Opinion
Dieu par lui-même
ou
Le Pouvoir de ses œuvres
Aline de Diéguez
Mardi 15 septembre 2015
"
Je suis celui qui
suis ".
[1] Ainsi
parle le Tout-Puissant.
Cette perle
stylistique, lovée sur elle-même comme
un retour de boomerang, exprime la
quintessence du politique. Elle offre la
définition la plus concise et la plus
parfaite qui soit du Pouvoir.
Le Pouvoir EST,
tout simplement. Il EST CELUI QUI EST et
n'a nul besoin de précision, de
justification ou d'explication. Le
Pouvoir s'expérimente. Il est là, sans
frein, ni entrave si ce n'est celui de
sa survie, de sa maintenance ou de sa
progression. Le Pouvoir est englobant,
dictatorial. Il ne connaît ni scrupules
ni repentirs. Telle une colonie de
termites suivant sa reine, le Pouvoir
avance, se répand dans tout l'espace
disponible, aveugle à ce qui n'est pas
lui, insensible aux destructions, aux
drames ou aux souffrances qu'il
provoque. Il enjambe les lois dites
universelles établies en d'autres temps
et impose les siennes propres par la
force. Il se diffuse comme comme une
nappe d'huile sur l'océan. Tant qu'il ne
se cogne pas contre un autre Pouvoir, il
progresse, impérial.
Le Pouvoir
politique est un reflet du Pouvoir
Absolu auquel le Job symbolique a été
confronté. Pour des raisons économiques,
financières, psychologiques, il arrive
qu'un Etat émerge du lot et réussisse à
dominer la politique mondiale.
Telle est la
situation politique qui prévaut de nos
jours. En effet, grâce aux conséquences
mirobolantes de la martingale financière
qu'un groupe de banquiers astucieux a
réussi à imposer la veille de Noël de
l'an de grâce 1913, les Etats-Unis sont
devenus, au fil des décennies, l'Etat
"exceptionnel", l'empire militarisé
exceptionnellement puissant et
exceptionnellement nocif dont le monde
subit jour après jour les effets
calamiteux.
Depuis la mort de
l'idéologie marxiste, LE POUVOIR est
incarné par l'empire américain. Seul il
dispose, pour quelque temps encore, des
armes financières qui lui permettent
d'imposer sa législation intérieure au
monde entier. En conséquence, il
s'adjuge le Pouvoir divin de sanctionner
les Etats qui s'avisent de résister à
son expansion.
voir:
Aux sources de l'escroquerie de la
Réserve Fédérale - Le machiavélisme des
hécatonchires de la finance
internationale
Du Système de la Réserve fédérale au
camp de concentration de Gaza : Le rôle
d'une éminence grise: le Colonel House
La véridique histoire de l'empire
américain, Il était une fois
Picrocholand
Il m'a semblé
éclairant de montrer à quel point le
Pouvoir absolu d'une divinité - à partir
du seul texte dans lequel le Dieu
s'exprime lui-même - et le Pouvoir
politique d'un Etat qui se comporte
d'une manière impériale, répondent à des
règles communes.
*
Quel triste sort
que celui de ce riche propriétaire d'un
immense domaine, d'un resplendissant
troupeau de gros et de petit bétail,
heureux père d'une abondante
descendance, victime du jour au
lendemain d'un cataclysme inexplicable!
Tout à coup, une
incroyable série de catastrophes s'abat
sur Job. Un immense brasier réduit en
cendres sa maison et ses dépendances,
ses fils et ses filles périssent les uns
après les autres dans des accidents
atroces ou d'horribles maladies et, pour
achever ce sinistre tableau, réduit à la
mendicité, ce fidèle d'entre les fidèles
est brusquement atteint dans sa chair
d'une horrible et malodorante maladie de
peau qui a fait fuir sa femme.
On découvre que
tous ces malheurs sont voulus par le
maître des mondes. Le Pouvoir, inspiré,
prétend-il, par un vilain comparse, a
concocté contre son pieux serviteur
baignant dans une douce prospérité, une
machination sadique, destinée à mettre
le pauvre hère à l'épreuve, en le
précipitant dans un véritable enfer sur
terre. Continuera-t-il à glorifier son
Dieu dans le dénuement le plus absolu?
