travailleurs.
Or sa
puissante volonté de changement, dans
ces circonstances historiques, le peuple
l'a également manifestée dans les urnes.
Avec un PCF à 28%, en 1945, le rapport
de forces était favorable. Le patronat
collabo rasait les murs, la droite était
aux abois, Maurice Thorez était
vice-président du conseil et l'ouvrier
Ambroise Croizat, ministre communiste,
créa la “Sécu”. Présidé par de Gaulle,
ce fut le meilleur gouvernement que la
France aie connu. Il accomplit les
réformes de structure dont le pays avait
besoin, ces mêmes réformes qui subissent
les assauts des forces réactionnaires
depuis un quart de siècle.
En
accompagnant le mouvement des masses, il
arrive donc que le vote lui donne une
traduction politique. On peut toujours
vanter les charmes du spontanéisme (il a
sa noblesse), on peut dénoncer la
mascarade électorale, mais s'abstenir au
moment crucial revient à laisser
l'adversaire dicter ses conditions.
Voter ou ne pas voter, au fond, c'est
surtout une affaire de circonstances, de
conjoncture politique. La question n'est
donc pas : faut-il s'abstenir aux
élections ? Elle est plutôt : en
s'abstenant le 23 avril, obtiendra-t-on
un résultat plus intéressant qu'en
allant voter ?
Comme
disait Yvon Gattaz, père et prédécesseur
de l'actuel président du MEDEF dans les
années 70, on ne fait pas la même
politique économique et sociale avec un
PC à 10% et un PC à 25%. Si nous en
doutons parfois, les détenteurs de
capitaux, eux, le savent bien. Une
élection n'est jamais qu'un moment d'un
processus plus vaste, et même si
l'essentiel se joue ailleurs, elle
contribue à cristalliser un rapport de
forces. En appliquant cette maxime
patronale à la situation actuelle, on
voit bien qu'un vote significatif en
faveur de la « France insoumise » ferait
peser la balance du bon côté. Car le
programme de Jean-Luc Mélenchon, certes,
n'a rien de révolutionnaire, sans
mouvement social il est voué à l’échec,
mais il ouvre des perspectives
intéressantes.
A y
regarder de près, c'est le seul
programme qui entend consolider les
défenses immunitaires de ceux qui vivent
modestement de leur travail, qu'ils
soient ouvriers, employés, artisans,
paysans, fonctionnaires, chômeurs ou
retraités. Ce n’est pas un programme
communiste, loin de là, mais un projet
keynésien de gauche, à contenu fortement
redistributif, qui associe relance par
la demande, investissement public et
rétablissement des droits sociaux. Son
financement au moyen d'une réforme
fiscale audacieuse, à rebours des
pratiques libérales, en fait un
programme socialement progressiste.
Là où
le bât blesse, c'est que ce projet n'est
réalisable qu'en dehors de la zone euro,
voire de l'UE, et que le candidat ne le
dit pas clairement. Selon lui, le plan A
consistera à renégocier le contenu des
traités européens et on appliquera le
plan B (sortie de l'UE) si cette
négociation échoue. Or il faudrait
parvenir à s'extraire du monde réel pour
parier sur le succès d'une telle
négociation. Elle supposerait en effet
que 26 Etats, subitement, se mettent à
satisfaire les demandes françaises.
Cette fausse alternative est donc une
erreur, car elle brouille le message du
candidat et entretient le doute sur ses
intentions.
Cette
ambiguité est d'autant plus regrettable
que Jean-Luc Mélenchon se réclame à
juste titre d'un « indépendantisme
français » et préconise la rupture de la
France avec l'OTAN. Contrairement à MM.
Fillon, Macron et Hamon, il prend au
sérieux l'héritage gaullien, il milite
pour une diplomatie souveraine et
stigmatise le suivisme d'un François
Hollande qui a mis la France à la
remorque des intérêts américains. En
refusant de prôner explicitement le
Frexit, la « France insoumise », par
conséquent, manque de cohérence
politique.
