Yémen
En Occident, pas de pleureuses
pour les enfants yéménites
Bruno Guigue
Mardi 3 janvier 2017
La prospérité de notre industrie de
l'armement vaut bien la vie de quelques
milliers d'enfants yéménites. C'est ce
que répondit implicitement Manuel Valls
lorsqu'on lui demanda ce qu'il pensait
des bombardements saoudiens qui
dévastent le Yémen et terrorisent sa
population. « Est-il indécent de se
battre pour nos emplois ? » répondit le
premier ministre le 15 octobre 2015 sur
Bfm/Tv. « Indécence », dites-vous ? A la
tête d'un gouvernement qui aura
généreusement distribué des armes et des
médailles aux coupeurs de tête du Golfe,
Manuel Valls sait de quoi il parle.
Depuis mars 2015,
la « coalition » conduite par Riyad
déchaîne le feu du ciel contre des
civils sans défense en prétendant
combattre une rébellion houthie coupable
de s'être alliée avec l'ex-président Ali
Abdallah Saleh contre son successeur Abd
Rabbo Mansour Hadi, instrument docile de
la monarchie saoudienne. Selon l'ONU,
cette intervention militaire meurtrière
a fait plus de 10 000 victimes. Elle a
provoqué une catastrophe humanitaire,
400 000 enfants souffrant de
malnutrition dans un pays dévasté par
les bombardements et privé de ressources
par l'embargo que lui imposent les
pétromonarchies.
Dans une totale
impunité, l'aviation saoudienne
n'épargne ni les écoles, ni les
hôpitaux, ni les cérémonies religieuses.
Elle répand la terreur, elle cherche à
faire plier, en la soumettant à un
déluge de feu, une résistance qui
infligerait une cuisante défaite aux
forces coalisées si elles avaient le
courage de l'affronter sur le champ de
bataille. Les wahhabites, en fait, ne
mènent pas une guerre contre des
combattants, mais une entreprise
systématique de démoralisation de la
population, de destruction totale,
d'arasement des infrastructures du pays.
Cette œuvre
mortifère, ses auteurs la justifient en
invoquant la légalité internationale. Le
mouvement « Ansarullah », en effet, a
investi la capitale du pays en septembre
2014 et poussé le président Mansour Hadi
à la démission en janvier 2015. Effet à
retardement de la « révolution » ratée
de 2011, ce succès inattendu a pris de
court les Saoudiens et leurs parrains
occidentaux. Décidés à intervenir dans
le conflit, ils ont obtenu du conseil de
sécurité de l'ONU le vote de la
résolution 2216 du 14 avril 2015
condamnant la prise du pouvoir par les
Houthis et affirmant la légitimité du
président Hadi.
Cette décision
onusienne a offert à Riyad une
couverture juridique l'autorisant à
frapper le Yémen sans ménagement pour
vaincre la rébellion. Perversion du
droit international, c'est un
chèque-en-blanc qui permet au pays arabe
le plus riche d'écraser sous les bombes
le pays arabe le plus pauvre. Tout se
passe comme si l'agresseur bénéficiait
d'une sorte de permis de tuer à grande
échelle, avec la bénédiction de
puissances occidentales qui lui
fournissent des armes en quantité
illimitée tandis que la rébellion
houthie se voit frappée par l'embargo.
On se demande alors
quel crime le peuple yéménite a pu
commettre pour endurer un tel supplice.
Aurait-il commis des actes terroristes ?
Certainement pas. Il est la première
victime des attentats meurtriers
perpétrés par Daech et Al-Qaida, comme
celui contre les mosquées chiites de
Sanaa qui fit 142 morts le 20 mars 2015.
Ces organisations, en revanche, ont
longtemps bénéficié de l'étrange
inaction de la coalition, notamment dans
la région d'Al-Mukallah. Peine perdue !
Cette alliance objective sur fond de
haine anti-chiite n'a pas mis les forces
« loyalistes » à l'abri des
attentats-suicides qui les frappent à
leur tour en 2016.
D'où vient, alors,
l'acharnement de Riyad contre le Yémen ?
Selon la propagande saoudienne, il
serait justifié par la complicité des
Houthis avec Téhéran. Appartenant à la
communauté chiite « zaydite », le
mouvement « Ansarullah » servirait les
ambitions géopolitiques de l'Iran. Les
causes du conflit yéménite sont
endogènes, l'aide fournie par les
Iraniens aux rebelles est dérisoire,
mais Riyad s'obstine à dénoncer
l'influence malfaisante des mollahs.
C'est une situation ubuesque. Les
Houthis sont coupés du monde par
l'embargo et bombardés par une puissante
aviation, et Riyad les traite, sur leur
propre sol, comme s'ils étaient des
mercenaires étrangers !
Le voilà donc, son
crime, à ce Yémen rebelle. Il est en
cheville avec les forces du mal, il
pactise avec le diable. Décidément
inconscients, les Houthis admirent le
Hezbollah libanais, ils soutiennent la
Syrie souveraine, ils croient encore au
nationalisme arabe. Pour ceux qui
entendent asservir la région aux
intérêts impérialistes, Sanaa est une
épine dans le pied. Le Yémen a commis
une faute politique qu'il va devoir
expier dans la douleur. Vu de Riyad, il
va falloir étouffer ce foyer de
contestation d'un ordre impérial auquel
se cramponnent des pétromonarchies
vermoulues. L'Arabie saoudite ne veut
pas, tout simplement, d'un Yémen
indépendant et unifié.
Pour ce pays
martyrisé qui n'intéresse personne, on
n'entendra pas de jérémiades. Ni «
génocide », ni « massacre », ni «
barbarie » à l'horizon dans les colonnes
de la presse mainstream. Le chœur des
pleureuses occidentales est aux abonnés
absents. Ni « Casques blancs » financés
par des fondations anglo-saxonnes, ni
parlementaires français en goguette pour
« éveiller les consciences », ni
gauchistes indignés qui appellent à la «
solidarité révolutionnaire », ni
droits-de-l'hommistes qui signent
héroïquement des pétitions à la pelle,
rien, nada. Le Yémen est sorti des
écrans-radar, rayé de la liste des
causes qui en valent la peine. Il est
abandonné aux criminels wahhabites par
l'indécente lâcheté d'un Occident
complice. Mais, qui sait, le peuple
yéménite n'a peut-être pas dit son
dernier mot.
Bruno Guigue
(03/01/2017)
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