Monde
« Mensonge, fausse bannière et vidéos »,
une politique américaine
Bruno Guigue
© Bruno
Guigue
Mercredi 11 janvier 2017
Pour
justifier l'ingérence dans les affaires
des autres, Washington manifeste à la
fois un véritable génie de
l'affabulation et un manque évident
d'imagination. Les dirigeants US
n'oublient jamais d'inventer une
histoire à dormir debout, mais elle a
toujours un air de déjà-vu. Le plus
étonnant n'est pas que Washington fasse
preuve d'une telle répétition dans son
répertoire, c'est plutôt qu'on semble le
découvrir à chaque fois. En attendant,
les faits parlent d'eux-mêmes. L'analyse
des conflits du demi-siècle écoulé
révèle le même modus operandi, elle fait
apparaître les mêmes grosses ficelles.
Premier cas d'école, la guerre du
Vietnam. En août 1964, le fameux
incident du Golfe du Tonkin fait
subitement basculer l'opinion américaine
dans le camp belliciste. Des vedettes
lance-torpilles nord-vietnamiennes,
accuse Washington, ont attaqué le
destroyer de la Navy « Maddox » au
milieu des eaux internationales le 2
août. Dans un contexte de tensions entre
Washington et Hanoï, la Maison-Blanche
soutient que cette provocation
communiste ne peut rester sans réponse.
Mis sous pression, le Congrès des
Etats-Unis autorise le président
Johnson, le 7 août, à riposter
militairement. Dans les mois qui
suivent, des centaines de milliers de
soldats volent au secours du régime
sud-vietnamien et les bombardiers US
pilonnent les positions
nord-vietnamiennes.
A
l'époque, la presse occidentale reprend
mot pour mot la version officielle,
accréditant la thèse d'une agression des
forces communistes nord-vietnamiennes
qui seraient donc responsables de
l'escalade militaire. Pourtant, cette
narration de l'incident est totalement
fictive. Elle a été fabriquée de A à Z.
En réalité, aucune attaque n'a eu lieu.
Le « Maddox » était dans les eaux
territoriales nord-vietnamiennes et non
dans les eaux internationales. Il a bien
tiré 350 obus, mais dans le vide, contre
un ennemi parfaitement imaginaire, pour
faire croire à une attaque. Mais peu
importe. Il fallait démontrer
l'agressivité criminelle du camp
adverse, lui faire porter la
responsabilité d'une guerre totale. Elle
fera trois millions de morts, et les USA
la perdront.
Deuxième cas d'école, la guerre contre
l'Irak. Les attaques terroristes du 11
septembre 2001 fournissent à
l'administration Bush un prétexte idéal
pour lancer une vaste offensive au
Moyen-Orient. Elle passe d'abord par la
destruction du régime taliban en
Afghanistan (pourtant installé avec la
bénédiction de Washington), puis par
l'attaque contre l'Irak de Saddam
Hussein (mars 2003). Privée de toute
légitimité internationale, cette
agression militaire contre un Etat qui
ne menace personne se prévaut,
officiellement, d'un double « casus
belli ». Bagdad détiendrait des armes de
destruction massive représentant un
danger mortel pour la sécurité
collective, et le régime baasiste
fournirait une aide logistique à
l'organisation terroriste Al-Qaida.
Comme
pour l'incident du Golfe du Tonkin,
cette double accusation est une
monstrueuse affabulation. On eut beau
faire semblant de les chercher, on n'a
trouvé aucune arme de destruction
massive en Irak, ni aucune connivence
entre le régime irakien et
l'organisation terroriste fondée par Ben
Laden. En revanche, l'implication des
services secrets américains et saoudiens
dans les attentats du 9/11 est un secret
de polichinelle. La version officielle
permet donc d'occulter cette
responsabilité (qui reste obscure dans
ses détails) en se livrant à une
inversion accusatoire. Pour justifier la
liquidation d'un Etat qui s'oppose à ses
ambitions, Washington l'accuse de ses
propres turpitudes. Habituée à avaler
des couleuvres, la presse occidentale
reproduira servilement l'argumentaire
contre Bagdad.
Troisième cas d'école, la Syrie. A
partir du printemps 2011, une
contestation minoritaire et encouragée
de l'extérieur, sur le modèle
préfabriqué des « révolutions arabes »,
réclame la destitution du président
syrien. Des provocations et des
attentats créent un climat de guerre
civile, aggravé par l'aide massive que
fournissent à la rébellion armée les
puissances occidentales et les
pétromonarchies du Golfe. Refroidi par
les fiascos afghan et irakien,
Washington préfère intervenir contre
Damas en utilisant des « proxys », des
organisations de mercenaires. Mais une
partie de l'establishment, acharnée,
veut provoquer la chute de Bachar Al-Assad
en persuadant Barack Obama d'infliger
des frappes aériennes aux forces
syriennes.
Pour
justifier cette intervention, il faut
évidemment un prétexte. On va vite le
trouver ! Par l'horreur qu'il inspire,
l'usage de l'arme chimique contre des
populations civiles constitue le motif
idéal. Le 21 août 2013, des images
d'enfants gazés dans la banlieue de
Damas font le tour du monde. Faute de
preuves, les enquêteurs de l'ONU ne
désignent aucun coupable. Une étude
menée par le prestigieux MIT révélera
que cette attaque ne pouvait provenir
que des zones rebelles. Mais c'est trop
tard. La machine à mensonges tourne à
plein régime. Accréditée par Washington,
avalisée par ses alliés, la version
officielle est reprise par la presse et
les ONG subventionnées. Elle devient «
la vérité » sur le conflit syrien, le
prétexte de l'ingérence étrangère et le
faux-nez du néo-colonialisme.
Vietnam, Irak, Syrie, trois exemples
parmi tant d'autres ! La liste des pays
qui ont subi l'ingérence fomentée grâce
à la manipulation de l'opinion est
interminable (Cuba, Cambodge, Soudan,
Nicaragua, Somalie, Serbie, Libye,
Yémen, Chili, Venezuela, Honduras, la
liste est non exhaustive ..). A chaque
fois, cette manipulation repose sur un
mensonge inaugural, énorme de
préférence, qui fabrique le casus belli
requis par l'ingérence en tétanisant
l'opinion internationale. Spécialité US,
cette production de la guerre par
l'invention pure et simple de son motif
est la marque de fabrique de la
maison-mère. Lyndon Johnson invente des
vedettes-lance-torpilles, Colin Powell
brandit sa fiole de jus de pomme à
l'ONU, Barack Obama désigne le coupable
d'une attaque chimique organisée par ses
protégés. Tout est bon pour édifier le
bon peuple.
La
formule-clé de cette politique, c'est «
mensonge, fausse bannière et vidéos ».
Le mensonge est l'élément générateur de
la guerre impérialiste, sa matière
première, son carburant. La fausse
bannière (« false flag ») est son mode
opératoire préféré, car il autorise
l'inversion accusatoire, l'imputation de
ses propres crimes à l'adversaire qu'on
veut abattre. Les vidéos, enfin, sont
l'instrument de communication qui donne
corps à la fable fondatrice. Avec la
force persuasive de l'image, avec ses
effets de réel, elles permettent de
substituer une post-vérité construite à
la simple véracité des faits. Ce n'est
pas un hasard si le Pentagone a dépensé
500 millions de dollars pour fabriquer
de fausses vidéos djihadistes, et si les
Casques Blancs, en Syrie, montaient
leurs vidéos dans des décors de cinéma.
Bruno
Guigue (11/01/2017)
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