Actualité
L'assassinat de Qassem Soleimani
et l'assassinat comme politique d’État
Bill Van Auken
Le président Donald Trump prononce un
discours sur l'Iran, dans sa propriété
de Mar-a-Lago,
le vendredi 3 janvier
2020, à Palm Beach, en Floride. (AP
Photo/
Evan
Vucci)
Lundi 6 janvier 2020 Avec l'assassinat
par un drone du général iranien Qassem
Soleimani et de sept autres personnes à
l'aéroport international de Bagdad aux
petites heures du matin vendredi,
l'administration Trump a perpétré un
acte criminel de terrorisme d'État qui a
stupéfié le monde entier.
Le meurtre de
sang-froid par Washington d'un général
de l'armée iranienne et d'un homme
largement décrit comme la deuxième
personnalité la plus puissante de
Téhéran est incontestablement à la fois
un crime de guerre et un acte de guerre
direct contre l'Iran.
Il faudra peut-être
un certain temps avant que l'Iran ne
réagisse à ce meurtre. Il ne fait aucun
doute que Téhéran réagira, en fait,
surtout face à l'indignation du public
au sujet du meurtre d'une figure qui
avait un grand nombre de partisans.
Mais l'Iran
consacrera sans doute à sa réponse
beaucoup plus d'attention que Washington
n'en a accordé à son action criminelle.
Le Conseil national de sécurité du pays
s'est réuni vendredi et, selon toute
probabilité, les responsables iraniens
discuteront du meurtre de Soleimani avec
Moscou, Pékin et, très probablement,
avec l'Europe. Les responsables
américains et les médias capitalistes
semblent presque vouloir des
représailles immédiates pour leurs
propres fins, mais les Iraniens ont de
nombreuses options.
C'est un fait
politique que l'assassinat de Soleimani
a effectivement déclenché une guerre des
États-Unis contre l'Iran, un pays quatre
fois plus grand et avec plus du double
de la population de l'Irak. Une telle
guerre menacerait de propager le conflit
armé dans toute la région et, en fait,
dans le monde entier, avec des
conséquences incalculables.
Ce crime, motivé
par le désespoir croissant des
États-Unis face à leur position au
Moyen-Orient et la crise interne
croissante au sein de l'administration
Trump, est stupéfiant par son degré
d'imprudence et d'anarchie. Le recours
par les États-Unis à un acte aussi
odieux témoigne du fait qu'ils n'ont
atteint aucun des objectifs stratégiques
qui ont conduit aux invasions de l'Irak
en 1991 et 2003.
Le meurtre de
Soleimani est l'aboutissement d'un long
processus de criminalisation de la
politique étrangère américaine. Les
«assassinats ciblés», un terme introduit
dans le lexique de la politique
impérialiste mondiale par Israël, ont
été utilisés par l'impérialisme
américain contre des terroristes
présumés dans des pays s'étendant de
l'Asie du Sud au Moyen-Orient et à
l'Afrique au cours de près de deux
décennies. Il est toutefois sans
précédent que le président des
États-Unis ordonne et revendique
publiquement le meurtre d'un haut
fonctionnaire en visite légale et
ouverte dans un pays tiers.
Soleimani, le chef
de la Force Quds du Corps des gardiens
de la révolution islamique en Iran,
n'était pas un Oussama ben Laden ou un
Abou Bakr al-Baghdadi. Au contraire, il
a joué un rôle central dans la défaite
des forces d'Al-Qaïda et de l’État
islamique (EI), que ces deux figures,
toutes deux assassinées par les
escadrons de la mort des opérations
spéciales américaines, avaient dirigées.
Des centaines de
milliers de personnes ont rempli les
rues de Téhéran et des villes à travers
l'Iran vendredi pour pleurer et
protester contre le meurtre de Soleimani,
qui était considéré comme une icône du
nationalisme iranien et de la résistance
aux attaques de l'impérialisme américain
sur le pays depuis des décennies.
En Irak, l'attaque
du drone américain a été fermement
condamnée comme une violation de la
souveraineté du pays et du droit
international. Parmi ses victimes, on
compte non seulement Soleimani, mais
aussi Abu Mahdi al-Muhandis, le
commandant en second des Forces de
mobilisation populaire (FMP) irakiennes,
la coalition de milices chiites comptant
100.000 combattants qui est considérée
comme faisant partie des forces armées
du pays.
Cette réponse
tourne en dérision les déclarations de
voyou ignorantes de Trump et de ses
conseillers. Le président américain,
s'exprimant depuis son lieu de
villégiature de Mar-a-Lago en Floride,
s'est vanté d'avoir «tué le terroriste
numéro un dans le monde». Il a poursuivi
en affirmant que «Soleimani complotait
des attaques imminentes et sinistres
contre des diplomates et des militaires
américains, mais nous l'avons pris sur
le fait et nous l'avons éliminé.»
Trump a accusé le
général iranien de «perpétrer des actes
de terreur pour déstabiliser le
Moyen-Orient depuis 20 ans.» Il a
déclaré: «Ce que les États-Unis ont fait
hier aurait dû être fait il y a
longtemps. Beaucoup de vies auraient été
sauvées.»
