Monde
TRUMP/USA : 24 questions interdites
Andrew J. Bacevich
Lundi 29 mai 2017
Par Andrew J. Bacevich (revue de
presse : tomdispatch.com – 7/5/17)*
L’élection de Trump
a donné lieu à des affirmations
enflammées de la presse élitiste pour un
engagement renouvelé de ne dire rien que
la vérité. Le leitmotiv récurent est :
vous savez qu’il ne dit pas la vérité
mais faites-nous confiance pour que nous
le harcelions en votre nom……Si seulement
c’était le cas. Comme ce serait
formidable que la prise de pouvoir par
Trump coïncide avec le renouveau d’un
journalisme américain percutant, profond
et tout azimut. Hélas, rien de tel ne
s’est passé….. Cela dit, mettre le doigt
sur les mensonges du Président, sur le
crédit dont il se vante pour des
réalisations inexistantes ou sa
rétraction de promesses ou déclarations
proférées auparavant, requière plus que
les talents de limier de Sherlock
Holmes.
A l’exception d’une
détermination louable pour décontenancer
Trump et son cercle proche (sauf
quelques personnalités militaires, au
moins pour le moment) , le journalisme
US demeure à peu près ce qu’il a été
jusqu’au 8 novembre 2016, à savoir des
personnalités construites pour être tout
simplement détruites, des coups-de-cœur
et des nouveautés découvertes, célébrées
puis moquées, des histoires «
extraordinaires » de gens simples
pendant 15 secondes de gloire pour être
jetées aux oubliettes, tout cela servi
comme accompagnement au quota de
massacres, de souffrance et de
dévastation… Tel qu’il se présente aux
USA …. le journalisme reste voyeuriste
et ne nécessitant que la concentration
d’un enfant de 2 ans. ….
Plutôt que de
clarifier l’air, ils (rédacteurs,
chroniqueurs, etc..) l’embrument.
L’obsession de la presse pour Trump – de
chaque tweet ou propos ils en font une «
nouvelle »- n’est qu’une excuse pour
illustrer le trivial, alors que les
vraies questions, celles qui demandent
de l’attention, sont passées sous
silence. Laissez-moi vous citer des
exemples sur la sécurité nationale qui
ne reçoivent qu’un intérêt limité ou
sont carrément ignorés par ce 4ème
pouvoir, prétendument là pour aider à
définir l’agenda politique du pays.
-
Accomplir « la mission ».
Depuis la fin de la 2ème
guerre mondiale, les Etats-Unis se
sont engagés à défendre leurs
principaux alliés en Europe et en
Asie du sud-ouest. Peu après, cet
engagement couvrait aussi le Moyen
Orient. Comment les Etats-Unis
pensent-ils que ces nations pourront
assurer la responsabilité de leurs
affaires ? Ou encore, quand (si
jamais) les forces US vont-elles
rentrer chez elles ? S’il incombe
aux Etats-Unis de faire la police
sur de vastes espaces du globe en
permanence, comment les changements
importants de l’ordre international
– l’émergence de la Chine ou les
changements climatiques- vont-ils se
faire sentir sur cette « mission ».
-
Suprématie militaire. L’armée
américaine est sans conteste la
meilleure. Elle est, de plus et de
loin, la mieux financée avec des
législateurs offrant aux troupes
toutes les opportunités pour
pratiquer leur art. Aussi
pourquoi cette grande armée
n’arrive-t-elle pas à gagner ?
Ou encore, pourquoi ces dernières
décades ces forces ont-elles été
incapables de réaliser les objectifs
militaires déclarés de Washington ?
Pourquoi les 15 années de guerre
contre le terrorisme n’ont-elles pas
apporté une seule vraie victoire
dans le Grand Moyen-Orient ? Se
peut-il que notre approche eût été
mauvaise ? Devrions-nous agir
autrement ?
-
Les bases de l’empire américain.
Les forces militaires US sont en
garnison sur toute la planète, un
fait sans précédent dans l’histoire.
Les administrations successives,
quel que soit le parti, justifient
et perpétuent cette politique en
insistant sur l’idée que ce
cantonnement sur des terres
lointaines, encourage la paix, la
stabilité et la sécurité. A notre
siècle, cependant, entériner cette
pratique a visiblement l’effet
inverse. Pour beaucoup de ceux
qui doivent « héberger » ces bases
US, leur présence permanente a un
relent d’ « occupation ». Ils
résistent. Pourquoi devrait-il en
être autrement pour les politiciens
américains ?