Candide accepte
d'abord avec résignation les désastres
qui le frappent. Puisque telle est la
volonté du Pouvoir, tout est pour le
mieux dans le meilleur des mondes
possibles.
Quand le Pouvoir
ordonne de sanctionner le rival russe,
les serviteurs européens se mettent au
garde à vous et se rangent illico par
ordre alphabétique, la tête basse. Pas
question de désobéir, ni même de traîner
les pieds. L'Italie s'est fait
réprimander pour son manque
d'enthousiasme et la France a reçu neuf
tonnes de briques sur le crâne sous la
forme d'un hold-up bancaire auprès
duquel les exploits d'Al Capone sont des
bluettes de patronage. Le Pouvoir a
dressé son troupeau à coups de fouet et
depuis lors, ses membres sont habités
par la peur de se voir extorquer leur
cagnotte. Personne n'ose déroger aux
ordres, l'auto-censure devient la norme.
Malgré les
souffrances infligées à leurs économies,
les Etats européens se sont donc
installés sur leur fumier. Résignés, ils
encaissent en tremblant les malheurs qui
les frappent. Puisque telle est la
volonté du Pouvoir, tout est pour le
mieux dans le pire des mondes
atlantistes possibles.
Les imprévisibles
coups de massue du sort ont fini par
avoir raison de la soumission sans
murmure de Job.
Dans un sursaut de
révolte et d'indignation, le misérable
malmené par un destin mauvais prend si
violemment le Pouvoir à partie que
celui-ci, réveillé en sursaut, consent à
jeter un coup d'œil dédaigneux sur le
chétif insecte qui gratte avec un tesson
de poterie les pustules d'un eczéma
purulent, au milieu des immondices
calcinées de la décharge à ordures du
village.
Cet excrément de la
terre ose hurler son désespoir et
l'accuse, Lui, le Maître des mondes,
détenteur de la toute puissance,
d'injustice et même de méchanceté.
[2] Quel sacrilège !
Les Européens
asservis sont loin d'avoir manifesté le
même réflexe de dignité. L'un ou l'autre
des zélés serviteurs du Pouvoir se
contente de ronchonner parfois en
coulisses, mais jamais officiellement.
Personne n'ose se révolter ouvertement
et accuser le Pouvoir de félonie et de
mensonge.
Les Job européens
sont écrasés sur leur fumier et
acceptent sans murmure que l'empire
ruine leurs économies. Avec une candeur
qui frise la déficience mentale, ils
intériorisent si bien l'auto-punition
qu'ils clament en chœur que les lois
d'une politique dictée par leur maître
sont supérieures en dignité à celles de
leurs économies, donc à la prospérité de
leurs nations. Pendant que ces soumis
comptent leurs bubons, les industriels
de l'empire occupent les places vacantes
en riant sous cape.
Vigoureusement
interpellé par sa victime, le
Tout-Puissant est brusquement sorti de
sa béate torpeur interstellaire. Il faut
dire que le pitoyable Adamien
recroquevillé sur son fumier a d'abord
supporté neuf discours moralisateurs de
pseudo amis, faux consolateurs
sentencieux et accusateurs perfides, qui
n'ont fait qu'accroître son désespoir.
N'ont-ils pas sous-entendu que Job a
mérité les malheurs qui le frappent?
Les Irakiens, les
Libyens, les Afghans hier, et
aujourd'hui les Syriens et les Yéménites
n'ont-ils pas mérité leur sort actuel?
Ces peuples impies et hérétiques n'ont
pas chassé à temps leurs Ben Laden, et
autres Saddam et Kaddhafi pestiférés
pour se jeter dans les bras des prêtres
de la religion démocratique. Assad "ne
mérite pas de vivre", clame un zélé
serviteur de son maître
[3] . Dans un concours de
servilité, un autre domestique de
l'empire a renchéri sur les ondes d'une
radio nationale : "Bachar est pire
que Hitler et Staline réunis".
[4] D'ailleurs le Président
de la République française n'a-t-il pas
appelé officiellement à la "neutralisation"
du chef de l'Etat syrien?
