Palestine
Les hauts responsables palestiniens
corrompus :
trop bien installés pour résister à
l’occupation
Amira Hass
© Amira
Hass
Mardi 12 avril 2016
Les Palestiniens n’ont nul
besoin des Panama Papers pour dénoncer
ce qu’ils perçoivent comme de la
corruption dans les rangs de leurs
dirigeants – ils en trouvent des preuves
flagrantes partout.
Les Palestiniens sont les derniers à
avoir été surpris
des récentes révélations des Panama
Papers qui font état d’une connexion
entre l’argent et le pouvoir au sein
même de leur dirigeants ou de ce que le
langage populaire taxe généralement de
« corruption ». Il n’y a pour
ainsi dire par de conversation
quotidienne qui ne reprenne ces soupçons
de corruption, faisant directement
allusion soit à des individus, tout en
citant leurs noms (des ministres du
cabinet, des hauts dirigeants du parti
dirigeant Fatah ou des directeurs
d’ONG), soit à leurs institutions.
Lors de conversations avec des
Palestiniens, ces derniers évoquent
généralement toute une série de
pratiques de corruption qui,
estiment-ils, sont présentes dans les
hautes sphères de la société : vol
direct de fonds publics, perception de
pots-de-vins et autres faveurs en
échange de services, salaires
anormalement gonflés et avantages
accordés à des hauts responsables d’ONG
et ingérence politique de haut niveau
dans le remplacement et la nomination
des responsables publics.
Puis il y a les allégations de
participation de certaines figures
importantes du parti dirigeant et de
ministres du gouvernement dans les
affaires privées, l’octroi de terrains
publics à des hauts fonctionnaires et le
paiement par le sommet de l’organisation
politique de sommes élevées pour la
construction de résidences, pour des
soins médicaux ou pour assister à des
conférences à l’étranger. Il y a les
allégations concernant la désignation de
proches au sein des ministères du
gouvernement (et l’une des allégations
les plus communes dit que chaque
ministre désigne dans son département
des personnes originaires de sa propre
région). Les gens font état de
responsables qui perçoivent deux
salaires en même temps (par exemple, un
haut responsable au sein d’une
organisation politique, un ancien
législateur). Et ceci n’est encore
qu’une liste partielle d’allégations qui
rendent suspects de corruption – et par
conséquent indignes de confiance – tous
les personnages importants et
fonctionnaires.
L’animosité particulièrement forte
opposant le président palestinien
Mahmoud Abbas et l’ancien haut
responsable du Fatah Mohammed Dahlan se
traduit très régulièrement aussi par des
accusations mutuelles de corruption.
L’an dernier, un tribunal de Ramallah a
abandonné une plainte introduite par le
Ministère public palestinien contre
Dahlan concernant des accusations
d’importants détournements de fonds ; le
tribunal a statué que le retrait de
l’immunité dont Dahlan avait bénéficié
en tant que législateur n’avait pas été
appliqué en conformité avec la loi.
Les associés de Dahlan font
régulièrement état des intérêts privés
en tous genres des fils d’Abbas. Ils
auraient probablement bien accueilli le
reportage d’Uri Blau et Daniel Dolev
dans Haaretz sur les Panama
Papers et qui mentionnait entre autres
Tareq, l’un des fils d’Abbas, et ses
importants intérêts dans une société
privée liée à l’Autorité palestinienne,
mais la chose ne les aurait certainement
pas surpris.
Dans une société ghettoïsée comme la
société palestinienne, c’est-à-dire peu
nombreuse et aux familles élargies avec
des membres à quasiment chaque échelon
de l’échelle sociale, chacun perçoit
d’une façon ou d’une autre des bribes
d’informations compromettantes, à ses
yeux, mettant en cause des personnes
connues ou qui peuvent répondre à la
définition populaire de la corruption.
