The Electronic
Intifada
L’accord Turquie-Israël laisse le siège
de Gaza intact
Ali Abunimah
Enfants
palestiniens participant à une
manifestation contre le siège israélien
de la bande de Gaza,
dans le port de Gaza, le 1er
juin. (image APA – Mohammed Asad)
Jeudi 30 juin 2016
Les Palestiniens de la bande de Gaza
expriment leur colère et leur
consternation lundi devant l’accord qui
normalise les relations entre Israël et
la Turquie, accord qui les laisse sous
un siège étouffant.
Un groupe israélien de défense des
droits de l’homme qui exerce une
surveillance sur le blocus de Gaza,
vieux d’une décennie, confirme lui aussi
que l’accord ne met pas fin au contrôle
strict d’Israël sur le territoire, un
contrôle qui a considérablement aggravé
la dévastation de l’économie et de la
société de Gaza après les trois grandes
agressions militaires israéliennes
depuis 2008.
La Turquie avait rangé ses relations
militaires et politiques avec Israël au
congélateur il y a de cela six années,
après qu’Israël eut attaqué le navire
Mavi Marmara, propriété turque,
qui naviguait dans les eaux
internationales et faisait partie d’une
flottille se dirigeant sur Gaza, en mai
2010, une attaque qui tua neuf personnes
et en blessa mortellement une dixième.
La Turquie a imposé des sanctions
militaires sans précédent sur Israël en
2011 suite à cet incident.
Les tentatives de réconciliation ont
débouché sur des impasses en raison des
conditions exigées par le Président turc
Recep Tayyp Erdogan : des excuses
israéliennes et une indemnisation pour
l’attaque sur le Mavi Marmara,
et la fin du siège de Gaza.
Un progrès apparemment est intervenu
quand la Turquie a laissé tomber la
troisième et la plus importante de ses
exigences, et qu’elle a accepté
qu’Israël maintienne son blocus.
Dans une mesure visant à sauver la
face, Israël autorisera la Turquie à
accroître son rôle « humanitaire » et
ses projets d’infrastructure dans le
territoire assiégé.
Une
pirouette positive
Le gouvernement turc tente de tourner
l’accord en un sens positif. Un haut
responsable a déclaré à The
Electronic Intifada que, selon cet
accord, la Turquie « fournira une
aide humanitaire et d’autres produits
non militaires à Gaza et qu’elle fera
des investissements d’infrastructure
dans la région ».
Cela comprendrait de nouveaux
immeubles d’habitation et un hôpital de
200 lits.
Et ce responsable d’ajouter que « des
mesures concrètes seront prises pour
remédier aux pénuries d’énergie et d’eau
à Gaza. La quantité d’électricité et
d’eau potable pour les habitants de Gaza
augmentera et de nouvelles centrales
électriques seront construites ».
Lors d’une conférence de presse à
Ankara, le Premier ministre turc, Binali
Yldirim, a affirmé que le siège de Gaza
a été « largement levé » avec
cet accord.
Yildirim confirme qu’Israël versera
20 millions de dollars d’indemnisation
pour les familles des morts et des
blessés survivants du Mavi Marmara.
Il affirme qu’une première cargaison de
10 000 tonnes d’aides turques arrivera à
Gaza au plus tard cette semaine, via le
port israélien d’Ashdod.
Dans une conférence de presse
simultanée à Rome, le Premier ministre
israélien, Benjamin Netanyahu, salue
l’accord pour son « importance
stratégique » pour Israël et il
affirme que ce qu’il appelle le « blocus
maritime défensif » de la bande de
Gaza occupée sera maintenu.
Netanyahu déclare également que cet
accord apporte aux soldats israéliens
une protection contre les poursuites
judiciaires.
Les victimes de l’attaque sur le
Mavi Marmara ont engagé des
poursuites devant des tribunaux en
Turquie et aux États-Unis, ainsi que
devant la Cour pénale internationale.
L’accord laisse dans l’ombre le statut
de ces poursuites.
Selon le responsable turc, l’accord
« permettra aussi à la Turquie de
lancer de grands projets en Cisjordanie,
notamment la zone industrielle de Jénine ».
Mais comme je l’ai documenté dans mon
livre de 2014, La Bataille pour la
Justice en Palestine, les analystes
et les groupes juridiques palestiniens
disent que la zone industrielle de
Jénine, et d’autres comme elle, loin de
les aider, ne fait que les rendre plus
vulnérables aux dégradations
environnementales, salariales et
politiques, et à leur exploitation.
« Scandale
et insulte »
Gisha, un groupe israélien des droits
de l’homme qui surveille le blocus de
Gaza par Israël, indique que l’accord ne
remet aucunement en cause le contrôle « honteux »
d’Israël sur la vie des 1,9 million de
Palestiniens de la bande de Gaza.