[5]
Le massacre d'une
importante proportion de la population,
la réduction de ces pays, autrefois
riches et prospères, à un tas de gravas
est une broutille au regard des
merveilles qui illuminent désormais leur
ciel, ont sentencieusement déclaré
certains auto-proclamés "véritables
amis" de ces nations. Une ancienne
prêtresse du nouveau paradis sur terre,
dénommée Albright n'a pas jugé exagéré
le sacrifice de cinq cent mille petits
Irakiens. Un agitateur politique, qui
surgit chaque fois de sa boîte pour
virevolter, chemise au vent, au milieu
des ruines et des cadavres
[6] , s'est répandu dans tous
les médias de l'hexagone en se
félicitant de ce que, grâce à lui, les
Libyens connaissent désormais les
délices de la Liberté.
Quant au Dieu de
Job, tel un véritable représentant du
Pouvoir américain, il feint d'ignorer
que les malheurs du pauvre homme sont
les fruits de sa décision et qu'il en
est pleinement et directement
responsable.
A l'instar de la
puissance qui a éprouvé le caprice de
martyriser son Job, les maîtres actuels
de la planète se lavent les mains des
conséquences de leurs vilenies. Ainsi,
l'empire et ses acolytes détruisent les
uns après les autres tous les Etats de
la bordure méridionale et orientale de
la Méditerranée jugés insuffisamment
dociles, puis se répandent en
gémissements sur le sort malheureux des
Job orientaux qui fuient leurs crimes en
prenant des risques insensés afin de
tenter de se mettre à l'abri.
Le même empire et
ses vassaux, qui n'ont que les mots "droits
de l'homme" et "démocratie" à
la bouche ont, en réalité, de l'aveu
même du principal metteur en scène lors
d'une conférence de presse, et au mépris
de toutes les lois internationales,
raccolé à leur service, entraîné et armé
les hordes de coupeurs de tête
cannibales, qu'ils ont expédiés sur le
terrain en Irak et en Syrie. Ces mêmes
moralisateurs feignent ensuite de
bombiner hypocritement quelques bordures
ou quelques carcasses de vieux camions,
alors qu'ils se gardent soigneusement de
bombarder les rassemblements réels de
ces "combattants" dont ils
connaissent parfaitement la
localisation.
Puis, lorsque ses
mercenaires monstrueux jetés sur le
terrain semblent lui échapper, la main
sur le coeur, le Pouvoir supplie le
monde entier de l'aider à faire cesser
un carnage qu'il continue d'activer
sournoisement en sous-main par des "erreurs"
répétées de parachutages d'armements et
de vivres qui - comme c'est étrange! -
arrivent par pleins containers entre les
mains des barbares fanatiques qu'il est
censé combattre, son objectif évident
étant d'épuiser les Etats envahis au
moyen d'une guerre interminable. On sait
qu'une armée combat avec son ventre. Si
ces terroristes sans Etat n'étaient pas
régulièrement alimentés, ils
s'éparpilleraient dans la nature en
moins de temps qu'il ne faut pour le
dire.
*
Or donc, le Pouvoir
céleste, mécontent d'être dérangé par
une insignifiante et gémissante
bestiole, y était allé d'une algarade
ironique et méprisante.
[7] En quelques mots
hautains, il faisait comprendre à cette
vermine combien il était hardi et
incongru d'importuner le père des
galaxies et des tempêtes avec ses
pustules et ses petits malheurs
personnels?
[8]
Fort de sa
toute-puissance et du nombrilisme
psychologique inhérent à un maître
investi du devoir de veiller au bon
ordre de la galaxie, le Pouvoir suprême
s'est livré à un interminable
développement au cours duquel il a
présenté à la cantonnade un tableau
complet des fabuleuses réussites de son
programme de gouvernement.
Je l'ai vu
détailler avec orgueil les merveilles de
la nature dont il se flattait d'être
l'ordonnateur. Pendant qu'il vantait la
splendeur des aurores et les infinies
richesses météorologiques qu'il avait su
inventer, de la neige à la grêle en
passant par la pluie et la glace, je
remarquai qu'il omettait d'évoquer les
cyclones, les tempêtes ou les ouragans
qu'il déchaînait par ci, par là, par
désœuvrement, par malice ou par
inadvertance.