-
Soutien des troupes. Dans
l’Amérique d’aujourd’hui, exprimer
du respect pour ceux qui servent
ressemble à une obligation
religieuse. Tout un chacun professe
son amour pour les soldats US mais
ces démonstrations, superficielles
en réalité, camouflent un fossé
grandissant entre ceux qui servent
et ceux qui applaudissent en retrait.
Notre système militaire actuel, basé
sur un prétendu volontariat, n’est
ni démocratique, ni efficient.
Pourquoi alors n’y-a-t-il pas de
discussion, de débat sur ces
déficiences dans le cadre des
priorités du pays ?
-
Prérogatives du
commandant-en-chef. Y-a-t-il des
actions militaires que le président
des Etats-Unis peut autoriser de par
ses prérogatives ? Si oui, quelles
sont-elles ? Petit à petit, décade
après décade, le Congrès a
abdiqué le rôle qui était le sien
d’autoriser la guerre.
Aujourd’hui, il ne fait
qu’enregistre ce que le président
décide (ou tout simplement dire «
hum ») A qui cette déférence devant
une présidence impériale
profite-t-elle ? La politique
américaine est-elle devenue plus
prudente, plus éclairée et plus
couronnée de succès ?
-
Assassin-en-chef. Une
politique d’assassinats, poursuivie
secrètement sous les auspices de la
CIA au cours de la guerre froide,
n’a rencontré que de maigres succès.
Quand ces secrets furent éventés,
les gouvernements connurent des
déconfitures considérables, de telle
sorte que les présidents renoncèrent
au meurtre politique. Après le 11
septembre, cependant, Washington
revint à cette tradition sur une
grande échelle, une grande aire, par
le recours aux drones. Aujourd’hui,
le seul secret qui demeure est celui
des noms sur la liste présidentielle
des cibles, connue sous l’euphémisme
de la «matrice à disposition »
(disposition matrix) de la Maison
Blanche. Mais, l’assassinat
fait-il progresser les intérêts des
Américains (ou procède-t-il
simplement à des remplacements pour
les terroristes qu’il liquide?)
Comment pouvons-nous en évaluer le
coût, direct ou indirect ? Quels
sont les dangers et les faiblesses
que cette pratique implique?
-
La guerre connue sous le vocable
de « Guerre totale au terrorisme » :
Quelle est exactement la stratégie
actuelle de Washington pour mettre à
bas le djihadisme violent ?
Quelles actions ont-elles été
planifiées et avec quelle chance de
succès ? Si aucune stratégie de ce
type n’existe, quelles en sont les
raisons ?
-
La campagne connue auparavant
sous le nom de Opération Liberté
Immuable : le conflit qu’est
la Guerre en Afghanistan est
maintenant le conflit le plus long
de l’histoire des Etats-Unis, durant
plus longtemps que la Guerre de
Sécession, la 1ère guerre
mondiale, la 2ème
combinées. Quel est le plan du
Pentagone pour le conclure ? Quand
les Américains peuvent-ils espérer
qu’il se terminera ? Sur quels
termes?
-
Le Golfe. Les Américains ont
à un moment cru que leur prospérité
et leur mode de vie dépendaient de
l’accès libre à l’or noir du Golfe
persique ce qui n’est plus le cas à
l’heure actuelle. Les Etats-Unis
sont redevenus un exportateur de
pétrole. Des ressources disponibles
et accessibles de gaz et pétrole en
Amérique du nord sont bien plus
grandes que ce que nous n’avions
jamais cru. Et, cependant, l’idée
que le Golfe Persique s’avère
toujours capital pour la sécurité
intérieure américaine persiste à
Washington ? Pourquoi ?
-
Battage autour du terrorisme.
Tous les ans, les terroristes tuent
moins d’Américains que les
accidents, la drogue ou même les
éclairs. Et, cependant, les
allocations du gouvernement pour
prévenir les attaques terroristes
ont la priorité sur les trois
combinées ? Pourquoi ?
-
Les morts importants et les morts
sans importance. Pourquoi les
attaques terroristes qui touchent
une poignée d’Européens drainent
plus l’attention que celles qui
tuent un plus grand nombre d’Arabes.
Une attaque terroriste qui tue des
individus en France ou en Belgique
arrache des vagues de sympathie et
de solidarité de la part des
Américains. Une attaque
terroriste qui tue des Egyptiens ou
des Iraquiens ne provoque que des
haussements d’épaule. Pourquoi
cette différence ? Dans quelle
mesure la race offre-t-elle une
réponse à cette question ?
-
Les armes nucléaires d’Israël.
A quoi sert-il de prétendre
qu’Israël ne possède pas d’armes
nucléaires ?