Sur ce
plan, c'est François Asselineau qui a
raison. On ne peut restaurer la
souveraineté nationale - condition
expresse de la souveraineté populaire -
qu'en rompant les amarres avec l'OTAN et
avec l'UE. Il faut sortir de l'OTAN,
cette machine de guerre dont la raison
d'être est de servir les ambitions
impérialistes de Washington. Mais il
faut aussi rompre avec l'UE, car la
fonction de cette instance
supranationale est de soustraire la
politique économique à la délibération
démocratique. Ni plan A, ni plan B. La
seule réponse, c'est le Frexit. Et le
seul moyen d'y parvenir, c'est le
référendum.
Marine
Le Pen, dira-t-on, veut aussi restaurer
la souveraineté nationale. Mais son
programme renoue avec l'ADN droitier du
FN dès qu'il s'agit d'expliquer ce qu'on
entend faire, une fois au pouvoir, de
cette souveraineté rétablie. Son
programme n'inclut ni redistribution des
revenus, ni nationalisation des banques,
ni contrôle des mouvements de capitaux,
ni rien qui fâche de près ou de loin les
possédants. Le rétablissement du franc
ne manque pas de panache, mais ce
changement restera purement cosmétique
s'il ne s'accompagne de réformes de
structure. Mme Le Pen n'en a prévu
aucune. Pas plus qu'il ne conteste les
hiérarchies sociales, le FN n'entend
faire plier les puissances d'argent.
Comme
l'expérience l'a montré, le FN prétend
défendre les travailleurs, mais il les
abandonne en chemin lorsque l'oligarchie
s'attaque à leurs droits. Lors des
grèves contre la Loi-Travail, Mme Le Pen
réclamait l'intervention de la police
contre les grévistes. Si elle est élue,
le discours à tonalité sociale de
Florian Philippot ne résistera pas deux
mois. Il est stupide de qualifier ce
projet de fasciste. En fait, c'est un
projet banalement réactionnaire. On ne
peut mener une politique progressiste
qu'en sortant de l'UE, c'est vrai. Mais
ce n'est pas parce qu'on veut sortir de
l'UE qu'on va mener une politique
progressiste !
Son
discours monomaniaque contre
l'immigration, bien sûr, offre au FN une
rente de situation électorale. Comme
s'il suffisait de mettre fin aux flux
migratoires pour créer des emplois, le
FN répète cette formule magique comme un
mantra. Caresser dans le sens du poil
l'islamophobie ou la xénophobie
ambiante, toutefois, ne fait pas une
politique. On se demande si ses
électeurs croient vraiment aux
fabuleuses économies que permettrait de
réaliser la suppression de la prétendue
facture migratoire, tant la ficelle est
grosse. Pour séduire l'électorat
populaire, en tout cas, le parti a
besoin d'entretenir cette mythologie
vieille comme le monde.
Du
coup, non seulement il oppose les
Français entre eux, mais il les berne en
leur faisant croire qu'il y a un trésor
de guerre, quelque part, dont il
suffirait de se saisir. La stratégie du
bouc-émissaire, chez Le Pen, est à
double emploi. Elle fournit un dérivatif
aux hantises et aux frustrations des
victimes de la mondialisation. Mais, en
même temps, elle masque les incohérences
d'un projet qui entend redistribuer aux
ouvriers sans toucher aux intérêts des
possédants. La mono-causalité immigrée
réconcilie tout le monde ! Véritable
martingale, elle permettra d'augmenter
les salaires tout en baissant les
charges, et de financer de nouvelles
dépenses régaliennes sans augmenter les
impôts sur les riches.
Cette
quadrature du cercle lepéniste, au fond,
est la figure inversée du cercle carré
des eurobéats (Macron, Fillon, Hamon)
qui veulent perpétuer à tout prix la
tutelle des marchés sur les Etats. Mme
Le Pen veut la souveraineté sans la
redistribution tout en prétendant le
contraire, ce qui est à la fois
incohérent et réactionnaire. M. Fillon,
lui, ne veut ni la souveraineté ni la
redistribution, ce qui est à la fois
cohérent et réactionnaire. M. Hamon veut
la redistribution mais pas la
souveraineté, ce qui est absurde. M.
Macron veut tout et son contraire, et
d'ailleurs il se moque des programmes.
M. Mélenchon veut la redistribution,
mais il devra imposer la souveraineté
(plan B) pour y parvenir. Car une chose
est sûre : les marchés ne lui offriront
pas l'opportunité de temporiser.
Publié avec l'aimable autorisation de
l'auteur
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