Je l'ai entendu
chanter ses propres louanges sur tous
les tons et sur tous les modes et
s'extasier sur son propre talent d'avoir
si harmonieusement réglé la répartition
des eaux et des terres et d'avoir
assigné leur juste place à chaque objet
céleste. Il avait conclu cette séquence
de son auto-panégyrique en invitant la
loque humaine dévorée par les
démangeaisons, à lever le nez de dessus
ses bubons et à se concentrer sur le
mystère de la lumière et la beauté des
étoiles.
Oublieux du
miséreux pieusement réfugié sur les
cendres de la décharge à ordures du
village afin d'éviter de contaminer ses
congénères avec ses squames, le
Très-Haut n'avait rien trouvé de mieux
que de continuer à babiller avec
éloquence sur la manière astucieuse dont
il avait paternellement mis au point les
étapes de la naissance des antilopes
[9], réglé le galop des ânes
sauvages dans les steppes
[10], prévu la nourriture des
lions, des autruches, des bœufs, des
aigles, des autours et des milliers
d'animaux brouteurs, volants ou rampants
dont il avait imaginé la création.
Et il continuait à
jacasser, évoquant les irisations de la
lumière, la caresse du vent, la
splendeur des éclairs, la germination du
gazon dans la steppe ou la nourriture
des corbeaux pendant que le désespéré
dont le corps n'était que plaie
purulente se grattait en gémissant sur
son fumier!
C'est ainsi que les
hérauts des démocraties hors-sol
babillent sur les caresses du vent d'une
Liberté idéale, la splendeur des droits
d'un homme abstrait et voletant dans la
moyenne région de l'air, les irisations
de la prospérité matérielle que les
chars du libéralisme économique
occidental offrent aux peuples "libérés"
à la pointe de leurs missiles. Certes,
tels des champignons après la pluie,
d'innombrables tas de fumier fleurissent
sous leurs pas, sur lesquels pourrissent
par millions des Jobs enchaînés à leur
misère et à de sordides Guantanamo. Mais
le Pouvoir n'en a cure. Il va son chemin
Pas plus que le
Dieu du Job mythique, le Dieu de la
Démocratie idéale ne se soucie de la
mort des enfants irakiens, victimes des
embargos, des bombes ou des effets
délétères des missiles à uranium
appauvri, ainsi que des dizaines de
milliers de petits Syriens, de petits
Afghans ou de petits Yéménites
pulvérisés par paquets entiers par des
drones. Mais le Pouvoir répand un
torrent de larmes, dont le flot est
susceptible de faire déborder toutes les
baignoires de la planète, sur la photo
d'un petit martyr rejeté par les vagues
sur une plage de Turquie.
Le Pouvoir est à la
fois pervers et futé. Afin de maintenir
ses vassaux sous le joug, en vue de
bénéfices escomptés dans un futur
proche, rien de tel que d'activer les
innombrables petites mains semées dans
tous les médias du monde. L'émotion
larmoyante habilement distillée et
barattée jusqu'à la nausée à partir du
drame de cet enfant-là, est destinée à
imposer comme un bienfait et un devoir
moral l'affaiblissement des vassaux
submergés par une soudaine marée humaine
financée par d'obscures mains invisibles
qui auraient brusquement ouvert les
vannes d'un mystérieux barrage.
En revanche, les
centaines d'enfants palestiniens
assassinés par les missiles du peuple
élu sous le grand soleil des plages de
Gaza, ont laissé de marbre la presse de
l'empire et de ses vassaux.
Petit Syrien, plage de Turquie,
2015
.....
Petit Palestinien, plage de Gaza, 2006
(Ce montage est l'oeuvre de Rudi Barnet
. Merci à lui)
Pendant que le Dieu
de Job a brûlé une grosse ferme, celui
de la Démocratie idéale a incendié cinq
Etats et détruit les traces des
civilisations antiques les plus
raffinées. Alors que le premier a
provoqué la mort de la douzaine de
rejetons de son fidèle serviteur, le
second, beaucoup plus gourmand, a avalé
benoîtement plus de quatre millions de
cadavres depuis dix ans et une
quarantaine de millions depuis la fin de
la seconde guerre mondiale. Le Moloch
démocratique a faim de chair fraîche.