-
La Paix en Terre sainte. Que
cherche-t-on quand on s’arc-boute
sur l’illusion qu’une « solution à
deux Etats » offre une solution
plausible au conflit
israélo-palestinien ? De la même
manière que les colons blancs se
sont emparés de territoires
auparavant habités par des tribus
autochtones américaines, les colons
israéliens étendent leur présence
dans les territoires occupés d’année
en année. Ce faisant, la
possibilité d’édifier un Etat
palestinien viable devient de plus
en plus improbable. Prétendre le
contraire s’apparente à l’idée qu’un
jour Trump préférera la rusticité de
Camp David au clinquant de Mar-a-Lago.
-
Vendre la mort. Parlant de
vente d’armes, il n’est pas
nécessaire de faire l’Amérique plus
Grande Encore. Les Etats-Unis sont,
de loin, le numéro 1 avec leurs
alliés de longue date et principaux
acheteurs que sont l’Arabie saoudite
ou Israël. Chaque année, l’Arabie
saoudite (avec un produit intérieur
brut de 20 000 dollars par tête)
achète des centaines de millions de
dollars d’armes américaines. Israël
(p.i.b de 38 000 dollars par tête)
obtient plusieurs milliards de
dollars de ces armes par an grâce à
la générosité du contribuable US.
Si les Saoudiens peuvent payer pour
leurs armes, pourquoi les Israéliens
ne le pourraient-ils pas ?
-
Nos amis les Saoudiens (1).
15 des 19 des auteurs du 11
Septembre 2001 étaient des Saoudiens
? Qu’est-ce que cela signifie?
-
Nos amis les Saoudiens (2).
S’il est vrai que l’Arabie saoudite
et l’Iran se disputent pour savoir
qui aura la main haute sur le Golfe
persique, pourquoi les Etats-Unis
favorisent-il l’Arabie Saoudite ? De
quelle manière les valeurs des
Saoudiens sont-elles plus en phase
avec les valeurs américaines que
celles des Iraniens ?
-
Nos amis les Pakistanais. Le
Pakistan se conduit comme un Etat
voyou. C’est un proliférateur
nucléaire. Il soutient les Talibans
et pendant des années, a été un
sanctuaire pour Osama Ben Laden.
Malgré cela, les dirigeants US le
traitent comme un allié. Pourquoi ?
De quelle manière les intérêts des
Américains et ceux des Pakistanais
coïncident-ils ? S’il n’y en a pas,
pourquoi ne pas le dire ?
-
Les Européens dépendants.
Pourquoi l’Europe « entière et libre
» sa population et son économie
considérablement plus grandes que
celles de la Russie ne pourrait-elle
pas se défendre elle-même ? Il est
louable que les dirigeants
américains apportent leur soutien à
l’indépendance de la Pologne et
encouragent les républiques baltes.
Mais est-ce que cela a un sens, que
les Etats-Unis se préoccupent plus
du bien-être des peuples vivant en
Europe de l’Est que de ceux vivant
en Europe de l’Ouest ?
-
La mère de « toutes les relations
spéciales ». Les Etats-Unis et
le Royaume-Uni ont « une relation
spéciale » remontant à Franklin
Roosevelt et Winston Churchill.
Quelle est la raison d’être de cette
relation ? Pourquoi les relations
entre ces deux pays, dont un, la
Grande-Bretagne, en déclin,
seraient-elles plus « spéciales »
que ses relations avec un pays
émergeant comme l’Inde ?
Pourquoi les liens entre les
Américains et les Britanniques
seraient-ils plus intimes que ceux
unissant les Américains et les
Mexicains ? Pourquoi une république
fêtant bientôt son 241ème
anniversaire a-t-elle encore besoin
d’une « mère-patrie ».
-
Les billevesées sur l’ancien
désarmement nucléaire. Les
présidents américains épisodiquement
parlent de leur espoir de voir
l’élimination des armes nucléaires.
Mais ils maintiennent une force de
frappe en alerte maximale, se sont
embarqués dans une modernisation
coûteuse, en millions de milliards
de dollars, et globale de leur
arsenal nucléaire et adoptent même,
en cas de guerre nucléaire, le
recours le premier à ces armes. La
vérité est que les Etats-Unis
n’envisagent de renoncer à leurs
armes que lorsque toutes les autres
nations du globe l’auront fait.
Comment l’hypocrisie américaine
affecte-t-elle la perspective d’un
désarmement nucléaire global ou
simplement la non-prolifération de
telles armes ?