« Ce que Netanyahu a accordé à
Erdogan, ce n’est pas un changement de
politique, mais plutôt un geste limité,
comme s’il l’autorisait à poser des
bâtiments en plastique dans un jeu de
Monopoly », écrit la directrice de
Gisha, Tania Hary, dans un édito
cinglant dans le journal Ha’aretz
de Tel Aviv.
Les commentateurs palestiniens de
Gaza approuvent.
« L’accord israélo-turc est un
scandale et une insulte à Gaza, à la
Palestine, et au sang des militants
turcs », twitte l’éducateur et
écrivain Refaat Alareer.
Alareer qualifie l’accord d’ « accord
de honte ».
« Lever le siège de Gaza, ça veut
dire la liberté de mouvements, et non
davantage de nourriture et d’aides »,
twitte l’auteur de Gaza, Omar Ghraieb.
« Est-ce trop difficile pour être
compris ? ».
« Il n’est pas acceptable de
parler à la légère du siège de Gaza en
disant qu’il est largement levé, quand
cela touche à la vie de deux millions
d’humains », ajoute Ghraieb dans un
reproche au Premier ministre turc.
Le traducteur Jason Shawa, basé à
Gaza, twitte : « Nous voulons la
levée du siège, pas votre charité
Erdogan, gardez-la ! ».
« Les intérêts de la Turquie
d’abord, les liens avec Gaza plus tard »,
telle est la réaction succincte du
journaliste de Gaza, Nidal al-Mughrabi.
La Turquie a été mise sous pression
pendant des années, spécialement par
l’Administration du Président US Barack
Obama, pour qu’elle renoue ses liens
avec Israël.
Conséquence de la guerre civile
sanglante en Syrie, dans laquelle Ankara
a soutenu des forces qui cherchaient à
renverser le gouvernement du Président
Bashar al-Assad, la Turquie a été
confrontée à une situation régionale qui
se détériore.
Les attentats à la bombe qui ont tué
des dizaines de personnes dans les
villes turques ces derniers mois ont
contribué à un déclin catastrophique de
40 % dans le tourisme, un secteur clé de
l’économie du pays.
Netanyahu laisse également entendre
que le rapprochement pourrait ouvrir la
voie à des contrats lucratifs concernant
les réserves gazières de la
Méditerranée, impliquant la Turquie.
Yildirim, de Turquie, est plus
prudent, disant que la future
coopération « sera liée à des
efforts venant des deux pays ».
Les actions des entreprises
énergétiques turques ayant une actvité
en Israël ont grimpé brusquement à la
nouvelle de l’accord, de même que les
réserves énergétiques israéliennes à Tel
Aviv.
La gestion
du siège
L’Autorité palestinienne à Ramallah
s’est félicitée du rapprochement
Israël-Turquie, mais il n’y a pas eu de
réaction dans l’immédiat (au cours de ce
lundi – ndt) de la part du Hamas.
Ces derniers jours, le Hamas, un
mouvement politique et de résistance
palestinien qui gouverne à l’intérieur
de la bande de Gaza, avait tenté de
réduire les retombées négatives
potentielles des négociations
Turquie-Israël.
Au cours du week-end, le dirigeant du
mouvement, Khaled Meshaal, a rencontré
le Président Erdogan à Ankara.
Une déclaration du Hamas affirme que
la délégation du groupe « a confirmé
à la direction turque les exigences de
notre peuple, particulièrement la levée
du siège, se disant persuadé que la
Turquie réussira à ce sujet ».
Le haut responsable turc a informé
The Electronic Intifada qu’ « il
n’y avait absolument aucune référence au
Hamas dans l’accord » avec Israël,
une réponse apparente à la demande
israélienne qu’Erdogan mette un terme
aux activités du mouvement en Turquie.
Mais la réalité est que si la Turquie
s’apprête à livrer plus d’aide à Gaza –
en supposant qu’Israël garde sa part du
marché -, elle ne le fera que dans les
conditions du siège imposées par Israël.
Il sera difficile pour de nombreux
Palestiniens de ne pas en arriver à la
conclusion que la Turquie a rejoint les
autres membres de la soi-disant
communauté internationale,
particulièrement les Nations-Unies, dans
leur aide Israël à gérer le siège,
plutôt que pour remettre en cause sa
poursuite.
Les Nations-Unies se rendent
complices de la gestion du siège avec le
prétendu mécanisme de la reconstruction
de Gaza, qui permet que les matériaux de
construction n’arrivent qu’au
compte-gouttes en vertu du contrôle
strict israélien.
Le mécanisme de reconstruction de
Gaza est illégal, et il viole le « droit
même à la vie » du peuple
palestinien, selon un avis juridique
confidentiel destiné à une importante
organisation humanitaire qui travaille
étroitement avec les Nations-Unies,
comme l’a révélé The Electronic
Intifada en janvier.
Traduction : JPP pour l’Agence Média
Palestine
Source:
Electronic Intifada
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