*
Quand on parle
beaucoup, on en dit toujours trop,
recommandait à son dauphin un roi qui se
voulait rival du soleil. C'est ainsi
qu'emporté par son babillage, le
Très-Haut s'est finalement trahi et a
révélé au grand jour sa passion
dévorante et son vice caché.
Nous savons
désormais, pour notre plus grand
malheur, que le Pouvoir porte un amour
ardent et esthétique à la guerre. Les
champs de bataille le ravissent, la
fureur des empoignades, le sang des
blessés et des morts, les henissements
des chevaux, l'odeur de mort qui monte à
ses narines sont une drogue voluptueuse
dont il ne se lasse pas.
La guerre serait
donc l'objectif secret du Pouvoir. Dans
une tirade exaltée et haletante, il
s'est laissé aller à entonner un chant
lyrique à la gloire du cheval de guerre,
à la beauté de son engagement, naseaux
fumants et muscles tendus, quand sonne
la trompette et que retentissent les
clameurs du combat
[11].
Le Tout-Puissant,
en esthète des carnages, n'aurait-il
créé les fils d'Adam qu'à la seule fin
de parfaire, par la présence
d'innombrables figurants, la mise en
scène des batailles dont il se montre si
friand? Pour cela, il fallait au
Créateur des armées de cavaliers et de
fantassins afin que les fiers chevaux de
combat, bondissant comme des
sauterelles, donnent la mesure de leur
puissance et de leur héroïsme.
La guerra,
la guerra, encore et toujours,
chante Monteverdi. Dieu le veut !
Deus vult ! Deus lo Vult, Deus lo vol,
le cri de guerre des croisés continue de
résonner dans les plaines, les déserts
et les montagnes de Syrie et de
Palestine. Hier comme aujourd'hui, ce
cri caresse délicieusement les oreilles
du Tout-Puissant affalé sur un cumulus.
Ah! la guerre!
Depuis qu'est née la nation qui se croit
choisie par le Pouvoir suprême pour
montrer la voie à toutes les nations du
monde dans leur marche sur les sentiers
de la Liberté, celle-ci a été en guerre
deux cent vingt-deux ans sur les deux
cent trente neuf de son existence. Mais
attention, pratiquement jamais sur son
propre sol - sauf contre quelques
emplumés dans les débuts de son
surgissement récent du néant - mais
toujours chez les autres.
Ah quels délices de
voler, violer , piller, tuer, torturer
impunément. Cela vaut bien la volupté
d'admirer les charges de cavalerie qui
mettaient en transes le Dieu de Job.
La guerre est le
cœur du Pouvoir.
Le bonheur
du tortionnaire (Abou Ghraib, 2003)
A cet instant
j'entendis un clairon pleurer dans les
nues, et ce clairon me parlait, et ce
clairon me révélait que le Pouvoir,
éperdu d'admiration pour ses
performances et oublieux de tous les Job
du monde qui croupissent sur leur
fumier, s'aime si passionnément, d'un
amour si absolu, que la vermine qui
sautille sur la goutte de boue sur
laquelle elle a été expédiée, n'a rien à
espérer de lui.
Mes réflexions sur
l'éthique du Pouvoir, partant du lobe
préfrontal médian activèrent mon cortex
dorsolatéral et poursuivirent leur
bonhomme de chemin en direction d'un
jugement moral. Parvenues à destination,
elles conclurent tristement que tous les
Pouvoirs sont la proie d'un narcissisme
pathologique et souffrent d'une
désolante sécheresse affective.
Mes cellules
morales affinèrent leur diagnostic et
délivrèrent l'inquiétant verdict que le
Pouvoir présente toujours les symptômes
d'une dangereuse schizophrénie qui le
rendent sujet à des bouffées de violence
imprévisibles, à des caprices meurtriers
ou à une royale indifférence à l'égard
du sort des créatures qui subissent ses
volontés. Nous sommes à la merci de
pulsions morbides qui se traduisent par
mille et un malheurs privés, dispensés
au hasard ou par la pulvérisation de
villes entières.
