Palestine
Je suis allée voir l’état critique des
colonies
complètement à sec. J’ai trouvé une
piscine
Amira Hass
Juin 2016. Un
point d’eau dans la colonie de Kedumin,
en Cisjordanie.
(Photo : Amira Hass)
Samedi 2 juillet 2016
Puisque Israël a coupé l’eau aux
Palestiniens, je suis allée visiter deux
colonies où les gens sont censés
souffrir aussi.
Le député Bezalel Smotrich (Habayit
Hayehudi – Le Foyer juif) avait
tweeté vendredi : « Ce n’est pas une
blague : Nous avons régressé de 100
ans ! » Il parlait de cinq points
d’alimentation en eau potable qu’on
avait installés le matin même dans la
colonie de Kedumim.
Le même jour, l’hebdomadaire
religieux sioniste Makor Rishon publiait
un article intitulé : « La crise de
l’eau en Judée et en Samarie : Dans la
colonie d’Eli, d’énormes poches d’eau
potable ont été apportées aux
résidents. »
Je suis donc allée voir ces
souffrances de près dans deux colonies.
J’étais partie avant d’avoir vu le tweet
d’un certain Avraham Benyamin en réponse
à celui de Smotrich : « Nous
attendons une série d’articles
empathiques dans Haaretz. Nous
continuerons d’attendre. »
En effet, c’est la semaine dernière
que j’ai attaqué ma série annuelle
d’articles sur le vol systématique de
l’eau des Palestiniens. J’ai été
surprise de ne pas trouver d’articles
dans les journaux sur les problèmes
d’eau dans les colonies. Il n’y avait
pas non plus d’infos à ce propos sur
Army Radio et Israel Radio
– des partisans clandestins notoires du
mouvement BDS. Mais je n’en ai pas
trouvé mention non plus sur les sites
internet liés au lobby des colonies.
Après tout, depuis le début juin,
quand la société nationale des eaux
Mekorot a commencé à réduire de 30 à
50 % l’alimentation en eau des
Palestiniens dans les régions de Salfit
et de Naplouse, les porte-parole
israéliens ont prétendu qu’il y avait
pénurie également dans les colonies.
(Ou, pour reprendre les termes non
expurgés d’un employé palestinien de
l’Administration civile : « Ils
coupent l’eau chez les Arabes, de sorte
qu’il y en aura pour les colons. »)
Le journaliste de Makor Rishon,
Hodaya Karish Hazony, écrivait :
« Dans les communautés de Migdalim,
Yitzhar, Elon Moreh, Tapuah, Givat
Haroeh, Alonei Shiloh et d’autres, il y
a eu des coupures d’eau. »Nous sommes
entre la démence et le désespoir, à ce
sujet » », a déclaré un résident. »
Et c’est ainsi que je suis allée à
Eli afin de me rendre compte de cette
pénurie d’eau qui pousse les gens de la
démence au désespoir. J’ai cherché des
gens qui faisaient la file pour avoir de
l’eau. Je n’en ai pas trouvé. Puis, j’ai
roulé depuis le centre de la luxuriante
colonie jusqu’à la Colline n° 9, très à
l’écart, qui est le site du quartier de
Hayovel mentionné dans l’article.
Là, j’ai trouvé deux énormes poches
bleues complètement remplies en
provenance de l’Autorité de l’eau et sur
lesquelles étaient fixés des robinets.
Un avis demande de « respecter
l’ordre » pendant qu’on fait la
file et il fait également remarquer que
« priorité sera donnée aux personnes
âgées, aux malades et aux enfants ».
Vers 3 heures de l’après-midi, je
n’ai vu ni personnes âgées, ni malades,
ni enfants attendant près des poches
d’eau. Pas plus que je n’ai vu d’adultes
ordinaires. Quelques gouttes fuyaient
des robinets et mouillaient l’asphalte.
Des gens entraient dans leurs voitures
ou en sortaient. Du gazon artificiel
couvrait les aires situées à proximité
des logements préfabriqués du quartier.
Près du poste de garde des
militaires, à une cinquantaine de mètres
d’une des poches d’eau, il y avait une
aire d’herbe naturelle, tout à fait
verte. Tout près, il y avait deux jeunes
arbres et le sol qui les entourait était
mouillé, avec plusieurs flaques. Un
militaire me dit que, dans la semaine,
il y avait eu plusieurs coupures d’eau
et il pensait que les poches avaient été
apportées le jeudi. L’article disait
mercredi.