Et, au contraire de la rareté de
documents écrits que l’on pourrait
ressortir pour étayer les allégations,
il y a une autre preuve visible et
concrète de ce qui est perçu comme
corruption : la vaste et luxueuse
résidence privée ou seconde résidence
achetée par quelqu’un qui ne passe pas
pour venir d’une famille riche
(autrement dit, d’une famille dont la
source de richesse n’est plus mise en
question) ; la nouvelle voiture de
standing ; le temps passé dans des
boîtes privées ; et l’utilisation de
véhicules officiels à des fins
personnelles.
Le Palestinian Center for Policy
and Survey Research interroge
régulièrement des personnes pour savoir
si elles croient qu’il y a de la
corruption dans les institutions de
l’Autorité palestinienne. Dans son
sondage le plus récent, publié au début
du mois, 79 pour 100 des personnes
interrogées répondaient par
l’affirmative et ce pourcentage est
resté plus ou moins constant depuis des
années.
Par souci d’honnêteté à propos des
révélations du présent article, l’auteur
affirme que l’occupation (y compris
l’octroi de terres de part et d’autre de
la Ligne verte aux Juifs uniquement) est
la mère de toute corruption, mais cela
ne doit pas pour autant mettre les
Palestiniens absolument hors de cause.
Au contraire, puisqu’ils font partie
d’un peuple qui lutte contre une
occupation étrangère despotique et
frauduleuse, les dirigeants palestiniens
(l’Organisation de libération de la
Palestine, le Fatah ainsi que le Hamas)
sont hautement censés, et plus que
quiconque, agir avec intégrité. Et c’est
pourtant loin d’être le cas.
Dans des conditions d’occupation, il
est naturel que la définition de la
corruption soit plus large. Lorsque le
tout nouveau responsable de
l’Administration civile israélienne des
territoires, Munir Amar, avait perdu la
vie dans un accident d’avion, plusieurs
hauts responsables du Fatah et de
l’Autorité palestinienne, dont des
associés politiques d’Abbas, étaient
allés présenter leurs condoléances.
L’Administration civile israélienne
n’est pas une entité neutre. Il faut se
rappeler qu’elle n’est autre que le bras
opérationnel d’une politique de vol de
terres, de vol de l’eau, de démolition
de maisons, d’implantation de colonies,
etc. Les intérêts personnels mesquins de
ces hauts responsables palestiniens (le
fait de s’insinuer dans les bonnes
grâces des suzerains qui leur
fournissent leurs permis de voyage)
étaient-ils la raison du mépris typique
qu’ils avaient affiché envers leur
propre peuple ?
Ces personnes continuent à occuper
leurs postes en toute sécurité, non pas
en tant que représentants du peuple mais
plutôt sous les auspices du soutien
international à la poursuite des
négociations avec Israël en préambule à
« l’établissement d’un Etat
palestinien ». Cela signifie le
soutien permanent à un mensonge : le
statu quo de la domination israélienne,
une colonisation accélérée, une
situation sécuritaire stable qui vacille
de temps à autre, et les quelques poches
d’autonomie de la Palestine.
Dans ces poches, on trouve de
nombreux hauts responsables et les
personnes qui leur sont liées et doivent
leur bien-être personnel et familial à
ce même statu quo. En d’autres termes,
ils sont incapables de modifier les
rôles, et d’imaginer et développer une
nouvelle forme ouverte de lutte (ne
nécessitant pas forcément le recours aux
armes) contre la domination israélienne,
puisque cela serait susceptible de nuire
à leur statut économique et à celui des
gens qui les entourent. Et cela,
précisément, c’est de la corruption.
Publié le 11 avril 2016 sur
Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal
Amira
Hass est une journaliste
israélienne, travaillant pour le journal
Haaretz. Elle a été
pendant de longues années l’unique
journaliste à vivre à Gaza,
et a notamment écrit « Boire la mer
à Gaza » (Editions La Fabrique)
Le sommaire d'Amira Hass
Les dernières mises à jour
|