J'ai entendu
chuchoter ici et là que le Créateur des
mondes continue de s'amuser
malicieusement, de temps à autre, à
éternuer si bruyamment qu'il libère dans
la stratosphère des poussières
incandescentes et des vapeurs ardentes.
Lorsqu'il est rassasié de la béate
contemplation des aurores boréales, son
espièglerie alliée à sa toute-puissance,
le portent à faire jaillir de temps à
autre des fleuves de feu.
Qui sait si demain
le Pouvoir ne sera pas tenté par le
spectacle d'un sublime champignon
atomique, qui nous effacerait tous de la
surface de cette terre…
*
Mais un autre
secret m'a été révélé.
C'est alors que
j'entendis un murmure céleste qui
m'informait que le Pouvoir, honteux
d'avoir mis tous ces malheurs en
mouvement, tentait de justifier ses
vices et ses méchantes actions. Comme
tous les grands malades qui refusent de
reconnaître leur état ou les politiciens
toujours prêts à se chercher des
excuses, le Pouvoir céleste est un
cachottier à la recherche d'un bouc
émissaire afin de se décharger sur ses
épaules des malheurs du monde .
- Ce n'est pas moi,
c'est l'autre. C'est Satan, le pervers,
qui m'a soufflé le conseil perfide de
persécuter ce pauvre Job. A moi les
aurores boréales, à lui les tremblements
de terre ! A moi les paradis, les
délices de Capoue, les fleuves de lait
et de miel, à lui les calamités, les
maladies, les châtiments et les enfers !
C'est lui, c'est Satan qui est
responsable de tous les maux de la
terre!
- Ma
toute-puissance ne peut rien contre les
vilenies de Satan, poursuivait-il, se
parlant à lui-même comme un frère parle
à son frère. Il est vrai que j'aime
par-dessous tout la docilité de mes
créatures. En mon for intérieur, je me
demande même, dans mes moments de
lucidité, si je ne serais pas sensible à
la corruption, tellement les
agenouillements, la soumission et les
marques de vénération de mes fidèles
flattent délicieusement mon ego.
L'éminent Adamien qui m'avait traité de
Grand Trompeur avait peut-être raison!
*
Les écailles me
sont alors tombées des yeux et je vis.
Je vis le ciel
ouvert et des myriades d'anges
entouraient la boîte crânienne béante du
Pouvoir.
Dans cet antre
grouillaient ses petites ruses et ses
gros mensonges.
Et je vis que tous
les anges pleuraient.
Dans le crâne
ouvert du Pouvoir, au milieu d'un
fourmillement d'animaux, de Jobs
gémissants sur des montagnes de fumier,
de plantes et de plantules, de planètes
tournoyantes et de galaxies en fuite
dans le vide, de colonnes de réfugiés
fuyant la mort, de décapités, de
crucifiés, de torturés, de noyés, un
Satan hideux ricanait et dansait.
Et ce Satan
habitait dans le crâne du Pouvoir et
Satan était le Pouvoir. Pendant que
celui-ci ouvrait largement une paume
remplie de douces bénédictions, de
promesses de Liberté et de prospérité,
de vapeurs de démocratie et de droits de
l'homme, son autre main activait les
feux de l'enfer et barattait les drames,
les maladies, les persécutions
politiques, la misère de millions de Job
écrasés par les famines et les guerres.
Mais sa main droite ignore ce que fait
sa main gauche.
*
Les anges pleurent
depuis la nuit des temps.
Les anges pleurent
car ils savent que Dieu et Satan sont un
duo indémêlable, non pas des jumeaux, ni
même des frères siamois, mais une
dualité, Un en deux Personnes. Le
Pouvoir est une entité unique, tantôt
aimable, tantôt féroce, un Janus à deux
visages, Docteur Jekyll et Mister Hyde.
Les anges pleurent
car ils savent que le satanique Mister
Hyde finit par tuer le bon Dr Jekyll.
*
Les anges sont
l'innocence d'un monde d'avant Dieu,
d'avant le Pouvoir. Et maintenant, ils
pleurent d'avoir découvert la perversité
de Dieu, ils pleurent d'avoir touché du
doigt la duplicité du Pouvoir.