Qui le président
américain pense-t-il tromper avec sa
rhétorique mafieuse? Les 20 dernières
années ont vu le Moyen-Orient dévasté
par une série d'interventions
impérialistes américaines. L'invasion
américaine illégale de l'Irak en 2003,
basée sur des mensonges concernant les
«armes de destruction massive», a coûté
la vie à plus d'un million de personnes,
tout en décimant ce qui avait été l'une
des sociétés les plus avancées du monde
arabe. Avec la guerre de dix-huit ans
menée par Washington en Afghanistan et
les guerres de changement de régime
lancées en Libye et en Syrie,
l'impérialisme américain a déclenché une
crise régionale qui a tué des millions
de personnes et en a forcé des dizaines
de millions à fuir leurs foyers.
Soleimani, que
Trump a accusé d'avoir «fait de la mort
d'innocents sa passion malade» - une
description appropriée de lui-même -
s'est élevé à la tête de l'armée
iranienne pendant la guerre Iran-Irak
qui a duré huit ans et qui a coûté la
vie à environ un million d'Iraniens.
Il s'est fait
connaître de l'appareil militaire, de
renseignement et diplomatique américain
en 2001, lorsque Téhéran a fourni des
renseignements à Washington pour l'aider
à envahir l'Afghanistan. Au cours de la
guerre américaine en Irak, les
responsables américains ont mené des
négociations indirectes avec Soleimani
alors même que sa Force Quds apportait
son aide aux milices chiites qui
résistaient à l'occupation américaine.
Il a joué un rôle central dans le choix
des politiciens chiites irakiens qui ont
dirigé les régimes installés sous
l'occupation américaine.
Soleimani a ensuite
joué un rôle de premier plan dans
l'organisation de la défaite des milices
liées à Al-Qaïda qui se sont déchaînées
contre le gouvernement de Bachar al-Assad
dans la guerre orchestrée par la CIA
pour le changement de régime en Syrie,
puis dans le ralliement des milices
chiites pour vaincre la progéniture
d'Al-Qaïda, l'EI, après qu'il eut envahi
environ un tiers de l'Irak, en mettant
en déroute les forces de sécurité
formées par les États-Unis.
Qualifier un tel
personnage de «terroriste» signifie
seulement que tout fonctionnaire ou
commandant militaire d'un État,
n'importe où dans le monde, qui entrave
les intérêts de Washington et des
banques et sociétés américaines, peut
être qualifié de tel et être ciblé pour
un meurtre. L'attaque de l'aéroport de
Bagdad montre que les règles
d'engagement ont changé. Toutes les
«lignes rouges» ont
été franchies. À l'avenir, la cible
pourrait être un général ou même un
président en Russie, en Chine ou, en
fait, dans n'importe quelle capitale des
anciens alliés de Washington.
Après cet
assassinat célébré publiquement -
ouvertement revendiqué par un président
américain sans même un semblant de déni
- y a-t-il un chef d'État ou une figure
militaire éminente dans le monde qui
puisse rencontrer des responsables
américains sans avoir à l'esprit que si
les choses ne se passent pas bien, il
pourrait lui aussi être assassiné?
L'assassinat du
général Soleimani à Bagdad a été comparé
par Die Zeit, l'un des journaux
allemands de référence, à l'assassinat
de l'archiduc François-Ferdinand
d'Autriche en 1914. Comme dans le cas
précédent, il a déclaré: «Le monde
entier retient son souffle et attend
anxieusement ce qui pourrait arriver.»
Cet acte criminel
comporte la menace d'une guerre mondiale
et d'une répression dictatoriale à
l'intérieur des frontières des
États-Unis. Il n'y a aucune raison de
croire qu'un gouvernement qui a adopté
le meurtre comme instrument de politique
étrangère s'abstiendra d'utiliser les
mêmes méthodes contre ses ennemis
intérieurs.
L'assassinat de
Soleimani est une expression de la crise
extrême et du désespoir d'un système
capitaliste qui menace de jeter
l'humanité dans l'abîme.
La réponse à ce
danger réside dans la croissance
internationale de la lutte des classes.
Le début de la troisième décennie du 21e
siècle est témoin non seulement de la
poussée vers la guerre, mais aussi de la
montée en puissance de millions de
travailleurs à travers le Moyen-Orient,
l'Europe, les États-Unis, l'Amérique
latine, l'Asie et tous les coins du
monde dans la lutte contre les
inégalités sociales et les attaques
contre les droits sociaux et
démocratiques fondamentaux.
C'est la seule
force sociale sur laquelle peut se
fonder une véritable opposition à la
campagne de guerre des élites
capitalistes au pouvoir. La réponse
nécessaire au danger de guerre
impérialiste est d'unifier ces luttes
croissantes de la classe ouvrière par la
construction d'un mouvement anti-guerre
socialiste, international et uni.
(Article paru en
anglais le 4 janvier 2020)
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