Analyse
Israël veut la guerre,
mais ses adversaires la lui refusent
Bruno Guigue
Mardi 1er mai 2018
Israël bombarde à nouveau la Syrie,
Israël simplifie sa procédure
d’engagement militaire, Israël accuse
l’Iran de détenir l’arme atomique ...
Pas de doute, voyons : Israël, c’est la
paix, l’amour entre les peuples et la
lumière des nations. Entité métaphysique
investie de prérogatives hors du commun,
elle a le droit de bombarder qui elle
veut quand elle veut ! Pour obtenir
cette impunité, il est vrai que
l’Etat-colon a colonisé tout le monde :
Washington, Paris, Londres et même
l’ONU. En attendant, ce fauteur de
guerre bombarde la Syrie, quitte à
provoquer une escalade dévastatrice.
C’est hallucinant, mais le tir de
missiles du 30 avril est la centième
opération israélienne contre la Syrie
depuis 2013. Lorsqu’ils visent des
installations militaires en Syrie,
pourtant, les dirigeants sionistes se
doutent bien que Damas et Téhéran
(également visé) finiront par répliquer.
Il ne leur a pas échappé qu’un avion
israélien (deux, si l’on en croit
certaines sources) a été abattu en
février, ni que la DCA syrienne a
repoussé la majorité des missiles lancés
le 14 avril par le trio néocolonial.
Mais c’est un fait : aucune action de
représailles n’a été engagée contre
Israël pour ces agressions, ni contre
les pays occidentaux pour celle du 14
avril. Directement visés par des actes
de guerre, l’Iran et la Syrie observent
une retenue qui nourrit la perplexité de
certains observateurs. Cette patience
calculée, pourtant, l’agresseur aurait
tort de la prendre pour un aveu de
faiblesse. En matière stratégique, faire
preuve de sang-froid n’est pas un
défaut, mais une qualité. Le provocateur
cherche toujours à imposer son agenda.
Lui répliquer sans attendre revient à
accepter ses conditions. Il en va de
même des provocations verbales, et on a
vu avec quelle ironie Téhéran a répondu
aux dernières accusations sur son
prétendu programme clandestin. Ces «
allégations éculées », a déclaré le
ministre iranien des affaires
étrangères, ne sont que le « bluff
ressassé » digne d’un « garçon qui crie
au loup ». Lorsqu’un Etat qui détient
300 têtes nucléaires soustraites à tout
contrôle international fait la leçon à
un Etat dépourvu d’arme nucléaire et
soumis à un strict contrôle de l’AIEA,
en effet, on se dit que la réalité
dépasse la fiction.
Mais si l’Iran et
la Syrie ne renvoient pas à l’agresseur
la monnaie de sa pièce (du moins pas
tout de suite) et se contentent d’une
attitude défensive, c’est pour la simple
raison qu’ils ne veulent pas d’une
confrontation militaire avec un
adversaire dont ils connaissent la folie
meurtrière. Fruit d’une guerre
coloniale, l’entité sioniste ne prospère
qu’en rendant cette guerre perpétuelle,
car elle justifie la violence
structurelle exercée sur les
Palestiniens - qu’Israël a spoliés - et
sur tous ceux qui lui résistent dans la
région. A l’opposé, l’Iran et la Syrie
n’exercent aucune domination coloniale
et n’agressent aucun Etat étranger. Loin
de souhaiter la guerre, ces deux pays
redoutent au contraire un embrasement
général qui s’abattrait comme un fléau
sur les peuples de la région. Victimes
de la guerre et de l’embargo, la Syrie
et l’Iran n’aspirent qu’à la
reconstruction et au développement.
S’ils s’abstiennent de répliquer aux
agressions étrangères, c’est parce
qu’ils ont d’autres priorités, et que le
jeu, pour l’instant, n’en vaut pas la
chandelle.
L’avenir dira s’ils
ont eu raison, mais ces deux Etats
privilégient à l’heure actuelle une
stratégie défensive qui a fait ses
preuves lors de l’agression tripartite
du 14 avril. 70 % des missiles ennemis
ont été neutralisés, et la défense
antiaérienne syrienne dissuade désormais
les aéronefs hostiles de s’aventurer
dans l’espace aérien syrien. A propos de
l’attaque israélienne du 30 avril,
certaines sources évoquent l’emploi de
missiles de moyenne portée dernier cri
lancés depuis l’espace aérien jordanien.
Ces missiles seraient capables, dans les
conditions actuelles, de déjouer les
radars de la DCA. Si cette information
est exacte, c’est un nouveau défi lancé
à l’armée syrienne et à ses alliés,
notamment russes, qui ont déclaré qu’ils
livreraient prochainement des S-300 à la
Syrie. Quoi qu’il en soit, Moscou ne
tient pas plus que Damas et Téhéran à ce
que la confrontation actuelle dégénère
en guerre ouverte. Son intervention
militaire en Syrie a fait la preuve de
son efficacité depuis octobre 2015. Mais
il est clair que la Russie ne se
laissera pas entraîner dans un conflit
majeur sur un théâtre d’opérations
éloigné du sol national.
On lit parfois que
Moscou aurait passé un accord avec
Israël l’autorisant à frapper le
Hezbollah et l’Iran en échange de sa
neutralité dans le conflit syrien.
Aucune preuve n’a jamais été fournie
d’un tel accord, et il est
invraisemblable. La coordination
opérationnelle entre les forces
syriennes et alliées sur le terrain, de
facto, interdirait ce double jeu. La
Russie s’est engagée dans un conflit qui
oppose l’État syrien et un terrorisme
d’importation. Dans ce domaine, on ne
peut pas dire qu’elle ait fait défaut à
ses alliés : Daech est quasiment
éradiqué, et ses multiples avatars sont
mal en point. Mais Moscou évite
soigneusement toute escalade avec les
Etats de la région. La Turquie approuve
les bombardements occidentaux sur la
Syrie, mais cela n’empêche pas la Russie
d’associer la Turquie aux négociations
d’Astana. L’enchevêtrement des conflits
dans la région brouille les pistes,
c’est vrai. Mais nous sommes dans le
monde réel. La force des choses conduit
les uns et les autres à faire des
compromis, et seul le résultat compte.
Qu’auraient à gagner la Syrie et l’Iran,
aujourd’hui, à une guerre totale avec
Israël et les USA ? C’est bien parce
qu’ils n’en veulent pas qu’ils ne
répondent pas aux provocations. Ils se
réservent le droit de le faire à leur
manière et au bon moment, celui qu’ils
auront choisi. La victoire est une
longue patience.
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