Car le Pouvoir
s'avance masqué. Nimbé de la lumière
d'un paradis, il s'illumine des feux de
la Démocratie, il scintille des
miroitements de la Liberté, il baigne
dans la suavité sucrée des Droits de
l'Homme et des bons sentiments, mais il
traîne à sa suite le cliquetis satanique
des chaînes de ses châtiments et de ses
enfers. Il progresse par les guerres et
le sang et se lave les mains des crimes,
des destructions, des trahisons, des
forfaitures, des rapines, des
malversations et des sinistres
Guantanamo qu'il sème partout où il
passe.
Les anges pleurent
d'avoir découvert la noire épaisseur du
monde. Ils ont compris que le
Tout-Puissant EST le Pouvoir et que le
Pouvoir EST Dieu, parce que l'un ne va
pas sans l'autre.
Alors les anges ont
brusquement senti le poids du temps sur
leurs épaules. Les ailes séraphiques de
leurs illusions enfantines et de leur
candeur se sont détachées de leur dos et
insensiblement, tout doucement, une
lente métamorphose s'est produite dans
leur corps vieilli. Leur coeur est
demeuré frais et ardent, mais il
cohabite désormais avec une lucidité
nouvelle, la froide lucidité, la cruelle
lucidité de l'intelligence.
Ils découvrent
alors qu'ils sont désormais des millions
de Job, une armée de Job debout qui ont
cessé de gratter les squames de leur
soumission .
*
Redressé, fièrement
debout, Job a quitté son fumier et se
présente en juge de Dieu, en juge et en
accusateur du Pouvoir..
*
[1]
- Exode 3 :14 : " Dieu dit
à Moïse : "JE SUIS CELUI QUI SUIS. Et il
ajouta : c'est ainsi que tu répondras
aux enfants d'Israël : Celui qui
s'appelle " JE SUIS " m'a envoyé vers
vous ".
[2]
- C'est Eloah qui m'a fait tort. (…) Je
crie à la violence et reste sans
réponse, j'appelle au secours, et point
de jugement ! Il a muré ma route et je
ne puis passer. (…) Il me démolit de
toutes parts. (…) Il a déraciné , comme
un arbre, mon espoir, il a enflammé
contre moi sa colère et m'a traité comme
un adversaire. Job, 19, 6-11.
[3]
M. Laurent Fabius, Ministre des affaires
étrangères
[4]
M. Bernard Guetta, chroniqueur à
France-Inter
[5]
Autrement dit, à son assassinat. Le 25
août 2015, à l’occasion de la conférence
annuelle des ambassadeurs
[6]
M. Botul, alias M. Lévy
[7]
- Quel est celui qui obscurcit mon plan
par des paroles dépourvues de science ?
(…) Qui enferma la mer à deux battants ?
(…) As-tu dans tes jours commandé au
matin, indiqué sa place à l'aurore ? (…)
As-tu pénétré jusqu'aux sources de la
mer, et au tréfonds de l'abîme t'es-tu
promené ? Te sont-elles apparues les
portes de la Mort ? (…) As-tu pénétré
dans les réserves de neige, et les
réserves de grêle, les as-tu vues ? (…)
Qui compte les nuages avec sagesse, et
les outres du ciel, qui les incline ?
(…) . Job, 38, 4-38.
[8]
- Yahvé répondit à Job au milieu de la
tempête. Job, 38,1
[9]
- Job, 39, 1-4
[10] - Job, 39, 5-7
[11] - Job, 39, 19-25 : Donnes-tu au
cheval la vigueur, revêts-tu son cou
d'une crinière, le fais-tu bondir comme
la sauterelle? Son fier hennissement
répand la terreur. Il piaffe dans le
vallon et exulte avec force, il s'élance
au devant des armures, il se rit de la
peur et ne s'effraie pas: il ne recule
pas devant le glaive. Sur lui résonne le
carquois, la lance étincelante et le
javelot ; il frémit, il bouillonne, il
avale la terre et ne se contient plus
quand sonne la trompette. A chaque coup
de trompette, il crie Hourrah ! Et de
loin il flaire la bataille, le tonnerre
des chefs et la clameur du combat.
Le sommaire d'Aline de Diguez
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