Monde
Le syndrome séparatiste
Bruno Guigue
Mardi 10 octobre 2017
Carles Puigdemont vient de proclamer “le
droit de la Catalogne à l’indépendance”
sous les applaudissements des élus
régionaux. L’expérience historique
enseigne pourtant que ce genre
d’aventure se termine rarement dans
l’allégresse. Arraché à la Serbie à
coups de B52, le Kosovo a proclamé son
indépendance en 2009. Sous perfusion de
l’UE et de l’OTAN, cet Etat-fantoche a
été livré par l’émissaire onusien
Bernard Kouchner à une clique mafieuse,
l’UCK, qui doit son impunité à cette
rente géopolitique. En attendant, la
Serbie a été bombardée et dépecée. Quant
à la population du Kosovo, elle ne tire
aucun avantage d’une indépendance qui a
fait de nombreuses victimes.
Voilà pour
l’Europe. Mais en Afrique, c’est pire.
La sécession du Sud-Soudan parrainée par
Washington a provoqué un désastre sans
précédent. D’une pauvreté inouïe,
dévasté par la guerre civile, ce nouvel
Etat n’a plus que ses yeux pour pleurer.
Les multinationales convoitaient ses
richesses minières et pétrolières, le
Département d’Etat voulait affaiblir le
gouvernement de Khartoum, les dirigeants
des ethnies méridionales rêvaient
d’indépendance, c’était l’équation
gagnante ! Hélas le rêve est devenu
cauchemar, et les morts se comptent par
dizaines de milliers. Kosovo, Sud-Soudan
: décidément le séparatisme, lorsqu’il
parvient à ses fins, peine à offrir des
lendemains qui chantent.
On répliquera sans
doute que l’indépendance du Kurdistan
irakien pourrait faire la démonstration
inverse. Ce peuple sans Etat, floué par
l’inique traité de Lausanne (1923),
prendrait alors une revanche historique
! C’est bien le projet du PDK dirigé par
le clan Barzani, mais il y a loin de la
coupe aux lèvres. Ni l’Irak, ni l’Iran,
ni la Turquie n’accepteront ce
démembrement d’un Etat souverain, fût-il
appuyé en sous-main par le puissant
protecteur US. Quant à l’alliance avec
Israël, on se demande si les Kurdes
réalisent que Tel Aviv les soutient
comme la corde soutient le pendu.
Prudents, les Kurdes syriens dialoguent
de leur côté avec Damas, qui s’est dit
prêt à négocier une fois scellé le sort
de Daech.
Véritable cas
d’école, la situation des Kurdes syriens
illustre l’impasse du séparatisme. Car
si d’aventure ils décidaient de
proclamer leur indépendance, ils
ouvriraient les portes de l’enfer. Pris
en tenailles entre les forces turques et
syriennes, cet Etat non viable d’1,5
million de Kurdes serait rapidement rayé
de la carte. Sans doute ont-ils fini par
comprendre que l’autonomie kurde n’est
négociable qu’à condition de renoncer au
séparatisme et que leur avenir est
d’appartenir à une Syrie souveraine et
réconciliée. Mais comme au Kosovo et au
Sud-Soudan, les velléités séparatistes
sont manipulées par des puissances qui
ont intérêt à déstabiliser les Etats
souverains. Le sort des Kurdes dans la
région est entre leurs mains, et ils
auraient tort de le confier à leurs faux
amis impérialistes.
Le séparatisme, au
fond, est un syndrome qui atteint des
populations blessées par l’histoire à
qui de faux médecins inoculent de faux
remèdes. Les Catalans qui rêvent
d’indépendance ont sans doute de bonnes
raisons d’en vouloir au gouvernement
central espagnol. Ils ont légitimement
conservé la mémoire des années noires de
la répression franquiste. Mais l’Espagne
de 2017 n’est pas franquiste, et la
sécession de la Catalogne la
déstabiliserait, la blesserait. Violer
la loi de l’Etat espagnol, qui est un
Etat souverain, n’est pas un acte
anodin. Le séparatisme catalan porterait
un coup redoutable à la souveraineté
nationale en Europe du Sud, et ce sont
les “peuples d’Espagne” qui en feraient
indistinctement les frais.
Région développée
qui pèse 19% du PIB espagnol, la
Catalogne n’est pas le Kosovo. Nourri
par la mémoire historique et
l’irrédentisme culturel, son séparatisme
ne manque pas de panache. Mais il ne
faut pas se raconter d’histoires, c’est
aussi un égoïsme de riches. Les
dirigeants de la Catalogne s’imaginent
que sa puissance économique irriguera sa
souveraineté politique. Une fois libéré
du fardeau espagnol, soulagé du poids de
la solidarité nationale, le dynamisme
catalan fera des prodiges ! C’est un
secret de polichinelle, que même
l’extrême-gauche ne peut ignorer : la
bourgeoisie locale entend tirer profit
de l’indépendance pour instaurer un
modèle néo-libéral. Il n’est pas sûr que
les jeunes et les ouvriers partagent ce
projet, et on compte sans doute sur
l’illusion lyrique du 10 octobre pour
résoudre toutes ces contradictions.
Mais ce n’est pas
tout. Les dirigeants de Barcelone
veulent quitter l’Espagne sans quitter
l’UE, ils veulent fonder une “nouvelle
nation en Europe”, mais ce projet n’a
pas de sens. Car si l’UE acceptait
l’adhésion d’un Etat sécessionniste,
elle signerait son arrêt de mort. Il est
vrai que les européistes ont plus d’un
tour dans leur sac, et que certains
rêvent d’un démembrement des
Etats-nations au profit des
Euro-régions. Mais ce serait faire
l’aveu que l’UE est une machine à broyer
les Etats souverains, tandis qu’elle
survit péniblement en accréditant la
fiction inverse. Le jour où une région
sécessionniste est admise dans l’UE, qui
pourra encore nier que l’UE sert à
évider la souveraineté nationale par le
haut tout en la faisant imploser par le
bas ? Le syndrome séparatiste, en
frappant l’Europe, aura-t-il pour vertu
de faire tomber les masques ?
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