Dans un petit édifice public voisin,
les toilettes étaient ouvertes et d’une
propreté étincelante. La chasse du WC
fonctionnait idéalement et de l’eau
rafraîchissante coulait du robinet de
l’évier. Une femme est sortie de sa
voiture près de la poche d’eau et, en
hésitant, a dit : « Je l’ai utilisée
quelquefois. » Et pourquoi ne le
faites-vous plus ? « C’est
déplaisant. L’eau est chaude. »
Plus loin, vers le bas, dans le
centre d’Eli, j’ai croisé des filles qui
portaient des sacs avec des serviettes
de toilette et des tenues de bain.
« La piscine est ouverte ? Où
est-elle ? », ai-je demandé.
En suivant leurs instructions, je
suis arrivée à la piscine d’Eli. On
pouvait entendre de derrière la clôture
les bruits d’éclaboussements et les
exclamations joyeuses des nageurs. Les
pelouses autour de la piscine étaient
naturelles et vertes. Je me suis
demandé : Où est la solidarité ?
Pourquoi n’apportent-ils de l’eau du
centre d’Eli vers le quartier qui
souffre en raison de son altitude ?
Makor Rishon citait Meir Shilo,
responsable des infrastructures pour le
Conseil régional de Mateh Binyamin :
« Le problème, c’est la surconsommation
provoquée par l’accroissement de la
population [des colons] et,
principalement, semble-t-il, par la
consommation d’eau pour l’agriculture. »
Dror Etkes, un chercheur indépendant
qui se concentre sur la politique
israélienne de colonisation, a déclaré
dans Haaretz que, dans l’aire
d’implantation entourant Shiloh,
« les colons cultivent 2 746 dunams
[274,6 hectares : la majeure partie se
trouve autour de Shiloh : 2 600 dunams,
soit 260 hectares]. De cette superficie,
2 133 dunams [213,3 hectares] sont des
terres palestiniennes privées. »
En langage clair : Ces dernières
années, les colons ont découvert que la
piraterie (par opposition au vol par
l’État) à des fins agricoles facilitait
la mainmise sur bien plus de terres
palestiniennes que la construction de
villas ou de logements préfabriqués.
En empêchant les propriétaires
palestiniens d’accéder à leurs terres,
l’armée à rendu cette piraterie
possible. Et, de pair avec l’expansion
de l’agriculture privée illégale, on
assiste à l’augmentation de la
consommation d’eau aux dépens des
Palestiniens, de leur agriculture et de
leur eau potable.
D’Eli, j’ai fait route vers l’ouest,
vers la colonie de Kedumim, où des rues
verdoyantes m’ont accueillie. J’ai
cherché les points d’eau mentionnés par
Smotrich dans son tweet.
De derrière mon pare-brise, j’ai vu
un écriteau : « Le bassin de
natation de Kedumin est ouvert.
Inscrivez-vous dès aujourd’hui. »
Sans doute avait-on oublié de retirer la
pancarte l’an dernier.
Dans le quartier de Rashi, je suis
arrivée à un point de distribution
d’eau, sous la marquise du centre
d’études religieuses de Rashi. Juste en
face se trouvait un camion avec un
énorme réservoir d’eau. Quelqu’un
faisait justement demi-tour avec un seau
rempli d’eau et prenait la direction des
logements préfabriqués au sommet de la
colline.
« Oui, il y a des coupures
d’eau », a-t-il confirmé. « Une
occasion de se faire une idée du siège
de Jérusalem », a-t-il ajouté,
faisant allusion aux événements de 1948.
Et pourquoi ne pas aller faire le
plein d’eau dans les quartiers de
Kedumin situés plus bas ? « C’est
plus facile de cette façon, près de chez
soi », a-t-il répondu.
Au robinet, des enfants remplissaient
des récipients en tous genres. La fille
tout près de la grande poche rouge a dit
à l’homme qui la prenait en photo :
« Faites en sorte qu’on voie bien la
bouteille sur la photo ! »
Publié le 28 juin 2016 sur
Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal
Lisez également :
Une ville palestinienne complètement à
sec après les coupures dans
l’approvisionnement en eau par Israël
Amira
Hass est une journaliste
israélienne, travaillant pour le journal
Haaretz. Elle a été
pendant de longues années l’unique
journaliste à vivre à Gaza,
et a notamment écrit « Boire la mer
à Gaza » (Editions La Fabrique)
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