Palestine
“Des Yéménites aux Palestiniens”
Amira Hass
Samedi 19 août 2017
Amira Hass, l’une
des rares journalistes israéliennes à
dénoncer la politique raciste de
l’occupant, revient cette semaine sur la
question de l’enlèvement
institutionnalisé des bébés yéménites. (Cf
notre article sur le sujet :
http://www.europalestine.com/spip.php?article13146 "Le scandale de
l’enlèvement des enfants yéménites (et
autres) persiste, heureusement. Plus on
en parle, plus on le rappelle, mieux
c’est. Même si ceux qui en furent
directement responsables ne sont plus là
pour répondre de leurs actions, on a des
preuves répétées que les plaintes des
familles étaient justifiées. "
Cette fois-ci,
c’est un article du quotidien Yedioth
Aronoth datant de jeudi, qui nous a
remémoré l’histoire des enfants
yéménites. Tamar Kaplansky a interviewé
Shulamit Malik qui, au début des années
cinquante, était puéricultrice dans une
crèche de jour Hapoel Hamizrahi, dans le
camp d’immigrants de Yatziv. Malik a
choisi de se faire interviewer ; elle
avait lu un article de Kaplansky et a
décidé de rompre son silence.
Il s’est avéré que
Malik avait rompu le silence pour la
première fois, il y a dix ans. Elle
avait pris contact avec Rami Tzuberi,
avocat qui représentait des familles
d’enfants qui avaient disparu. Tzuberi a
affirmé qu’il avait donné le nom de
Malik à la commission d’enquête, mais on
ne l’a jamais appelée pour témoigner. En
tant que puéricultrice, elle s’est rendu
compte de la relation entre les
délégations de personnes élégantes qui
visitaient l’établissement et les bébés
en bonne santé qui disparaissaient
quelques jours après. Devenue
grand-mère, elle s’est rappelé, pleine
de désespoir, les parents qui venaient
reprendre leurs enfants – après une
longue journée de travail – et qui
découvraient un lit vide.
Son témoignage ne
révèle rien de nouveau sur ce phénomène.
Elle confirme une fois de plus que ces
familles avaient vu juste, durant des
dizaines d’années, quand elles parlaient
de la disparition systématique des
bébés.
Les familles et les
militants qui n’ont pas permis de noyer
le poisson, peuvent servir d’exemple à
tous les groupes de la société, opprimés
et réduits au silence. Cette affaire est
une leçon importante pour tous les
journalistes et rédacteurs : Écoutez les
gens, je vous en prie. Spécialement
lorsqu’ils ne sont ni riches, ni
célèbres, ni beaux parleurs, ni haut
placés. Écoutez-les, même si nulle
caméra n’a capté tout ce qui s’est
passé, et qu’il n’existe pas de
documents pour corroborer leurs dires.
Manifestez un scepticisme élémentaire
devant les gens au pouvoir. Ils ont
toujours quelque chose à cacher, tout en
se couvrant de ridicule et d’arrogance.
Grande est la
tentation de faire le parallèle avec
l’oppression des Palestiniens – et pas
qu’une simple allusion : Nous ne sommes
pas ici pour nous contenter de décrire
la réalité ; nous voulons la changer.
Dans la lutte contre l’oppression et la
puissance, on espère que la comparaison
va aider un nombre croissant de gens à
faire des révélations – pas dans 66 ans
– à rompre le silence, à résister à
l’oppression et à forger une coalition.
Toutefois, la
tentation de ne pas faire de parallèle
est encore plus grande. Notre culture
politique actuelle, est telle qu’elle ne
permet pas la divulgation de cette
logique parallèle. Actuellement,
l’Establishment de cette époque-là, qui
enlevait les enfants, principalement
juifs-arabes, s’identifie instantanément
avec les Ashkénazes d’une part, et les
perfides amis gauchistes des Arabes,
d’autre part. Pour beaucoup, c’est donc,
en apparence, un simple détail : le fait
que la crèche où travaillait Malik était
gérée par Hapoel Hamizrahi qui n’était
pas exactement de gauche, puisque c’est
à partir de ce groupe que s’est
développé le Parti National Religieux
devenu Habayit Hayehudi - ce que dit
précisément Kaplansky.
De la même manière,
notre opinion publique ne comprend pas
que l’establishment Mapai-Mapam de
l’époque s’est présenté comme de gauche
pour mieux atteindre des buts ethniques
ultra-nationalistes (conquête du sol,
bannissement des Palestiniens).
L’establishment qui ne pense qu’au
bannissement n’a pas changé : même si
aujourd’hui il ne comprend pas
uniquement des Ashkénazes, même si les
successeurs du Mapaï ont renoncé à se
dire de gauche, même si les enfants ne
sont pas enlevés, s’ils sont plutôt
menés vers des voies éducationnelles de
moindre valeur. Par sa façon habituelle
de brouiller la terminologie, la droite
fait de l’enlèvement des enfants un
outil contre la gauche anti-nationaliste,
c’est-à-dire contre les opposants à
l’occupation.
Ne faisons pas
comme eux. Reconnaître l’injustice
systématique et calculée que
l’Establishment ashkénaze a perpétrée
contre les enfants et leurs familles
n’est pas une monnaie d’échange pour
l’opposition à la politique systématique
d’oppression des Palestiniens par
Israël.
Amira Hass
Journaliste au
quotidien Haaretz
(Traduit par
Chantal C. pour CAPJPO-EuroPalestine)
Source :
http://www.haaretz.com/opinion/.premium-1.807069
CAPJPO-EuroPalestine
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