-
Doubles standards (1). Les
dirigeants américains considèrent
comme acquis que la sphère
d’influence de leur pays est totale,
ce qui, à son tour, fournit la
raison d’être pour le déploiement de
leurs forces dans des douzaines de
pays. Mais pour des pays comme la
Russie, la Chine, ou l’Iran ;
Washington est d’avis que la sphère
d’influence est obsolète et que
c’est un principe qui ne doit plus
s’appliquer en tant que pratique
d’Etat. Aussi les forces chinoises,
russes, iraniennes doivent rester là
où elles sont, dans leur pays.
S’égarer au-delà est une
provocation, autant qu’une menace
pour la paix et l’ordre dans le
monde. Pourquoi ces pays
devraient-ils appliquer les règles
du jeu américain ? Pourquoi les
mêmes règles ne s’appliquent-elles
pas aux USA ?
-
Doubles standards (2). Les
Etats-Unis prétendent qu’ils
respectent et soutiennent le droit
international, mais quand ce droit
s’immisce dans ce que veulent faire
ses politiciens, ils l’ignorent. Ils
commencent des guerres, violent la
souveraineté des autres pays,
autorisent leurs agents à enlever,
emprisonner, torturer, et tuer. Ils
le font en toute impunité, obligés
parfois d’inverser leurs actions en
de rares occasions où les tribunaux
américains en ont révélé
l’illégalité Pourquoi les autres
puissances devraient-elles
considérer les normes comme
sacro-saintes alors que les
Etats-Unis ne le font qu’à leur
convenance ?
-
Doubles standards (3). Les
Etats-Unis condamnent les massacres
indiscriminés de civils en temps de
guerre. Mais, au cours des derniers
75 ans, ils ont régulièrement tué
des civils sur une grande échelle.
Par quelle logique, depuis 1940, le
massacre des Allemands, des
Japonais, Coréens, Vietnamiens,
Laotiens, Cambodgiens, Afghans et
autres par la puissance de feu
aérienne serait-il moins
répréhensible que l’utilisation des
«barils de bombes» aujourd’hui ?
Sur quelle base les Américains
doivent-ils accepter les communiqués
du Pentagone que si les forces US
tuent des civils, ce sont
invariablement des bavures (1),
tandis que les Syriens tuent des
civils intentionnellement et par
sauvagerie ? ….Pourquoi aussi
les Etats-Unis dissimulent-ils
régulièrement les non-combattants
que les Saoudiens avec leur
assistance tuent habituellement au
Yémen ?
-
Obligations morales. Quand
mis devant la violation flagrante de
droits de l’homme, les intellos
s’époumonent pour que les Etats-Unis
« fassent quelque chose ». Les
analogies avec l’Holocauste poussent
comme des pissenlits, les
chroniqueurs recyclent des articles
de quand les Cambodgiens
massacraient les leurs en masse ou
quand les Hutus et les Tutsis s’y
mirent aussi. Les partisans de
l’action – favorisant l’action
militaire- professent que les
Etats-Unis ont une obligation morale
d’aider les victimes de l’injustice,
de la cruauté partout dans le monde.
Mais qu’est-ce qui détermine la
hiérarchie de ces obligations
morales. Qu’est ce qui est
prioritaire, la responsabilité de
réparer les crimes des autres ou
celle de réparer les crimes commis
par les Américains ? Qui peut
prétendre le plus à l’assistance
américaine, les Syriens souffrant
sous le joug de Bashar al Assad ou
les Irakiens dont le pays a été
détruit par l’invasion US de 2003 ?
Où les Vietnamiens doivent-ils
prendre place dans la queue ? Et les
Philippins auxquels on a brutalement
dénié l’indépendance et qui furent
incorporés de force dans un empire
américain à la fin du XIXème siècle
? Ou les Afro-Américains dont les
ancêtres étaient des esclaves ? Ou,
encore les Autochtones américains,
dépossédés et déshérités ?
Existe-t-il des limites statutaires
qui s’appliquent aux obligations
morales ? Si non, ceux qui ont
attendu si longtemps justice ou
compensation ne doivent-ils pas
recevoir une attention prioritaire
?
-
(1)Note AFI-Flash : Dernière
« bavure » en date : le
massacre de 105 civils et d’on ne
sait combien de blessés le 17 mai
dernier dans un bombardement de la
ville de Mossoul.
-
Pour le général James Mattis,
secrétaire d’Etat à la Défense, ces
victimes "sont un fait de la vie
dans ce genre de situation." (sur
CBS)
Traduction et
Synthèse : Xavière Jardez
*Source :
Tomdispatch.com
Le
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